Nouvel eldorado pour les grandes et moyennes puissances, Djibouti, indépendante depuis 1977, territoire de 23 000 km2, composés de 800 000 Afars et Somalis (d’une égale importance) et d’une minorité Arabe.Ce n’était ni une colonie de peuplement, ni un territoire à développer, ce fut un comptoir sur le chemin de l’Océan Indien et de l’Indochine.
La colonisation a maintenu chaque communauté dans son habitat et ses traditions, ce qui a facilité l’exploitation du fait ethnique par la puissance coloniale et par le régime issu de l’indépendance qui a perpétué cette politique de division.
Djibouti, est avec l’Erythrée, au nord, et le Yémen, en face, un point de passage obligé entre la mer Morte et le Golfe d’Aden. Elle est devenue depuis la guerre au Yémen un enjeu régional. Au carrefour de l’Arabie et de l’Afrique, sur les rives de la Mer Rouge, Djibouti a une position de verrou de cette ligne maritime si importante pour la vie économique internationale. Ce qui explique qu’elle accueille plusieurs milliers de soldats occidentaux (français, américains et japonais); et une base chinoise en construction. Les Saoudiens souhaitent prendre pied près de Babel Mandab. Les Chinois ont commencé à s’installer y compris avec des chalutiers pour razzier les poissons, inquiétant les Américains et les Indiens et suscitant la colère des pêcheurs djiboutiens qui à l’instar de leurs collègues somaliens risquent de verser dans la piraterie maritime.
De l’échec de la constitution
Deux conceptions se sont heurtés dès l’accession à l’Indépendance en 1977: la conception défendue par le premier ministre Ahmed Dini, consistait à jeter les bases d’une citoyenneté djiboutienne; qui avait aussi les faveurs du MPL; la 2ème conception de Gouled -président de la République- privilégiait la citoyenneté clanique, déconstruire l’État en transférant ses prérogatives aux clans. Finalement c’est la dernière conception qui a triomphé et qui est à l’origine de la situation dramatique actuelle, d’une « indépendance sans liberté », du refus de l’édification d’un État national. Le nouvel État institue après son accession à l’indépendance un système de parti unique, qui va se transformer en parti clanique avec une répression violente de l’opposition. Harcèlements, arrestations et tortures des militants hostiles au régime, une répression plus générale va cibler les Afar, entraînant la démission d’Ahmed Dini.
Les confiscations des libertés vont de pair avec le refus de créer un État national. En 40 ans d’Indépendance, la phase primaire de la Constitution d’un État national reste inaboutie à Djibouti. Les dirigeants ont choisi de privilégier les clans au détriment de l’Etat. . Cela a empêché de créer une armée, une police et une sécurité nationales sans lesquelles le monopole de la violence exercée par le pouvoir reste illégitime.. Cette politique a marginalisé des communautés entières, des régions importantes. Le corollaire du refus d’édification d’un État national est l’invention de la figure d’ennemi intérieur, conçue au travers de la guerre coloniale, se reproduira dans le contexte de l’État postcolonial. A Djibouti, l’ennemi intérieur était d’abord représenté par les Afar : arrestations massives, tortures, exécutions extrajudiciaires, expulsions, massacres, tout est permis pour mettre hors d’état de nuire ce groupe considéré comme une menace. le refus d’investissement dans leur territoire qui s’étend sur les 2/3 du pays. Cette notion s’est étendue à d’autres groupes : au clan Gadaboursi, aux sous clans Issas comme les Odah Gub, etc.,
Refus de l’alternance
Après plusieurs tentatives sans succès pour réformer ce pouvoir congénitalement violent, une insurrection armée dirigée par le Front pour la Restauration de l’Unité et la Démocratie est arrivée à la porte de la capitale. Le régime de Djibouti a été sauvé in extremis en février 1992 par l’interposition des troupes françaises stationnées à Djibouti
La population djiboutienne a tenté à maintes occasions de tourner la page de ce régime L’élection présidentielle de 1999 a permis au peuple de Djibouti de rejeter massivement, Ismail Omar Guelleh en votant pour Moussa Ahmed, figure indépendantiste.
