Le Gambien Yahya Jammeh, l’Egyptien Abdel Fattah Al-Sissi, l’Equato-guinéen Teodoro Obiang Nguema. La composition du front de refus à l’intervention de la force africaine de prévention et de protection au Burundi (Maprobu) donne, à elle seule, la mesure de la dramatique erreur commise par les Chefs d’Etat de l’Union africaine (UA) réunis samedi et dimanche derniers à Addis-Abeba lors de leur 26 ème Sommet. Au pouvoir depuis 1996, Jammeh dirige d’une main de fer son pays, alternant exécutions de condamnés à mort, arrestations de journalistes, harcèlements d’opposants et charlatanisme d’Etat ; Obiang Nguema, qui est arrivé au pouvoir en 1979 après fait exécuter son oncle et prédécesseur, ne tolère ni opposition démocratique ni liberté de presse tout en préparant son fils Teodorin à lui succéder.
Quant Al-Sissi, il a assis son règne sur la répression implacable des frères musulmans et la mainmise sur tous les leviers du pouvoir. Ce n’est donc pas tant le choix de ces trois chefs d’Etat, peu soucieux de leur propre peuple, de s’opposer au déploiement de la force africaine au Burundi qui scandalise. Mais la décision de l’organisation continentale de se ranger à leurs arguments. En amont, la Commission de l’UA et les ministres des Affaires étrangères ont mûri la décision d’intervenir, y compris contre l’avis du pouvoir en place à Bujumbura, invoquant le précédent rwandais (génocide de 1994 avec ses 800.000 morts dans l’indifférence de l’Afrique) et la nécessité du leadership africain dans la gestion de cette crise. Comme pour conforter le camp des partisans de l’intervention militaire, Amnesty International a établi vendredi 29 janvier que des fosses communes ont été creusées pour enterrer les victimes de la répression du 11 décembre 2015. Alors que tout plaidait en faveur d’une confirmation de la décision annoncée dès le 17 décembre par la présidente de la Commission de l’UA NKosazana Dlamni-Zuma, les chefs d’Etat africains ont préféré botter en touche.
Véritable fuite en avant
Derrière l’argument du respect de la souveraineté nationale du Burundi, se cache une véritable fuite en avant. « Cet argument-là n’est pas du tout convaincant, déplore le politologue Alfred Shango de l’Université parisienne Sorbonne Nouvelle. Un des objectifs même de l’UA, c’est d’avancer vers la supranationalité, vers la construction d’une unité africaine. Surtout dans le cas d’espèce où un peuple est en danger. Sauf à répéter l’erreur de la non-action lors du génocide rwandais l’UA ne peut rester indifférente à ce qui se passe au Burundi ».
En réalité, Jammeh, Obiang Nguema, Al-Sissi et les autres ne veulent pas d’un précédent qui amènerait demain à empêcher d’autres Nkurinziza de martyriser leur peuple. Franchement, dans l’urgence actuelle de la situation au Burundi que valent les demi-mesures annoncées par le 26 ème sommet de l’Union africaine ?
A la place du déploiement de la force de 5000 hommes, les chefs d’Etat prévoient de dépêcher une délégation de haut niveau prendre langue avec NKurinziza. Ni la composition de cette mission ni la date de son arrivée sur place n’ont été définies. Au regard de la lourdeur des décisions de l’UA, l’arrivée de cette délégation de haut niveau n’est pas pour demain. Entre temps, les nouvelles victimes se compteront par centaines dans les quartiers de Bujumbura dits hostiles au pouvoir. « Le plus grand enjeu, c’est d’obtenir l’arrêt des massacres, des exécutions extrajudiciaires, soutient Florent Geel, Responsable Afrique de la FIDH. Pour l’instant, les tentatives de dialogue avec le président NKurinziza pour obtenir la fin des violences n’ont rien donné ».
Conséquences incalculables
Encore plus incertain, la mission devrait convaincre le président burundais de revenir sur son refus d’accepter la présence des soldats africains sur son territoire. Ce qu’il a toujours jusqu’ici refusé en expliquant que « tout va bien au Burundi et que tout ce qui est dit ou écrit sur la situation est sans commune mesure avec la réalité ».
La délégation devrait également convaincre le président d’engager le dialogue avec ses opposants. Or, les dirigeants de l’opposition sont soit en exil, soit en prison, soit enterrés dans les cimetières. Sous l’égide du président ougandais Yoweri Museveni, mandaté par la communauté des Etats d’Afrique de l’Est, des tentatives de dialogue ont eu lieu, sans succès, à Bujumbura puis à Kampala.
En passant de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) à l’Union africaine, les chefs d’Etats entendaient marquer un tournant dans la vie de la structure panafricaine. Ils souhaitaient en effet montrer qu’ils n’en sont plus au « syndicat des chefs d’Etat » tant décrié par la société civile et les intellectuels. Hélas, il n’y a pas meilleure façon de s’y prendre que la non-intervention au Burundi pour prouver le contraire de cette prétention.
On peut légitimement affirmer qu’en choisissant cette option, les chefs d’Etat africains ont préféré ménager leur pair NKurinziza plutôt que de voler au secours du peuple burundais. En tout cas, leur décision va conforter les extrémistes des deux camps. D’abord, celui du pouvoir qui trouvera dans la rétractation du 26 ème Sommet le feu vert à la poursuite de sa répression aveugle. Ensuite, le camp des opposants qui peut décider de s’en remettre désormais à la lutte armée. Le pays basculerait alors dans une nouvelle guerre civile, après celle de la fin des années 1990.
La capitulation de l’Union africaine ressemble finalement à un abandon du peuple burundais à son sort et à un mauvais signal pour le reste du continent.