Un peu plus d’un mois après la chute de l’ex chef de l’Etat Blaise Compaoré, le Burkina Faso s’est engagé sur le chemin de la transition avec succès. Après 27 ans de règne et d’accaparement des richesses du pays par le clan de l’ancien président, la société burkinabé n’a pas sombré dans un cycle de représailles sanglantes. Une grande victoire.
Plus d’un mois après le soulèvement populaire qui a mené à la chute de l’ancien président du Burkina Faso Blaise Compaoré, Ouagadougou, la capitale de ce petit Etat ouest africain d’environ 17 millions d’habitants, a retrouvé sa tranquillité. Longtemps vanté pour sa stabilité qui lui a valu d’attirer une grande communauté d’expatriés, ce pays pauvre enclavé aux confins du Sahel a, jusqu’à présent, largement réussi sa transition. A tel point qu’il a rapidement disparu des journaux français.
L’exception burkinabè
Dans la capitale, seuls quelques stigmates rappellent encore les soulèvements intenses qui ont secoué le pays en octobre. Sur l’avenue de l’indépendance, l’assemblée nationale et l’hôtel Azalaï où Blaise avait fait loger les députés de la majorité qui devaient voter la réforme constitutionnelle destinée à le maintenir au pouvoir sont en ruine. Des carcasses de voitures carbonisées gisent encore sur le sol. A quelques pas de là, la maison de François Compaoré, petit frère détesté de l’ex président qui s’était accaparé une grande partie de l’économie nationale, est ouverte aux quatre vents, entièrement désossée. Devant l’entrée, une dizaine de personnes tentent de vendre aux badauds de sinistres photographies montrant affirme-t-on l’ancien propriétaire des lieux s’adonnant à des sacrifices humains dans son jardin. Même décor de champs de bataille à la banque Coris dont François était l’actionnaire majoritaire ou à la maison d’Alizeta, la « belle mère nationale » connue pour son aisance légendaire à rafler les appels d’offres nationaux.
Autant d’attaques ciblées contre les personnalités proches de l’ancien pouvoir dont l’attitude prévaricatrice a cristallisé les haines de la population pendant les 27 ans de règne de Blaise. Cependant, et c’est là l’exception burkinabè, malgré une trentaine de morts parmi les manifestants dans des échanges de tirs, les violences ont rapidement cessé et le ras-le-bol général n’a pas dégénéré en revanche sanglante. Lors de cette étonnante révolte, la société civile qui a montré un empressement débordant à voir l’ex chef de l’Etat débarqué est même allée jusqu’à demander à ce qu’un militaire issu du corps d’élite chargé de la protection de Blaise, Isaac Zida, prenne dans un premier temps les rennes de la transition. La stabilisation exemplaire qui s’en est suivi s’est accompagnée du retour rapide d’un civil à la tête de l’Etat. Devenu président de la transition, le lieutenant colonel Zida a tenu sa promesse et passé le relais à Michel Kafando, ancien ambassadeur auprès de l’Onu, au terme des quinze jours prévus par l’Union africaine. Une réussite indéniable.
Les militaires à la manoeuvre
A y regarder de plus près, les militaires demeurent, cependant, une pièce centrale de la transition. Sur les vingt-six portefeuilles qui composent le nouveau gouvernement, quatre sont entre leurs mains dont celui de l’administration territoriale et de la sécurité (équivalent de l’intérieur) et des mines. Isaac Zida, ex numéro deux du régiment de sécurité présidentiel (RSP), l’ancienne garde rapprochée de Blaise suréquipée par rapport à l’armée régulière, cumule quant à lui les postes de premier ministre et ministre de la défense.
Dans les milieux politiques burkinabés, beaucoup considèrent aujourd’hui Zida comme l’homme fort du nouveau pouvoir. « Michel Kafando lui-même a été désigné par Zida quand l’opposition, divisée, n’est pas parvenue à proposer un nom. C’est lui qui, depuis, est en permanence sous le feu des projecteurs » note Hervé Taoko, journaliste pour le « Courrier Confidentiel » à Ouagadougou. Derrière la figure de Zida, l’influence possible du RSP et de son ex numéro un Gilbert Diendéré, grand homme de main de Blaise, font craindre que plusieurs dossiers brûlant ne restent enterrés. « L’aile militaire de l’ancien régime incarnée par le RSP a récupéré le mouvement populaire et cherche à préserver ses intérêts » estime Etienne Traoré, professeur de philosophie connu pour son engagement politique au sein de l’opposition.
Témoin des évènements qui ont conduit à la chute de l’ancien chef d’Etat, ce militant explique qu’un scénario différent de celui qui a conduit à la nomination de Zida était en négociation au moment de la démission de Blaise. « Le soir du 31 octobre, nous étions réunis à l’Etat major avec les militaires pour désigner un chef de la transition. La mise en place d’un directoire civilo-militaire était envisagée. Mais Gilbert Diendéré a finalement réussi à imposer Zida. ». Au Conseil national de transition, dix postes sur quatre-vingt dix ont été également imposés par le RSP. « Kafando et Zida forment un attelage politique capable de travailler main dans la main sans tomber dans une bataille de pouvoir ou d’influence » nuance cependant Zéphirin Diabré, chef de file de l’opposition. « Attendons de voir. Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions ».
De fait, l’actuel président, tout comme le premier ministre, ont fait preuve de fermeté vis-à-vis de l’ancien régime dans leurs déclarations. Tandis que Michel Kafando a annoncé vouloir lutter activement contre la corruption et « sévir sur le plan des sanctions », Zida a, pour sa part, promis la réouverture des dossiers des assassinats du journaliste Norbert Zongo et de Thomas Sankara, deux des plus sombres épisodes de l’histoire du Burkina. « Or, dans les deux cas, les membres du RSP sont les principaux présumés coupables » souligne un journaliste burkinabé. Dans quelle mesure les nouvelles autorités pourront-elles dans ces conditions faire toute la lumière sur ces affaires ?
Le nouveau pouvoir à l’essai
Programmée le 13 décembre prochain par le ministère de l’administration territoriale, la journée nationale d’hommage aux martyrs de l’insurrection suscite déjà la polémique. Prévue le même jour que l’anniversaire de l’assassinat de Norbert Zongo, la cérémonie provoque la colère des défenseurs de la cause du défunt journaliste qui pointent un risque de banalisation de l’affaire. Sujet extrêmement sensible, le dossier Zongo a déjà valu aux nouvelles autorités un premier cafouillage. Vingt-quatre heures seulement après sa nomination à la tête du ministère de la culture, l’ancien procureur de la République, Adama Sagnon, critiqué pour avoir prononcé un non-lieu dans l’affaire a été contraint de démissionner sous la pression populaire le 25 novembre.
Prévues pour novembre 2015, les élections législatives et présidentielles constitueront un véritable test pour la stabilité politique du pays. L’ordre de la tenue des éléctions pourrait s’avérer déterminant. Un scrutin présidentiel suivi de législatives pourrait assurer la formation d’une majorité forte capable d’appuyer l’exécutif. Reste à savoir également quelle attitude adopteront les actuels tenants du pouvoir qui ne sont pas autorisés à présenter leurs candidatures. Les militaires se rangeront-ils derrière un civil ou suivront-ils leur propre agenda ?