Florence Bergeaud-Blackler défend la thèse d’une volonté de domination planétaire des Frères musulmans et de leurs zélateurs, mais son ouvrage est truffé d’erreurs, multiplie les amalgames et verse dans le complotisme.
Une chronique parue dans la revue Esprit que nous reproduisoans avec l’accord de l’auteur Haoues Seniguer
Il ne s’agit nullement de lénifier, polir ou anoblir l’image et la représentation de l’islamisme et des Frères musulmans, fussent-ils légalistes, mais de rendre justice aux faits stricts, dûment établis, au moyen des outils de la science et des exigences théoriques et empiriques qui incombent aux chercheurs, a fortiori sur un sujet aussi incandescent. Lequel est devenu une ressource politique, souvent pour le pire. Quoi qu’il arrive, il convient, en tant qu’observateur, de se tenir à bonne distance des jugements de valeur, qui peuvent avoir leur légitimité certes, mais jamais au détriment d’une rigoureuse démarche de connaissance.
Florence Bergeaud-Blackler est anthropologue, chargée de recherche au Centre national de la recherche scientifique, rattachée au Groupe Sociétés, Religions, Laïcités. Spécialiste du halal (qui renvoie au licite en islam), elle propose dans son nouvel opus, Le frérisme et ses réseaux, l’enquête (Odile Jacob, 2023), qui a déchaîné fièvre et passion sur les réseaux sociaux, une réflexion sur ce qu’elle appelle « le frérisme » et ses « réseaux ». Elle présente au demeurant ce travail moins comme une enquête parmi d’autres (et celles-ci sont aussi nombreuses que prolifiques) que comme l’enquête (la seule ?) : le choix du déterminant, ici, n’est pas du tout anodin, car il vise à gommer ou minorer ce qui se produit de sérieux et de nuancé sur le sujet à l’Université. Or s’agit-il vraiment d’une enquête, au sens où nous l’entendons classiquement dans les sciences sociales ? Nous avons de sérieuses raisons d’en douter, tant sur la forme que sur le fond, car on a plus affaire à un libelle qu’à un travail empirique arrimé à une solide et patiente conceptualisation.
Cet ouvrage se compose d’une préface, rédigée par le politiste, spécialiste du monde arabe, de l’islamisme et des rapports entre islam et politique en France, Gilles Kepel, d’un préambule et d’une introduction. S’ensuivent onze chapitres d’inégale longueur, avec une conclusion aux vues prospectives, mais aux accents surtout très engagés, à la fois politiquement et idéologiquement. Et plus on avance dans le livre, plus l’enquête, évanescente, laisse place à la conjecture, l’opinion, des procès d’intention et des formules accusatoires multiples contre des collègues.
Manichéisme
L’autrice choisit d’appréhender l’islamisme, qu’elle ne définit jamais à partir de sources de langue arabe ou des travaux de référence sur la question, sous l’angle du radicalisme et du terrorisme. L’islamisme, aussi critiquable soit-il à tous points de vue, est-il pour autant réductible à son versant violent ? C’est en tout cas le parti pris de Florence Bergeaud-Blackler. C’est ce qui ressort explicitement au fil des pages, au premier chef en conclusion, au mépris de l’histoire et de la réalité autrement plus nuancées.
La réflexion opère essentiellement et de façon permanente sur un mode manichéen : l’autrice oppose par exemple, dès le préambule, un hypothétique « Nous », dont elle ne manque pas de préciser les contours (Français, Européens, Occidentaux), à « des populations victimes », auxquelles elle dénie du reste catégoriquement le statut de victime réel ou présumé. Or ces populations renvoient uniformément à la catégorie des musulmans, comme si ces derniers se trouvaient en quelque sorte à la fois dans une position abusive de victimes perpétuelles (Florence Bergeaud-Blackler parle à ce propos volontiers d’attitude « victimaire ») et dans une espèce d’extranéité par rapport au reste de la communauté nationale, en raison de leur religion, apparente, pratiquée ou revendiquée. Nul étonnement donc à ce qu’elle dénie le concept et la réalité de l’islamophobie. Par ailleurs, à aucun moment il n’est dit, justement à cet endroit nodal du texte, que les musulmans de France, rigoristes ou non, peuvent être eux-mêmes victimes du terrorisme, et surtout qu’ils ne cessent de le dénoncer aussi spontanément que majoritairement. Cette précision fait défaut, alors qu’elle eût été la bienvenue aux fins d’éviter le piège préjudiciable de l’amalgame, auquel donne au contraire prise ce type de phrase sans nuance.
