Je rappelle vite fait les faits pour les gens qui habitent dans des bunkers et qui n’utilisent internet que pour lire mon blog. Des maires français ont interdit le port du burkini dans les plages appartenant à leur circonscriptions et une rixe a éclaté entre Marocains et Corses après que des adolescents ont, supposément, pris en photo des femmes en burka et burkini dans une plage corse.
Bien évidemment, je suis de tout cœur avec ces gens et je soutiens à 100% leur décision et leur résistance. La raison est toute simple : je suis une marocaine de droite bien dégueulasse, je suis pour le respect de la culture du peuple sur le territoire duquel on se trouve et je suis pour la libération des femmes des carcans du patriarcat, un système de contrôle des naissances datant du néolithique qui ne sert plus à grand chose depuis l’invention de la pilule, à part à alimenter la rhétorique monothéiste, et Dieu sait que je n’aime pas faire le ramadan.
Je ne mange pas en public durant ce mois et je ne milite pas pour que l’acte soit décriminalisé. Pas par peur, il se trouve juste que la majorité le fait et le pays est officiellement et constitutionnellement musulman. Je suis athée mais je suis dans l’obligation d’obéir parce que c’est comme ça, un point c’est tout, c’est une guerre qui ne m’intéresse pas en plus.
Burkini est un mot valise composé de burka et de bikini. Personne ne savait ce que burka voulait dire avant les attentats du 11 septembre. La guerre déclarée par George W. Bush à l’Afghanistan qui cachait les cerveaux d’Al Qaida, à leur tête Oussama Ben Laden, nous a fait découvrir – ou rappelé, cela dépend de votre âge, moi j’avais 14 ans – l’existence des talibans. L’une des particularités des talibans, c’est qu’ils forcent leurs femmes à porter une tente bleue perforée au niveau du visage pour qu’elles ne suffoquent pas. Ils sont aussi connus pour défigurer leurs femmes, à l’acide, au feu ou au couteau, pour un oui ou pour un non. J’exagère peut-être, mais j’ai vu trop d’Afghanes aux nez et aux oreilles tranchées et je pense que défigurer quelqu’un est un châtiment qui ne sied à aucun crime. On a donc appris par la même occasion que cet habit s’appelait burka et on en a fait des blagues ; on les a comparées à des sacs poubelles et on a pensé à l’absurdité de leurs photos de famille. On a aussi pensé à la souffrance de ces pauvres femmes sous le soleil de Kaboul et de Kandahar.
Au Maroc, on se moquait gentiment de cet accoutrement avec une sorte de distanciation rassurante ; on n’avait pas ça chez nous. Parce qu’il faut savoir qu’il fût un temps où il y avait les voilées et les cheveux au vent. Les ninjas, les Darth Vador, les tchadors et les burkas étaient rarissimes et, de toute façon, elles étaient vues avec un regard suspicieux parce qu’à l’époque, personne n’avait besoin de faire preuve d’excès de zèle pour prouver sa foi – ma mère est une voilée et elle les déteste viscéralement -. Puis les chaînes de préchi-précha, le wahhabisme saoudien, l’argent qatari, la montée en force du PJD – et d’autres facteurs qui doivent m’échapper parce que je ne suis pas une experte en la matière – ont fait que le voile intégral s’est normalisé et s’est répandu. Maintenant ce sont les filles en jean qu’on regarde de travers. N’importe quel Marocain de plus de 30 ans vous dira que c’était quand même mieux avant, c’était plus cool, même qu’il y a 40 ans on avait nos propres concours de Miss Bikini organisés sur les plages de Casablanca. Il y avait beaucoup plus de femmes en maillot deux pièces que maintenant, les voilées se baignaient toutes vêtues et c’était leur problème. Des fois on entendait parler de plages privées d’intégristes, où hommes et femmes se baignaient séparément mais tous nus. C’était évidemment une légende urbaine, mais c’est pour vous dire qu’ils étaient tellement rares qu’ils nous faisaient fantasmer. D’ailleurs avant, il n’y avait pas autant de plages privées, il n’y avait pas ce besoin de louer un relax à 300 dirhams pour être tranquille, parce qu’on l’était déjà partout. Vous allez me dire qu’il y a de l’alcool dans les plages privées ; croyez-le ou pas, il y a 15 ans, les zoufris mettaient leur bière dans des théières et ça ne dérangeait pas grand monde.
Et regardez où l’on est. Les barbus qui font leur prière du vendredi dans les plages pour intimider les baigneurs, c’est récent. Les jeunes qui se photographient avec une pancarte sur laquelle est écrit « no bikini respect ramadan », c’est récent. Les pages Facebook qui divulguent les photos volées des filles en bikini en menaçant de dévoiler leurs identités, c’est récent. Le burkini, c’est récent. Ça, c’est ce qui arrive quand on tolère un peu trop une idéologie qui ne tolère pas la différence et quand on démusèle des gueules souffrant d’un sérieux complexe de supériorité. J’ai déjà raconté, dans un autre billet, comment on nous apprenait à l’école que nous étions le peuple élu, qu’Allah s’adressera à nous en arabe le jour du jugement et que les juifs sont des singes et les chrétiens des porcs.
Maintenant c’est la France, pays de la Déclaration des Droits de l’Homme, de Brigitte Bardot, de Kiki de Montparnasse, de Toulouse-Lautrec, de Simone de Beauvoir, d’Olympe de Gouges et de Manuel Ferrara (franchement, merci la France) qui se demande s’il faut ou pas laisser les musulmanes se baigner en burkini. La question ne se pose même pas ! Oui, il faut l’interdire, c’est un symbole d’oppression et une provocation abjecte étant donnés les tristes évènements qu’a connus la France. Les défenseurs qui le comparent à une tenue de surf, vous vous foutez de qui au juste ? Vous comparez une combi à un habit spécialement conçu pour les femmes qui ont bien intégré l’idée que tout leur corps est un organe sexuel et que le désir qu’il provoque chez les frustrés est leur propre responsabilité ? Ces femmes-là ne sont même pas censées se trouver dans un endroit où les corps quasi nus des deux sexes se mélangent, c’est pour ça qu’elles veulent des piscines privatisées. Quoi ? Le burkini est un moyen de les sortir de chez elles ? Donc vous admettez qu’elles sont en fait opprimées et que leur voile n’est pas une liberté, mais une contrainte rationnalisée en choix. Faites attention, elles ne vous tolèrent pas comme vous les tolérez, demain ce sont les bikini qui seront minoritaires sur les plages françaises.