Didier Destremau: « un peuple syrien extraordinairement résilient »

 Une délégation de l’association d’amitié France-Syrie (AFS) s’est rendue en Syrie du 15 au 19 mai. Elle a rencontré des membres de la société civile, des dirigeants des cultes principaux, le directeur du Croissant rouge ainsi que le ministre de la culture.L’objectif de cette mission est d’assurer le peuple syrien que le peuple français est toujours à ses côtés dans les moments très difficiles qu’il traverse. 

Une chronique de Didier Destremau, ancien Ambassadeur et auteur de plusieurs ouvrages

* Son Excellence l’Ambrassadeur, 2023, Editeur Librinova

*  Vers la terre permise, 2019, Editeur Baland

*  Syrie carrefour des civilisations et des convoitises, 2019, Editeur : Les Indes savantes

               « Nous étions convaincus à tort que la Syrie était exsangue »

La  délégation de l’AFS (Amitiés France-Syrie) a découvert une situation qu’elle n’anticipait pas, convaincue à tort que le pays était exsangue et soumis à une intransigeante économie de guerre. L’idée que nous nous faisions d’un pays accablé par douze années de guerre, affamé et subissant des pénuries de tout a été largement battue en brèche et modifiée par ce que nous avons constaté : en dépit des dures sanctions que subissent les populations, la capitale est bien vivante, affairée et vibrante d’activité. Terriblement encombrée de véhicules ce qui démontre une existence intense. Bien entretenue, elle ne se départie pas de la plupart des cités européennes.  Il est vrai toutefois que la délégation de l’AFS n’a pu sillonner tout le pays et les périphéries sud de la capitale. La ceinture nord de cette métropole, banlieues et villages dans lesquels furent menés d’âpres combats contre les djihadistes est totalement en ruine. Toutefois aucun stigmate de guerre n’est observable dans la ville elle-même qui semble avoir été épargnée.

Toutefois la pauvreté voire la misère d’une partie de la population apparait trop souvent comme ces pauvres femmes usées qui, accompagnées d’enfants, collectent le substrat des ordures pour survivre. Mais les cafés et restaurants sont pleins et il est évident que la jeunesse déborde de gaité et d’énergie. Musulmans et Chrétiens se mélangent allègrement dans les rues et ruelles de la ville ancienne et, bien qu’arborant un voile, les filles musulmanes se baladent joyeusement, moulées dans un jean bien ajusté. Les générateurs encombrant les trottoirs et ronronnant bruyamment pallient les coupures de courant électrique qui frappent chaque quartier à son tour mais qui ne semblent pas émouvoir outre mesure les habitants.

Des magasins achalandés

Les conversations que nous avons tenues ont laissé entendre que les hôpitaux et les pharmacies manquaient de produits et que l’absence de certains matériels se fait cruellement sentir.  Toutefois les magasins débordent de marchandises diverses importées de nombreux pays d’Asie. Une caractéristique frappante est que la route de Beyrouth à Damas est encombrée de camions lourdement chargés circulant dans les deux sens. Il est manifeste que les autorités ont su pallier certains effets de sanctions et que l’homme syrien, débrouillard et agile a trouvé quelques parades pour vaincre au moins partiellement l’embargo. Par exemple, une filiale d’une société d’informatique américaine continue ouvertement à offrir ses produits y compris au gouvernement. Indicatrices imbattables de l’activité du BTP, de nombreuses grues occupent l’horizon. Cependant l’inflation qui dévalue considérablement leur monnaie rend difficile la vie quotidienne et inquiète grandement la population qui ne voit pas ses revenus suivre la spirale ascendante des prix.

Le vendredi, les mosquées peinent à accueillir tous les croyants qui s’y pressent, un nombre significatif venant des pays voisins, Irak et Liban notamment pour des pèlerinages à la mosquée des Omeyades. Tandis que le dimanche les églises sont, elles aussi remplies de fidèles pleins de ferveur…

Un peuple sophistiqué

Nous le savions mais avons été rassurés et abasourdis par l’extrême sophistication des gens rencontrés, diplomates et fonctionnaires tout autant que les boutiquiers, hôteliers, restaurateurs, ecclésiastiques ou chauffeurs de taxi : le peuple qui a traversé une longue guerre interne suivie des dures sanctions internationales qui frappent dur certains secteurs se montre extraordinairement résilient et ardent de poursuivre une existence « normale ».

Ce constat ne peut faire oublier que des régions restent encore en marge du contrôle du gouvernement, que les ruraux sont plus à la peine que les citadins, que des Syriens continuent à choisir l’expatriation temporaire et des millions d’entre eux vivent encore en exil …
Issus notamment des personnes francophones, de vifs reproches, polis mais difficilement contenus sont adressés à la France qui les a « trahis » en faisant fi des liens séculaires qui unissaient les deux pays. Que Paris applique les décisions de l’UE ne les surprend pas mais qu’elle semble être le fer de lance pour le maintien des sanctions et le boycott diplomatique les consternent et les désespèrent. Les déclarations à l’emporte-pièce du ministre français des AE les laissent pantois et amer : après douze années, que ces sanctions qui frappent essentiellement la population soient maintenues voire renforcées les affligent tout autant que la persistance à exiger un changement de régime politique pour renouer des relations : la France va-t-elle attendre des décennies avant de réaliser ce que la Syrie a apporté au monde en éliminant la menace djihadiste et de constater qu’elle perd son aura en se montrant aussi rigide ? Constatant que de nombreux membres de l’UE n’ont pas coupé leurs relations diplomatiques, culturelles et économiques avec la Syrie ou s’apprêtent à les renouer, l’intransigeance de notre pays leur semble incompréhensible : la France a-t-elle vraiment décidé de disparaitre du Moyen-Orient ?
Notre intention en organisant cette mission était justement de prouver aux Syriens que le peuple français ne les oublie pas, qu’il partage leurs préoccupations, souhaite leur bonheur et qu’il désire retrouver les amitiés et les relations d’antan.

 

Nous avons pu prendre le pouls de cette population solide mais anxieuse pour son avenir qui, sobre et courageuse parvient à exister normalement.
Notre mission ne sera toutefois accomplie pleinement que lorsque les sanctions qui la frappent seront levées et que la France rebâtira tenacement les liens qui l’ont uni pour le bénéfice de nos deux nations.

 

                                 

 

                                 

 

 

L’association d’amitié France-Syrie (AFS) annonce qu’une délégation de son conseil d’administration se rendra en Syrie du 15 au 19 mai prochain. Elle est composée du président et de cinq autres de ses administrateurs. Elle rencontrera des membres de la société civile, des dirigeants des cultes principaux, le directeur du Croissant rouge ainsi que le ministre de la culture.

 L’objectif de cette mission est d’assurer le peuple syrien que le peuple

français est toujours à ses côtés dans les moments très difficiles qu’il traverse. Il répétera résolument l’espoir qu’il a que se renouent les contacts féconds qui existaient entre eux deux depuis des siècles.

[1] CF annex