Dès les premières lignes de l’introduction, Florence Bergeaud-Blackler définit son objet, le frérisme « comme un projet intellectuel, politico-religieux, visant l’instauration d’une société islamique mondiale. Le halal way of life – formule popularisée par le marché halal international – pourrait être son slogan ». En choisissant un tel vocable, qui n’est pas foncièrement nouveau, que ce soit dans sa forme nominale (« frérisme ») ou adjectivale (« frériste »), elle semble vouloir introduire une nuance, supposément novatrice, par rapport à l’islamisme, qui est une notion aujourd’hui largement galvaudée et péjorative. En effet, de ce point de vue, le frérisme serait-il à l’Europe ou aux sociétés dites « non musulmanes » ce que l’islamisme serait plus spécifiquement aux sociétés majoritairement musulmanes ? Pour le savoir, il aurait sans doute fallu là aussi être plus disert. Certes, c’est ce qui est suggéré, mais pas complètement cohérent eu égard à ce qui suit, puisqu’elle écrit quelques lignes plus loin, et ailleurs dans le livre, que le frérisme, qu’elle rattache expressément au fondateur des Frères musulmans (Hassan al-Banna, 1906-1949), est un « système d’action » fondé sur une Vision, une Identité et un Plan. Il convient cependant de noter d’ores et déjà deux choses : d’une part, seul le Plan présumé ou réel des Frères, de leurs séides et alliés, intéresse la chercheuse et, d’autre part, il apparaît que le frérisme n’est, au fond, qu’une dénomination, un mot-écran permettant d’englober plus aisément sous la même chapelle, des personnes et des structures sans lien idéologique et/ou organisationnel avéré avec des islamistes présumés.
Plus significativement, la chercheuse raisonne d’emblée moins sous la forme d’hypothèses, qu’elle discuterait et dont elle soulignerait les éventuelles nuances, limites et lacunes, qu’à partir d’une thèse assertive, à savoir l’existence indubitable d’une entreprise pensée et conçue en valeur et en finalité – en d’autres mots, un « plan », une « vision », que les fréristes et leurs amis développeraient et poursuivraient sans relâche, en vue de l’accomplissement de « la prophétie califale ». Cette prophétie califale, que l’ensemble des Frères caresseraient donc sans nuances aucune, aurait aussi « ses alliés en sciences sociales », lesquels, manipulés ou agissant de concert avec eux, leur paveraient inéluctablement la voie. Elle ajoute même qu’islamistes et fréristes veulent « coloniser l’Occident ». Ainsi donc sont égrenés des noms de chercheurs ou d’acteurs associatifs, associés arbitrairement les uns aux autres, avec toutes sortes d’intentions qui leur sont prêtées, qui, en lien parfois avec des personnes du renseignement, diffuseraient « leur interprétation du frérisme jusqu’au sommet de l’État » ou bien au cœur des institutions européennes. Même ceux qui disent ne plus être des Frères, à l’instar de Omero Marongiu-Perria et Michaël Privot, sont traités de menteurs, de fourbes – en d’autres termes, des espèces d’agents doubles.
Cette vue de l’autrice découle directement de sa conviction, irréfragable, que « la dimension prophétique et programmatique de ce genre d’islamisme qu’est le frérisme a été largement ignorée, voire niée » (par qui ?), ce qui, du strict point de vue factuel, est faux, mais peu importe : elle prétend justement déciller les yeux du plus grand nombre, révéler, dévoiler ce qui est tu ou inconnu. Or, rien de nouveau en la matière, puisque c’est ce qu’affirmaient déjà Alexandre del Valle et Emmanuel Razavi dans un ouvrage publié en 2019, dans une veine tout aussi polémique1.
