C’est dans une atmosphère particulièrement tendue et fiévreuse que près de 3,7 millions de Libanais doivent se rendre aux urnes ce dimanche 15 mai pour élire 128 députés pour un mandat de quatre ans, qui débutera officiellement le 21 mai. Près de 142.000 expatriés libanais, sur 225.000 électeurs inscrits au niveau de la diaspora, avaient déjà voté avec enthousiasme les 6 et 8 mai dans 58 pays à travers le monde.
Une chronique de Michel Touma
Ce scrutin est jugé crucial au Liban et revêt, effectivement, un caractère existentiel du fait que son enjeu dépasse largement le cadre étroit de la simple bataille électorale traditionnelle. Ces élections législatives opposent deux grands camps politiques, l’un mené par le Hezbollah pro-iranien et le second (qualifié de souverainiste) regroupant l’ensemble des partis et personnalités qui s’opposent avec véhémence à l’emprise de plus en plus croissante de la République islamique iranienne sur le pouvoir libanais.
Ce bras de fer a ainsi clairement une connotation géopolitique régionale dans la mesure où c’est l’influence iranienne au Liban, sur les bords de la Méditerranée et à la frontière Nord d’Israël, qui est en jeu. Le Hezbollah s’enorgueillit en effet d’être le principal bras armé des Gardiens de la Révolution iranienne, les pasdarans, non seulement en territoire libanais, mais surtout dans plusieurs pays du Moyen-Orient. A l’instigation du pouvoir iranien, ce parti chiite joue un rôle-clé dans la guerre syrienne pour sauvegarder le régime de Bachar el-Assad, de même qu’il est directement impliqué dans les conflits en cours au Yémen et en Irak, sans compter son soutien actif à l’opposition chiite pro-iranienne à Bahreïn et la campagne médiatique qu’il mène de façon assidue et de manière régulière contre l’Arabie Saoudite.
Afin de pouvoir jouer un tel rôle régional, le Hezbollah bénéficie d’un appui militaire, logistique, politique, économique et financier, sans limite. Et pour cause : la doctrine politique que ce parti a élaboré lors de sa fondation, au milieu des années 80 du siècle dernier, stipule clairement que pour toutes les décisions d’ordre stratégique, notamment la décision de guerre et de paix, le Hezbollah s’en remet de manière inconditionnelle et aveugle au Guide supérieur de la Révolution iranienne (actuellement Khamenei), dont les décisions sont sans appel du fait qu’il bénéficie d’une légitimité divine (donc non contestable) et non pas populaire.
L’édification d’un Etat souverain
Fort de ce large appui accordé par une puissance régionale, le Hezbollah entreprend sur le plan local, parallèlement à son rôle régional, d’étendre progressivement ses tentacules à tous les échelons du pouvoir libanais. Dans le même temps, il entrave et bloque l’édification d’un Etat central souverain, libre de ses décisions, capable de restaurer une stabilité et une prospérité durables dans le pays, car la réalisation d’un tel objectif national serait un obstacle majeur à son rôle-pivot au service de la stratégie expansionniste des pasdarans iraniens.
C’est dans un tel contexte global qu’ont lieu les élections du 15 mai. Dans le but de mettre un terme à l’emprise iranienne sur le pouvoir et afin de juguler le rôle régional et la boulimie politique du Hezbollah, les partis, formations et personnalités souverainistes mènent une dure bataille électorale contre le parti pro-iranien et ses alliés locaux, dont notamment le courant du président de la République Michel Aoun. Ce bras de fer, qui déterminera lequel des deux camps pourra arracher une majorité parlementaire, se déroule dans des conditions particulièrement difficiles du fait que le Hezbollah n’épargne aucun moyen milicien et mafieux pour menacer et exercer des pressions sur les candidats chiites qui refusent d’être sous sa coupe et qui se sont alliés aux courants souverainistes, dont notamment le parti chrétien des Forces libanaises qui présente une liste à Baalbeck-Hermel, l’un des principaux fiefs de la formation pro-iranienne.
Ce «barrage» souverainiste électoral dressé face au Hezbollah comprend les Forces libanaises, le Parti socialiste progressiste (formation druze conduite par Walid Joumblatt), le parti chrétien des Kataëb, le courant du député sortant Michel Moawad, l’ancien ministre (sunnite) de la Justice et ex-chef de la Police libanaise, le général Achraf Rifi, les diverses factions et personnalités sunnites qui se sont dissocié du chef du courant du Futur (sunnite), Saad Hariri qui a annoncé, sans fournir d’explication, son retrait de la vie politique à quelques semaines du scrutin. A ceux-là s’ajoute la poignée de candidats chiites qui n’ont pas cédé face aux menaces et pressions du Hezbollah.
C’est en inscrivant ce panorama électoral global dans le contexte régional du conflit qui oppose la République islamique iranienne à nombre de pays arabes, plus particulièrement les Etats du Golfe, que l’on peut évaluer la dimension géostratégique de ces élections législatives qui pourraient ouvrir une nouvelle page dans le cours mouvementé de la profonde crise libanaise.