Des intellectuels et des personnalités signent un texte dans « Libération » qui demande au monde de l’entreprise et de la finance de mettre la main à la poche comme l’ont fait un certain nombre d’hommes d’affaires, qu’il s’agisse de la Fondation Bill Gates ou du mécène mauritanien Mohamed Bouamatou
Ces personnalités sont William Bourdon, avocat à la cour d’appel de Paris , Mireille Delmas-Marty, juriste, professeur émérite au Collège de France , Cynthia Fleury, professeure titulaire de la chaire Humanités et santé au Conservatoire national des arts et métiers , Edgar Morin, sociologue et philosophe , Gaël Giraud, directeur de recherche CNRS, jésuite et Sabah Abouessalam Morin,, sociologue
La finance responsable avec la crise sanitaire qui ravage le monde, au lieu d’être un oxymore, peut-elle devenir un pléonasme ? Avant l’irruption du virus planétaire, un autre virus commandait l’essentiel des choix des grands acteurs financiers du monde, le retour sur investissement, et, dans sa version dévoyée, la cupidité. Et plus fâcheux pour le bien commun, un virus du cynisme qui semblait s’obstiner à devenir universel. Rêvons tous que l’altruisme, non seulement y résiste, mais, face à toutes ces catastrophes annoncées, le mette à terre définitivement. Certes les principes sont toujours disputés par quelques exceptions, le budget de la Fondation Bill Gates (5 milliards de dollars) pèse plus que celui de l’OMS (2 milliards de dollars).
Ces retours de gratitude pour l’humanité, qui a permis à de grands mécènes de s’enrichir tant, n’effacent pas la résistance de certaines grandes fortunes mondiales à franchir le Rubicon et accepter un sacrifice autre que cosmétique. Or la prise en compte de l’intérêt général exige davantage aujourd’hui.
Urgence radicale et vitale
Mohamed Bouamatou, homme d’affaires franco-mauritanien, président de la Fondation pour l’égalité des chances en Afrique, appelle aujourd’hui les grands acteurs économiques, privés et multinationales, africains, à sauver un continent qui risque de se retrouver, demain, dans «un bourbier sans nom». Personne ne peut oublier le travail de lobbying incessant des grands acteurs du marché pour détricoter, sinon disqualifier, l’action menée par des citoyens et leurs mandataires, les ONG, pour imposer des normes contraignantes qui fassent que quand ils prétendent être aussi coresponsables, sinon plus, de notre destin commun, ils cessent de se payer de mots sur notre dos. Stocker de l’éthique semble être devenu la meilleur bouée, parfois, pour organiser son irresponsabilité juridique.
Face au fléau qui nous menace, et pour que le monde ne se défasse pas, urgence radicale et vitale à changer de paradigme. La crise sanitaire que nous traversons et dont nous ne pouvons que griffonner les conséquences, en fabrique une à court terme, hors normes, sans précédent, un besoin d’argent immense et immédiat pour parer au plus pressé, limiter la casse, porter secours aux plus démunis, et bien sûr protéger ceux qui sont en première ligne, la communauté des soignants. L’argent pour limiter aussi les dilemmes atroces, un choix de Sophie qui va s’universaliser pour arbitrer entre des choix impossibles, sans oublier personne. Pensons aux dizaines de millions de migrants parqués dans des camps partout dans le monde, menacés d’une mort silencieuse, une de plus.
L’ONG Oxfam, lors du dernier sommet de Davos, a dévoilé un rapport stigmatisant la concentration des richesses et l’aggravation des inégalités par le «capitalisme de rentier». 42 milliardaires détiennent la même richesse que 3, 7 milliards de personnes. 82 % de la croissance des richesses créées dans le monde ont profité aux 1 % des plus riches, alors que la situation n’a pas évolué pour les 50 % les plus pauvres. En France, les plus riches détiennent l’équivalent de 30 % du PIB, et le montant cumulé des 500 plus grandes fortunes de France a été multiplié par trois en dix ans, atteignant un record de 650 milliards d’euros. Les pouvoirs publics demandent des sacrifices incommensurables à nos citoyens, pour une grande part, déjà fragilisés, alors que l’extrême pauvreté en France n’a cessé de croître ces dernières années. Certes les plus riches n’ont pas le monopole en France d’une difficulté à dépasser l’horizon de leurs intérêts particuliers, sinon catégoriels, pour participer collectivement à la protection des grands intérêts publics. Mais notre pays n’est encore guère une terre de traditions où les plus grandes fortunes, spontanément, agissent fortement en faveur du bien commun. Il ne serait pas absurde de commencer.
La contagion peut être aussi vertueuse
Lançons tous, partout, sur tous les supports, un appel aux grandes fortunes françaises pour, imitant Mohamed Bouamatou, qu’elles annoncent la création d’un grand fonds de solidarité nationale. Un concours qui pourrait être aisément dans un premier temps de l’ordre du milliard, au soutien de nos hôpitaux, des chercheurs, et de la communauté des plus démunis et de ceux qui sont menacés de paupérisation rapide par la crise sanitaire. Une telle annonce serait une première absolue dans l’histoire de notre pays et romprait avec des décennies d’indifférence. Des cagnottes essaiment sur les réseaux sociaux, alimentées par de nombreux citoyens chacun à sa mesure. A la leur, nos grandes fortunes nationales pourraient en ouvrir une, d’urgence. Et, dans la durée, pour des montants significatifs. Certains ont versé leur écot pour Notre-Dame, le sacré, c’est plus que jamais l’humanité.
L’intérêt général c’est le temps long et c’est cette temporalité-là déjà lourdement menacée par le réchauffement climatique, la financiarisation de l’économie l’est aujourd’hui, par une temporalité courte, le compte à rebours que chaque jour écrit la pandémie. Contribuer au redressement de notre pays, réduire les situations dramatiques, est un gage pour eux à long terme de conserver, sinon de retrouver leurs richesses. Accélérer la recherche pour trouver le vaccin, sauver ou stabiliser des vies en risque de déroute complète est un antidote pour demain éviter des désordres. Ils n’ont rien à perdre et tout à gagner. Personne ne peut croire que cet effort que la nation est en droit légitimement d’attendre d’eux, altérera lourdement leur train de vie, leur projet. Les héritiers de Bill Gates ont été lourdement déshérités pour financer la fondation de leur père, mais ils lui ont rendu grâce.
Faisons un rêve aussi, que ceux qui n’ont cessé de s’enrichir pendant les années en spéculant à la baisse, quand les marchés s’effondrent, soient inoculés par un minimum de civisme et lèvent le pied. Diffusons partout cette invite faite aux plus fortunés de France, opportunité historique, de donner l’exemple, de façon inédite, à toute l’Europe et au monde. La contagion peut être aussi vertueuse, nous devons toutes les susciter et les réinventer. Et si une telle annonce en traînée de poudre invitait les plus grands rentiers du monde à peut-être apprendre à faire leur deuil des logiques court-termistes et d’accumulation qui sont aujourd’hui des malédictions ? La bourse ou la vie? Non, la solidarité, meilleur antidote contre l’effondrement.
À LIRE AUSSIAux Etats-Unis, 2 000 milliards pour sauver l’économie frappée par le coronavirusWilliam Bourdon avocat à la cour d’appel de Paris , Mireille Delmas-Marty juriste, professeur émérite au Collège de France , Cynthia Fleury professeure titulaire de la chaire Humanités et santé au Conservatoire national des arts et métiers , Edgar Morin sociologue et philosophe , Gaël Giraud directeur de recherche CNRS, jésuite , Sabah Abouessalam Morin, sociologue