Or c’est précisément en raison de ce présupposé constitutif de la thèse centrale, à savoir « la prophétie califale » dissimulée à la masse ignorante ou endolorie (sauf pour les quelques rares chercheurs et lanceurs d’alerte), que Florence Bergeaud-Blackler, qui parle de « secret », de « tactique », de « stratégie », d’« infiltration » et d’« endoctrinement » tout au long de l’ouvrage, verse dans des formes d’amalgames, des procédés divers, essentialistes, culturalistes et, pour ce qui nous occupe présentement, complotistes. Nous nous concentrons donc sur ce dernier aspect, sans relever par ailleurs toutes les erreurs factuelles repérées çà et là, en dehors peut-être de deux points particulièrement gênants pour qui veut étudier sérieusement l’islamisme. D’abord, la confusion majeure entre frérisme et salafisme, en lien avec l’Arabie saoudite et le Qatar : en commettant cet impair, qui en dit beaucoup sur la confusion conceptuelle générale, elle attribue effectivement aux uns ce que feraient les autres, aussi bien s’agissant des pays que des courants mentionnés. Puis, la marque d’une méconnaissance flagrante de la profondeur linguistique et historique du concept de wasatiyya (improprement et univoquement traduit par « juste milieu », alors qu’il référerait plutôt à ce qui est juste ou à la médiété chez Aristote), qui n’est, par conséquent, certainement pas une invention ou une marque déposée frériste.
Complotisme
L’autrice cherche justement, et fort maladroitement, à parer à l’objection de biais conspirationnistes que son ouvrage recèle pourtant, lorsqu’elle écrit, dans une vision mécaniste de l’histoire : « Le mouvement n’a pas vraiment à se demander d’où il vient, où il va, ni comment procéder. Il s’agit de démanteler les structures et les principes qui supportent et protègent les valeurs de la société à islamiser en soutenant les forces externes et internes qui la sapent, les destructeurs et déconstructeurs, les salafistes et les islamo-gauchistes. » Ou encore : « Parler de programme ou de plan, c’est s’exposer à être taxé de complotiste. Rappelons cependant la définition du complotisme : une croyance sans démonstration que l’action concertée et dissimulée d’un groupe détermine le cours des événements. Mon propos est très différent : j’établis sur une base factuelle des liens entre des causes actives et des effets, je décris un mouvement intelligent, discret et secret, dans son contexte historique, j’analyse son programme, sa vision, l’identité qu’il s’attribue, ses alliances et les opportunités qu’il saisit pour exister et se maintenir depuis plus d’un siècle. »
Après une définition lacunaire du conspirationnisme, il est permis de relever, tant au niveau de certains mouvements du raisonnement, des exemples donnés, qu’au niveau de l’emploi de mots ou expressions caractéristiques, des indices patents qui font signe vers ce complotisme, tels que « le nouvel ordre mondial2 », qui cadre bien avec l’idée que Florence Bergeaud-Blackler défend fermement, à savoir la volonté de domination et d’hégémonie planétaires des Frères musulmans et de leurs zélateurs, en Europe et en France.
Ce premier tropisme complotiste est confirmé et accentué de deux façons. D’une part, par la disparition de la frontière entre islam et frérisme. En effet, dès l’introduction, il y maldonne dans la mesure où elle établit, en se référant aux travaux de Rémi Brague, un continuum entre « la dimension prophétique de l’islam », doté ainsi per se d’intentions, et la dimension prophétique que l’on retrouverait invariablement dans le frérisme. « Le plan » des Frères musulmans serait ainsi en quelque façon facilité par la portée intrinsèquement prosélyte, normative, politique et même, dit-elle, « suprématiste » que « l’islam peut nourrir ». Cette prémisse autorise ensuite Florence Bergeaud-Blackler à mieux asseoir l’idée selon laquelle « en vertu d’une religion-loi, missionnaire et suprématiste, les Frères se considèrent comme des élus ayant pour mission d’accomplir la prophétie califale ». L’islamisme serait de la sorte la règle, l’islam guère qu’un marchepied ou un tremplin vers l’esprit islamiste conquérant. Une toute-puissance aussi maligne qu’incoercible est donc attribuée au frérisme et à ceux qui le nourrissent. D’où le fait qu’ils soient aidés sur certains sujets, tels que l’islamophobie qui en serait le produit d’appel, par l’Open Society de George Soros. Lequel, et ce n’est pas tout à fait un hasard, est l’abcès de fixation récurrent de nombre de conspirationnistes ; il est généralement paré d’attributs extrêmement négatifs, voire ouvertement antisémites, ce qui n’est pas le cas ici.
