Ces cinq dernières années, il s’est passé des bouleversements géopolitiques d’ampleur inégalée comparativement aux 50 années précédentes. L’Afrique doit les intégrer dans ses grilles de lecture pour affirmer davantage sa place sur l’échiquier mondial.
Une chronique de Moussa Mara, ancien Premier ministre malien
Cinq changements profonds structureront l’environnement géopolitique international.
La Pandémie du COVID qui a effrayé la planète, réduit significativement les perspectives économiques et profondément modifié les dynamiques sociales de nos sociétés, constitue la première de ces évolutions géopolitiques. Elle a illustré une nouvelle menace majeure que constituent les bactéries et les maladies. Elle nous a montré qu’il ne peut y avoir aucune frontière contre la circulation des virus, ce qui nous force à une collaboration internationale pour y faire face. Cela au profit du multilatéralisme, au moins sectoriel, avec l’OMS à laquelle les Etats unis ont de nouveau adhéré après l’avoir quittée avec fracas.
La Pandémie a suscité une forte réaction des grandes puissances, d’abord pour eux-mêmes (vaccins, médicaments, soutien aux populations au prix de grands efforts budgétaires, détection…) et ensuite pour aider les autres. Cela montre que les Etats demeurent, malgré tout, le recours ultime de nos pays.
Enfin, la période post covid, caractérisée par un fort redémarrage des économies, une pression significative en matière de demande de biens et donc des chaines logistiques très sollicitées, a entrainé une hausse de couts, des delais et donc des prix. La forte inflation mondiale a impacté la planète et les pays faibles en accusent encore le coût à ce jour.
La Guerre en Ukraine, dont on a de la peine à imaginer les conséquences majeures sur les dynamiques internationales, constitue le second bouleversement à prendre en compte. C’est le premier conflit à haute intensité en Europe depuis 70 ans ayant entrainé des dizaines de milliers de morts, des millions de déplacés et des milliards de dollar de pertes de part et d’autre. L’action de la Russie a fait naitre chez les Européens la peur existentielle de la destruction et de la disparition et cela pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale.
Effet immédiat, les Etats européens se sont jetés dans les bras de l’OTAN et des Etats unis, précipitant la fin de l’Europe de la défense et le renforcement de l’alliance atlantique ainsi que de l’influence américaine. Ces acteurs sont engagés à faire plier la Russie quoi qu’il en coûte et ils en ont les moyens.
Les Etats unis ont dépensé plus de 50 milliards de dollars de soutien à l’Ukraine, et viennent d’ajouter 1 milliard supplémentaire il y a quelques jours. Ce simple milliard qui ferait pourtant l’affaire de la CEDEAO pour financer sa stratégie de sécurité pour l’Afrique de l’Ouest !
Les questions climatiques, faits non nouveaux mais dont la visibilité à travers des phénomènes naturels destructeurs est manifeste ces dernières années, constitue le troisième bouleversement géopolitique à prendre en compte. Les impacts sont majeurs notamment sur les pays sahéliens, les pays côtiers, les petites iles et cela risque d’être de plus en plus dévastateur dans le futur. Il existe encore de grandes réticence des pollueurs à respecter leurs engagements climatiques et financiers et des divergences significatives demeurent entre les puissances sur cette question. Ce qui n’augure pas de lendemains meilleurs dans ce domaine.
La zone de confrontation géostratégique que constitue l’Asie va s’affirmer autour des questions liées à la mer de chine méridionale et aux ambitions de Pékin dans la région. Cette situation constitue une constante géopolitique et un fait marquant de mieux en mieux connu par les pays du Monde. Elle forme le 4e fait significatif impactant les rapports internationaux.
Cela intervient dans un contexte d’affirmation du pouvoir de Xi Jinping sur son pays et pour quelques temps. C’est l’ambition d’une Chine décomplexée, souverainiste et voulant contrôler son voisinage alors que celui-ci représente le cœur de la richesse mondiale et donc une priorité pour les Etats unis qui y mettent en œuvre des stratégies de « containement » de la chine (AUKUS, QUAD avec l’Australie, le royaume unie, l’inde et d’autres pays). La question de Taiwan est une autre source complexe de tension. Ainsi les rivalités entre la Chine et les USA se poursuivront et sont en train de diviser le G20 comme cela a été visible lors du récent sommet de cette organisation, tenu à NEW DELHI.
Le recul du multilatéralisme politique, illustré par l’impuissance de l’ONU à se reformer pour prendre en compte par exemple le japon, l’Inde ou l’Afrique comme membres permanents du Conseil de Sécurité, constitue la dernière donne géopolitique à prendre en compte. Elle se traduira par l’incapacité de plus en plus visible des nations unies à régler les conflits majeurs ou encore la multiplication des veto émis par les membres permanents quand leurs intérêts individuels seront en jeu. L’organisation ne sera pas également en mesure de contraindre les grandes puissances sur les questions majeures comme le climat, la dette des pays pauvres ou encore les conflits.
Ces réalités structureront les rapports diplomatiques internationaux et constitueront la toile de fonds des relations entre les Nations et les Continents pendant les décennies à venir.
Cela permet d’anticiper le paysage géopolitique des vingt-cinq prochaines années. Anticipation qui devrait aider le Continent à se positionner pour en tirer le plus grand profit possible.
Les Perspectives géopolitiques
L’affaiblissement du multilatéralisme issu de la fin de la seconde guerre mondiale, mentionnée au chapitre précédent, consacrera le système des ententes particulières entre les Nations et du consensus et des actions communes uniquement quand cela ne dérange pas les intérêts des hyper puissances. Il faut anticiper le maintien du discrédit relatif des Nations unies, son fonctionnement minimal et l’absence de réformes majeures la concernant. En revanche, il est tout à fait envisageable un fonctionnement plus efficient de ses structures, ses initiatives et ses instances multilatérales sectorielles comme l’OMC (commerce), l’UNESCO (éducation, science, culture), le PAM (nutrition), l’OMS (santé), le FAO (agriculture), l’ONUDI (industrie)…. Il est également possible que des avancées sur les questions climatiques soient constatées si les sociétés civiles dans les pays développées arrivent à impacter les politiques.
