Les dernières initiatives de plusieurs ministres montrent que l’État de droit a vécu en Centrafrique et que l’État de nature l’a remplacé. Il n’ y a quasiment plus de limites aux opérations de captation privative de ce qui était du ressort de la puissance publique. L’ intérêt général a disparu au profit de l’enrichissement personnel.
En Centrafrique tout se vend et s’achète. Il n’ y a plus aucune limite dans la vente à l’ encan des permis d’exploitation des sites miniers, des marchés de fournitures, des marchés d’infrastructures, des concessions que l’on n’ose plus appeler de services publics, des prétendus partenariats public-privé (PPP).
Les situations les plus extravagantes ne surprennent plus. Comme par exemples, la présence de groupes rebelles, qui tyrannisent la population, dans le gouvernement ou la candidature du député Jean-Michel Mandaba à la présidentielle, alors même qu’il a avoué avoir touché un pot-de-vin de 40 millions de franc cfa d’une société chinoise pour l’exploitation illégale d’un site minier. Nombre de malfrats seront élus députés dans la prochaine Assemblée nationale.
Tout est bon pour faire du cash. On peut évoquer le choix, hors procédure réglementaire, de la société libanaise Al Madina pour la confection des documents officiels dont les cartes d’identité dites sécurisées, avec un coût majoré pour le citoyen, totalement illégal par rapport au prix fixé dans la loi de finances. Une fois payé ce surcoût, le citoyen devra se contenter d’un simple récépissé. La carte d’identité attendra. On devine les conséquences pour identifier les futurs électeurs des scrutins du 27 décembre 2020. L’ exemple de l’aéroport Bangui Mpoko est aussi symptomatique de la duplicité, depuis une décennie, des autorités centrafricaines, avec une certaine complaisance des bailleurs internationaux.
L’ aéroport de Bangui, tirelire du régime
L’ aéroport de Bangui Mpoko est l’un des plus vétustes et les moins sécurisés d’ Afrique. La mise aux normes internationales de l’ OACI fait l’objet de missions d’experts et de réunions ad hoc, quasiment chaque année. Suite à cela, les projets de sécurisation et de la rénovation de la piste d’atterrissage, de la modernisation de l’aérogare et de la mise aux normes des installations de navigation aérienne se succèdent avec les financements de dizaines de milliards de Fcfa de l’ Asecna, de l’ Agence française de développement, du Fonds saoudien, de la Bad, de la Bdeac et de la Banque mondiale. Depuis dix ans, deux ministres des Transports et de l’ Aviation civile se relaient pour obtenir les financements et pour maintenir le statu quo, sans le moindre avancement des travaux. Il s’ agit de Théodore Jousso et de Djoubaye Abazene, très proches du président Touadera, depuis le temps où il était premier ministre.
Théodore Jousso, également très introduit à l’Asecna a été durant de nombreuses années le responsable technique et financier de ce » serpent de mer ». Les scandales ont été régulièrement dénoncés sans inquiéter pour autant les bailleurs. En revanche, ces scandales lui ont porté préjudice dans sa candidature à la tête de l’ASECNA. L’ impunité ne dépasse pas les frontières de la Centrafrique. Quant à Djoubaye Abazene, l’actuel ministre, parent de l’ ex président Michel Djotodia, il ne peut rien lui arriver car il est la caution Goula au régime de Bangui.
Le projet de concession au turc Damnus
C’ est à quelques semaines des scrutins du 27 décembre 2020, qu’est survenu l’affaire du projet de concession au conglomérat turc Damnus de l’ aéroport de Bangui. Cette urgence interpelle. On rappellera aussi, le camouflet subi par Théodore Jousso dans sa candidature pour la présidence de l’ Asecna. Cette institution intergouvernementale qui gère et exploite les aéroports de dix-huit États francophones n’a désormais plus aucun intérêt pour le gouvernement centrafricain. Le licenciement des 250 agents de l’Asecna ne serait que broutilles. L’ abandon de la surveillance des aéroports secondaires par l’ Asecna est devenu sans intérêt, étant donné la perte de contrôle des trois-quarts du pays et la gestion par la Minusca.
Alors que la campagne électorale aurait dû conforter le secret de ce projet de concession, le syndicat des agents de l’Asecna, grandement menacés, a décidé de porter l’ affaire sur la place publique et mis ainsi fin à la totale discrétion de ce contrat léonin, qui aurait été engagé avec l’entreprise Damnus.
Les concessions de PPP existent dans la de nombreux États membres de l’ Asecna. Jamais, ils ne se font hors du cadre Asecna, en dehors des procédures obligatoires habituelles et avec des avantages aussi exorbitants au bénéfice du concessionnaire. Notre excellent confrère Africa Intelligence donne des détails de cette concession qui s’apparente à un abandon de souveraineté. Un document aurait été signé le 23 octobre 2020.
Le Groupe Damnus aura deux années pour faire les travaux de sécurisation, de modernisation et de maintenance de la gestion et de l’ exploitation de l’aéroport. L’investissement, estimé à 30 millions d’euros, sera largement amorti par les concessions financières faites par le gouvernement. On évoque 70 % des revenus des frais des services au passager, avec un maximum de 75 000 passagers annuels, ouvrant droit à compensation en cas d’un nombre inférieur et de manque à gagner, et 100 % des revenus des frais de manutention, de fret et de stationnement. La concession aura une durée de vie de 30 ans.
L’ État centrafricain se privera des recettes qu’aurait pu lui obtenir une gestion nationale, avec le concours de l’agence nationale de l’aviation civile (ANAC) et la société de développement des infrastructures aéroportuaires de Centrafrique ( SODIAC). Ces deux structures parapubliques avaient bénéficié d’une convention de coopération avec la France, le 19 janvier 2019, pour la formation et les appuis techniques. On rappellera également que le président Touadera avait inauguré en grandes pompes, le 4 novembre 2019, un immeuble flambant neuf, surdimensionné sur 4500 m2, pour permettre à l’ANAC et à la SODIAC d’être opérationnel en matière de sécurité et d’ exploitation nationale. Manifestement, les priorités sont aujourd’hui toutes autres….
Cette disparition de l’ État de droit a de quoi inquiéter pour la transparence, la crédibilité et le respect du code électoral pour les scrutins du 27 décembre 2020. L’ ONU, l’ Union africaine, l’ Union européenne, les représentants de ces organisations à Bangui assurent que ces scrutins seront un pas important vers la paix et la réconciliation nationale. Donnons rendez-vous après ces élections.