En 2003, et en 2013, les partisans du Président furent battus aux élections législatives par l’opposition. Pour ne pas se plier aux verdicts des urnes, le régime a inversé les résultats en sa faveur par la magie des fraudes. Ce qui a permis à Guelleh de briguer un 4èmemandat en 2016 et de s’ouvrir ainsi la voie à une présidence à vie. Mais, la guerre de succession fait rage au sein de son entourage, sentant l’usure du pouvoir et une atmosphère de fin de règne. Guelleh tente contre vents et marée d’imposer son fils Aïnaché pour lui succéder.
Misère, répression et résistance
L’opposition politique qui lutte dans des conditions très difficiles parce qu’elle est l’objet du tout répressif du chef de l’Etat qui a fait ses premières armes dans la répression en tant que chef de la sécurité, a été affaiblie. Le multipartisme ne garantie aucune existence légale aux partis politiques de l’opposition dont les dirigeants sont souvent réprimés. Les principaux partis de l’opposition n’ont pas de statut légal. Cette répression a favorisé la dislocation de l’opposition politique. Dès lors la cible du pouvoir reste le FRUD, principale force de l’opposition, à échapper au rouleau compresseur du régime qui a beaucoup de mal à le déloger de ses bastions. On assiste à une véritable politique de la terre brûlée dans les provinces dites rebelles (Nord et sud ouest). Guelleh voudrait faire de leur territoire, des terres vacantes et sans maître qu’il peut vendre comme il vient de le faire pour les îles Musha ou tenter de les spolier comme à Assal ou à Bakéré. L’armée se comporte à l’égard des habitants de ces régions comme en territoire ennemi. La situation s’est aggravée ces dernières années: massacre des innocents le 21 Décembre 2015 à Buldhuqo (faubourg de la capitale) Les pratiques des tortures érigées en système se banalisent.
Arrestations arbitraires des civils soupçonnés de soutien ou d’avoir de proches au sein du FRUD, le cas le plus emblématique est celui de Mohamed Ahmed Jabha (détenu depuis 7 ans malgré sa grave maladie), qui vient d’être condamné à 15 de prison. Les viols des femmes Afar par des soldats se poursuivent en toute impunité dans le triangle Margoïta, Syarou, Garabtissan, où les populations des éleveurs sont maintenues de force autour des camps militaires. Le parlement européen a condamné pour la première fois en mai 2016 les violations des droits humains et notamment les violences et les viols envers les femmes Afar à Djibouti et a invité les NU à mener une enquête internationale
Depuis le début du mois de mai 2017, 250 personnes ont été arrêtées au Nord et détenues au centre de rétention de Nagad, dans la capitale. Ouma Mohamed, épouse d’un membre du FRUD, n’a pas été épargnée, 2 personnes sont mortes après avoir été torturées (Mohamed Hamadou et Abdo Ismail).
Les organisations internationales (BAD, FMI) dénoncent la corruption à ciel ouvert des dirigeants de ce pays, obstacle à un développement sain et équitable Plus grave, le Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme accuse le régime d’avoir détourné 8,6 millions$ sur les dons alloués à Djibouti..
Face au refus de l’alternance par les urnes, rien ne s’oppose à la construction d’un rapport des forces multiformes, pour sauver ce pays d’une dérive à la somalienne. Encore faut-il, échapper aux narcissismes de petites différences et à la posture du génie solitaire qui ruine les efforts des forces pour un changement réel.
Les luttes du FRUD, (Front pour la Restauration de l’Unité et la Démocratie), crée en 1991, qui est un continuum historique des mouvements démocratiques (MPL, FDLD, UMD, etc), redonne du souffle à la culture des résistances, tout en réhabilitant l’action collective. C’est en résistant qu’on construit l’avenir a dit le célèbre avocat égyptien anti Sissi, Me Khaled Ali. Le FRUD ne se lassera jamais d’appeler à l’union de toutes les forces de l’opposition en vue de préparer l’alternance et éviter la transmission du pouvoir au fils du Président