Au même titre que chez les complotistes, la chercheuse mêle à plusieurs reprises des registres contradictoires, dont un particulièrement prégnant : si le mouvement frériste agit « intelligemment », de manière « concertée », « dissimulée », en imprimant « le cours des événements », comment en objectiver de manière convaincante, aboutie, la substance, le processus, les modes opératoires, aussi bien que l’action qu’il déploie et soutient à l’insu du plus grand nombre ? Par ailleurs, quel est exactement ce mouvement, décliné au singulier, qui prospérerait sans frein, sans contrariétés, en réalisant ses objectifs ? Le caractère impersonnel, décontextualisé, non empiriquement enraciné, de l’énoncé le rend proprement inaccessible à la vérification et au test de falsifiabilité. En effet, justement, il découle de ce raisonnement profondément tautologique, à sens unique, dans lequel s’enferme et s’enferre sans varier Florence Bergeaud-Blackler afin de prouver à toute force la thèse de l’infiltration et de la conquête. Elle confond, de plus, de façon anti-sociologique, intentions et actions, utopie et idéologie, projections idéologiques et réalisations pratiques des acteurs en présence, qu’il faudrait en outre parfaitement identifier et situer dans la complexité de leurs trajectoires, affiliations idéologiques et organisationnelles, dans leur contexte, sur le temps long, ce que ne fait à aucun moment Florence Bergeaud-Blackler : « Le point de départ, c’est la créature de Dieu, et le point d’arrivée, c’est le monde fait musulman. Il n’y a donc qu’à optimiser le chemin, jalon par jalon, étape par étape, plan par plan […] Les Frères ont choisi l’Europe comme terre d’élection pour développer leurs activités, et concevoir et expérimenter le frérisme. Ils y ont installé des associations dans tous les pays sans dévoiler ni leur identité ni leur plan – nommé euro-islam par Tariq Ramadan – pour s’y investir et s’y déployer. »
S’il ne faut pas pour autant nier à la fois la part complotiste à l’œuvre dans les récits islamistes et l’existence de complots ourdis par des islamistes dans l’histoire, et encore peut-être à l’œuvre aujourd’hui dans certains secteurs à déterminer avec exactitude, cela ne veut néanmoins pas dire que les complots ont réussi, qu’ils réussiront, et que, en sus, les islamistes ont les moyens de les concrétiser. Cela ne saurait signifier non plus que les complots, constitués ou non, sont la trame principale de la grande histoire et de l’action des idéologues et activistes au jour le jour. Étant donné l’absence de protocole de recherche, de terrains précis d’enquête, d’entretiens, fussent-ils semi-directifs, avec les premiers concernés, ainsi que l’usage de documents connus, moins connus ou inédits que l’autrice mettrait au jour, la démonstration peine à convaincre, en plus d’être empreinte d’une vision catastrophiste de l’avenir.
Les « Frères », présumés ou avérés, disparaissent littéralement derrière le « frérisme », qui devient une espèce de fourre-tout, d’ombre permanente projetée sur telle ou telle organisation, telle ou telle action, tel ou tel individu, acteur ou complice supposé, etc. Tout ce qui ne se plie pas à la thèse principale est purement et simplement ignoré ou écarté, ni plus ni moins. Ce qui donne lieu à plusieurs anachronismes : la chercheuse postule par exemple une continuité entre le mouvement intégraliste et anticolonialiste des Frères musulmans, et le mouvement dit « décolonial » en France ; le cheikh al-Qaradhâwî (1926-2022), dépeint en espèce de deus ex machina qui aurait prévu à l’avance les menées islamistes, est présenté comme le précurseur du « féminisme islamique », etc. Certaines autres formulations sont franchement péremptoires : « Le frérisme propose une identité sans altérité. Le non-musulman n’est au mieux pas encore musulman. Au pire, s’il reste (ou devient) infidèle, il doit être combattu et éliminé d’une manière ou d’une autre. »
Est-ce à dire que l’organisation Musulmans de France (ex-Union des organisations islamiques de France), quoi que nous puissions penser positivement ou négativement de son approche de l’islam, s’inscrit dans cette vision dichotomique, alors qu’elle stipule sur son site « promouvoir le dialogue avec les différentes familles religieuses de France, et les institutions de la société civile, en vue de renforcer la cohésion sociale », ou bien encore lorsqu’elle déclare vouloir « établir des liens d’amitié et de coopération avec les institutions religieuses et sociales françaises, européennes et étrangères3 » ? Nous ne sommes évidemment pas obligés de la croire, mais il faudrait pour cela apporter la preuve matérielle ou factuelle qui prouverait l’inverse, ce que ne fait pas Florence Bergeaud-Blackler.
