Alors que des élections présidentielles et législatives très disputées doivent se tenir le 27 décembre au Niger, après dix ans de règne du meilleur allié de la France dans la région, le Président socialiste Mahamadou Issoufou, Moussa Tchangari publie un texte qui s’interroge sur les vraies raisons du récent ballet ministériel français dans son pays.
Le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian s’est d’ailleurs signalé à ce sujet sur RFI le 6 novembre en affirmant, contre toute objectivité, que « la qualité de l’élection au Niger sera une référence pour toute l’Afrique ». « Elles vont avoir lieu, au moment où elles doivent avoir lieu, dans le respect de la Constitution », a-t-il dit, s’ingérant avec un incroyable parti pris dans un processus électoral contesté et laborieux, qui a tenu l’opposition à l’écart depuis des années.
Moussa Tchangari est le fondateur d’Alternative Citoyens et l’un des leaders les plus connus de la société civile nigérienne, plusieurs fois interpellé et incarcéré par le régime de Mahamadou Issoufou.
Trois (3) jours seulement après la visite au Niger de la ministre française de la défense, Mme Florence Parly, venue discuter des derniers développements de la situation sécuritaire au Niger et au Sahel, ce fut au tour de M. Jean Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères, de poser, hier, ses valises à Niamey pour des échanges avec les autorités nigériennes. Le Niger, nous le savons, est un pays stratégique pour la France ; pas seulement pour l’uranium qu’elle y exploite depuis bientôt 50 ans et qui contribue à assurer son indépendance énergétique, mais aussi et surtout pour sa position géostratégique et militaire (c’est à partir d’ici que Barkhane opère en partie), et son engagement dans la lutte contre ce qu’on appelle à Paris la « migration irrégulière ».
Les risques liés à un dérapage du processus électoral sont plus élevés qu’ailleurs
Au Sahel, la République du Niger est, on le sait très bien, l’un des pays les plus importants pour la France ; et par conséquent, sa stabilité mérite bien un ballet de ministres français à Niamey où l’atmosphère semble très chargée en ce moment. Les élections générales, qui se préparent dans ce pays, n’intéressent donc pas seulement les quelque 7 millions de Nigérien(ne)s inscrits sur les listes électorales ; elles intéressent aussi le gouvernement français qui, échaudé par les tensions post-électorales en cours dans certains pays du pré-carré, est certainement conscient qu’ici les risques liés à un dérapage du processus électoral sont largement plus élevés qu’ailleurs.
Au cours des points de presse qu’ils ont animés, les ministres français n’ont certes pas évoqué ces risques ; mais, il est difficile de s’imaginer que la question n’ait pas été abordée lors des entretiens en tête-à-tête. Les ministres français ne sont certainement pas venus au Niger pour parler seulement des opérations militaires conjointes contre les groupes armés qui écument certaines contrées du pays ; ils ne sont certainement pas venus non plus pour parler uniquement de la coopération entre les deux pays, de la situation humanitaire, des inondations et des conséquences de la COVID 19. L’enjeu au cœur de ce ballet ministériel ne peut être dissocié des élections à venir ; mais, personne ne peut dire, avec exactitude, ce que se sont chuchoté les deux parties.
Selon le compte-rendu de l’Agence nigérienne de presse (ANP), le ministre français des affaires étrangères, Jean Yves Le Drian, qui considère que « la sécurité du Niger est la sécurité de la France », a dit également ceci concernant les élections au Niger : ‘’les élections vont avoir lieu, au moment où elles doivent avoir lieu, dans le respect de la constitution et avec, je pense, la mobilisation et la transparence nécessaires’’ tout en soulignant que ‘’la qualité de l’élection au Niger sera une référence pour toute l’Afrique’’. On ne saura jamais quelles garanties il a obtenu auprès de ses interlocuteurs nigériens pour afficher un tel optimisme ; mais, on sait au moins que dans les milieux de pouvoir à Paris, élections de qualité en Afrique signifient souvent procédés purement formels garantissant la permanence des intérêts français.
Quoi qu’il en soit, il faut dire que la France peut toujours s’estimer heureuse au Niger ; car, même s’il est acté que le président Issoufou, son meilleur serviteur, cédera le pouvoir en avril prochain, il n’y a pas de risque que ce soit au profit d’un trouble-fête de l’ordre « françafricain ». Sur la trentaine de candidats annoncés, il n’y a pratiquement aucun dont on peut penser qu’il déroulerait un projet politique remettant clairement en cause « les acquis économiques et militaires » de la France au Niger. Et donc, pour cette raison, on ne peut exclure que l’un des objectifs du ballet français soit de concocter avec l’ami Issoufou quelque chose qui puisse faire illusion chez les autres amis qui se battent, encore très timidement, pour des élections au moins un peu plus inclusives. Ce n’est pas évident bien sûr ; mais, ça reste toujours possible.