Le « Match » USA – Chine ou Occident – Chine se jouera et son terrain de jeu sera planétaire et même inter planétaire car il inclura sans doute l’espace également. La confrontation entre les USA et la Chine, ou entre l’Occident et la Chine, se mettra en œuvre avec l’implication et l’arbitrage de puissances moyennes (Inde, Brésil, Japon, Russie, France, Indonésie, Nigeria…) au cas par cas et selon les dossiers. Son théâtre principal sera la zone indopacifique. La Chine jouera la carte du sud (BRICS), la dédollarisation, le souverainisme et la non-ingérence dans les affaires internes des Etats. L’Occident jouera la carte des valeurs universelles, la liberté ou encore la démocratie. En ce qui concerne la Russie, elle sera handicapée par la Guerre en Ukraine et finira par faire un compromis qui l’affaiblira. Elle s’inscrira plus profondément dans un camp ou dans l’autre en fonction du sort de sa direction actuelle.
L’Afrique dans cette perspective risque d’être un acteur marginal comme c’est le cas actuellement. Notre Continent est d’abord un terrain d’opportunité économique ou un levier d’influence (comme pour la France par exemple) pour les autres. Il n’est pas uni et est de ce fait faible et malléable. Il reste peu en mesure de parler d’une voix y compris sur les questions majeures comme l’énergie, l’industrialisation, la dette, le financement de l’UA, la zone de libre-échange…De manière localisée, l’Afrique est le théâtre de confrontation liée aux intérêts sécuritaires ou économiques comme en Afrique de l’Ouest avec la question Russe et Wagner.
Les grands pays leaders du Continent (Egypte, Nigeria, Ethiopie, RDC, Afrique du sud), semblent orientés d’abord sur eux-mêmes comme les puissances en dehors du continent, et présentent quelques fois des faiblesses internes significatives comme la RDC ou l’Ethiopie qui les empêchent d’exercer totalement leur leadership. Pour ce qui concerne par exemple l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, le défi de la sécurité restera une priorité. La construction étatique également avec les questions relatives à la gestion des minorités et la nécessité d’établissement de nouveaux contrats sociaux. Cette partie du Continent doit relever le challenge stratégique de l’unité sous le leadership du Nigeria pour ensuite adresser les enjeux liés à ses grands chantiers (monnaie, infrastructures, libre circulation…).
Repositionner favorablement l’Afrique
Le regard lucide de la situation géopolitique mondiale laisse peu de place à l’Afrique pour peser et être un acteur qui compte. Les places qu’elle occupe lui sont généralement concédées par d’autres comme on vient d’en être témoin pour ce qui concerne le G20. Tant que le Continent sera balloté, invité et positionné par d’autres, il lui manquera toujours une pièce pour s’imposer, orienter, induire…bref décider ! Il lui faut donc faire preuve d’audace pour gagner cette posture. Cela passera par l’engagement de mesures significatives.
La première est de s’unir et de se rassembler à l’intérieur des pays aussi bien politiquement que socialement, convoquer tous les génies créateurs (diaspora, …), libérer les énergies, créer un environnement où elles peuvent s’épanouir et s’orienter progressivement pour la constitution d’ensembles nationaux compacts mobilisés vers une destinée commune. Il n’est pas possible d’obtenir des unions solides entre les nations si au sein de ces dernières il n’y a pas d’unité minimale vers les regroupements régionaux.
Les unions régionales sont les réels pivots de l’unité continentale. I
l faut constituer ces blocs autour de certains idéaux et objectifs comme, par exemple, en Afrique de l’Ouest – CEDEAO avec l’harmonisation politique, la diplomatie commune, la même monnaie, une industrialisation autour de quelques filières régionales et des infrastructures communes en matière d’énergie, de voies de communication (routes, voies ferreux ou fluviales…). Pour ce faire, nous aurons besoin que le pays leader qu’est le Nigeria soit prêt à occuper pleinement ce rôle.
Ce sont les régions qui feront ensuite l’Afrique. Ce ne peut pas et ne doit pas être les Etats qui sont trop nombreux pour s’entendre sur un minimum. Autrement dit, il faut obtenir les « Régions unies d’Afrique » plutôt que les « Etats unis d’Afrique ».
Nous devons ensuite être pragmatiques et savoir profiter du monde de confrontation qui s’annonce pour tirer notre épingle du jeu. Nous devons savoir faire la promotion de la science et des savoirs, développer nos capacités d’anticipation et d’analyse et capitaliser de vraies compétences de négociations dans nos inter relations avec les grandes puissances. Nous devons éviter la dispersion sur les sujets majeurs et savoir dialoguer avec elles en groupe. Faisons évoluer le format des sommet « Afrique – pays X » ou « Afrique – pays Y » en conséquence.
Enfin il ne faut ne jamais oublier que la seule certitude pour le futur est finalement l’incertitude qui l’enveloppe ! Tout ce qui est savamment planifié peut être balayé par un évènement. Par conséquent, ce qu’il faut intégrer c’est la nécessité d’être agile, de disposer d’une capacité d’adaptation et de résilience face aux défis.
Autant de buts impossibles sans la création de consensus autour d’idéaux, d’ambitions et de visions communes à l’échelle d’un pays mais aussi d’une région et de l’ensemble du Continent.
Moussa MARA
www.moussamara.com