Puis, encore plus problématique pour qui souhaite faire œuvre scientifique sur un objet aussi socialement sensible, l’autrice explique, dans une espèce d’anecdotisme spécieux, que si les dealers n’attaquent pas les mosquées (on se demande, du reste, pourquoi ils le devraient et en quoi les mosquées seraient forcément des repaires d’islamistes), c’est qu’ils sont d’une certaine façon de mèche avec les Frères. En outre, affirmer que les islamistes et les fréristes visent unanimement le califat mondial est tout bonnement erroné. Dans un ouvrage publié en arabe en 1999, Abdelillah Benkirane, cadre du Parti de la justice et du développement, principale force islamiste au Maroc, et ancien chef du gouvernement marocain (2011-2017), écrit : « Pour ma part, je ne rêve pas du Califat bien guidé, du moins pour les temps terrestres. Tout ce que je peux espérer est que notre situation soit meilleure que celle dans laquelle nous nous trouvons. Et cela ne peut advenir que si le mouvement islamiste s’efforce d’être un mouvement islamiste bien guidé. »
***
Pour résumer, Florence Bergeaud-Blackler emprunte au moins trois tuyaux conspirationnistes qui se soutiennent mutuellement : primo, une vision profondément déterministe, mécaniste, anhistorique des Frères, du frérisme et des islamistes, complètement coupés de leurs contextes respectifs, d’une périodisation précise et de ce qu’ils font (la chercheuse lit et regarde l’activité et les discours des Frères d’aujourd’hui, dans leur diversité, à la lumière ce qu’ont pu dire les théoriciens ou militants, hier ; ensuite, elle apprécie l’activisme frériste en Europe et en France à l’aune de ce que des acteurs de même sensibilité purent dire, peuvent dire ou faire ailleurs, notamment en contexte majoritairement musulman) ; secundo, une lecture intentionnaliste, qui hypostasie les intentions, ne tenant à cette aune aucun compte des pratiques sociales concrètes, du caractère évolutif et ambivalent des acteurs en présence, dans la mesure où elle s’affranchit radicalement d’entretiens précis et d’étude serrée d’un ou plusieurs cas ; tertio, une vision apocalyptique de l’histoire où, comme on l’a relevé, « tout est lié », à commencer par des acteurs qui n’ont pourtant strictement rien à voir les uns avec les autres, tous affublés plus ou moins du stigmate de frériste ou d’islamiste : « En France, l’éco-islamisme est encore embryonnaire. On le retrouve chez le sociologue Mohamed Amer Meziane, un des principaux diffuseurs en France des théories décoloniales. » (Ce dernier n’est pas sociologue, mais philosophe.)
Finalement, il est dommageable que cet ouvrage, par toutes sortes d’erreurs factuelles et d’outrances, desserve la démarche. Il s’agit d’une démarche militante et non d’une démonstration scientifique ; elle ne relève donc pas à proprement parler de celle observée dans les sciences sociales. L’ouvrage, qui consiste pour l’essentiel en une dénonciation du frérisme et de l’islamisme, peut même, paradoxalement, les renforcer, au lieu de les interroger et de les analyser en toute rigueur critique.
- 1. Alexandre del Valle et Emmanuel Razavi, Le Projet. La stratégie de conquête et d’infiltration des Frères musulmans en France et dans le monde, Paris, Éditions de l’Artilleur/ Toucan, 2019.
- 2. « Qu’est-ce que le “Nouvel Ordre Mondial” ? » [en ligne], Conspiracy Watch. L’Observatoire du conspirationnisme, 25 septembre 2018.
- 3. « Nos objectifs » [en ligne], Musulmans de France, 2020.