Andrea Ngombet: « la logique de toute puissance » à l’origine du désastre sanitaire

Andréa Ngombet, leader de la société civile congolaise, ambassadeur One Young World et candidat à la présidence de la République du Congo, rappelle que les risques sanitaires ont été portés par la classe dirigeante africaine, souvent bi-nationale, et qui se soustrait opportunément aux obligations de quatorzaine.

S’il est vrai que la jeunesse africaine apparaît effectivement en capacité de penser la destinée collective de l’humanité, cela ne doit pas être une “jeunesse choisie”, “autorisée” par les mêmes et sur les mêmes critères qui nous ont conduits au désastre. La pluralité des voix, la démocratisation réelle de l’espace citoyen africain est la garantie de l’émergence d’un nouveau système.

VOIR CE QUE L’ON VOIT : L’IMPÉRATIF DE L’AFRO-RÉALISME

La pandémie Covid-19 ne bouleverse rien. Elle agit comme un révélateur des postures et des limites du système international westphalien où le seul mode d’existence est la conflictualité des volontés. S’il est vrai, aussi, que l’Afrique dispose d’atout face au Covid-19 par la jeunesse de sa population, il ne faut pas sombrer dans l’angélisme et voir que cette population est souvent en mauvaise santé (malnutrition chronique, poly-pathologie sous jacente de type sida, tuberculose, alcoolisme et hépatite) et vit dans un environnement défaillant (logement insalubre pluri-générationnel, faible ou absence d’accès à l’eau, faible accès à un système de santé et à l’éducation). Il faut donc regarder l’Afrique telle qu’elle est et non pas telle qu’on voudrait qu’elle soit.

Il est utile de déplorer le double standard de la mondialisation qui empêche la circulation des Africains sans masquer que l’arme migratoire est l’une des stratégies préférées des régimes corrompus pour réduire la pression démographique sur leur système. L’émigration est une soupape sociale pour les tyrannies.

Faire appel aux polices africaines qui pullulent de criminels de guerre est une fausse bonne idée. Les forces policières africaines ne maintiennent pas l’ordre, elles maintiennent les tyrans. Les migrants, qui ont fui leur pays pour cause de persécutions, seront livrés, pieds et mains liés à leurs bourreaux. La chasse à l’opposant politique, l’activiste, l’ethnie détestée pourra tranquillement se poursuivre. On parlera de rapatriement, mais il n’atteindront jamais leur pays, comme pour les disparus du Beach de Brazzaville.

De plus, les premiers cas de coronavirus importés en Afrique ont été le fait de la classe dirigeante africaine, souvent bi-nationale, et qui se sont opportunément soustraits aux obligations de quatorzaine. Par exemple le cas zéro officiel en République du Congo était le Conseiller du Premier Ministre, un citoyen Franco-Congolais de retour de Mission du Salon de l’Agriculture à Paris.

Nous devons donc plutôt chercher du côté de la logique de toute puissance et d’impunité, les raisons du désastre sanitaire annoncé.

Il faut toujours dire ce que l’on voit ; surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit.” disait Charles Péguy. Le lancement de la monnaie “Eco” ou encore la ZLAC ne sont pas plus que des annonces politiques, comme avant cela le NEPAD ou je ne sais quelle initiative bruyante de l’Union Africaine qui, faute de financement autonome, est devenue malgré elle un théâtre de la confrontation sino-occidentale. Enfin, le dynamisme économique africain est à corriger par sa croissance démographique ce qui en réalité tempère l’optimisme papier glacé de la Banque Mondiale.

Le tableau dressé est sombre. Il pourrait inviter au découragement. Nous, nous y voyons par delà le bien et le mal une opportunité, non pas de refondation, mais de dépassement de la dialectique du système international westphalien.

VERS UN SYSTÈME INTERNATIONAL DES “COMMUNS”

Notre proposition rejoint celle de Rama Yade sur la nécessité de nouveaux schémas de pensée et milite pour une rupture complète. La conflictualité sur les masques, la volonté légitime d’hégémonie de la Chine sont les briques d’un désastre qui peut à tout moment dégénérer en conflit armé. Il est donc illusoire, à notre avis, de vouloir faire que des institutions onusiennes fondées sur l’équilibre des puissances puissent accueillir une pensée nouvelle.

Voici nos cinq priorités :

1 – Il faut comme avec la SDN tirer un trait sur le dispositif ONUSIEN.  L’échec de l’ONU à mettre l’OMS, c’est à dire la santé de l’humanité, en dehors des querelles de puissances et des conflits d’intérêts pharmaco-industriels l’ont condamné pour de bon. L’illusion du “un pays une voix”, sans tenir compte du poids démographique et de la représentativité démocratique des dirigeants politiques, a rendu cette organisation inutile.

2 –  Sanctuarisation des “Biens communs de l’humanité”. Cette idée popularisée par Jeremy Rifkins souligne la nécessité de dépasser dans la pensée politique internationale la notion d’Etat-Nation pour reconnaître l’existence du “Bien commun de l’Humanité” comme L’Océan-mondial, le Bassin du Congo, les Pôles etc. C’est à dire des zones qui feront immédiatement l’objet d’une gestion collective adossée à une juridiction mondiale. L’Afrique pourra ainsi avoir sa place dans cette nouvelle configuration du système international qui valorisera non la force militaire et la capacité de projection mais la contribution à “l’utilité commune”. Ainsi au modèle intellectuel de la domination succèdera celui de la coopération interdépendante grâce à la renonciation à l’idée de souveraineté exclusive sur les communs.

3 – Oui le continent africain doit désormais transformer l’essai sur le plan politique. Il doit refuser que la parenthèse occidentale, commencée avec la découverte des Amériques en 1492, qui se referme n’enfante d’un monde illiberal, alternatif, clos autour de la Chine et de sa technoscience totalitaire. C’est là le risque de la notion de la souveraineté numérique africaine sans aucune contrepartie de gouvernance démocratique et de justice indépendante.

4 – L’enjeu se situe dans cette capacité de synthèse de l’universalité de l’idéal démocratique et de renforcement des contre-pouvoirs (société civile, justice, corps intermédiaires etc.). Le défi en Afrique et dans le monde est capacitaire. Les citoyens ne doivent pas être largués par la toute puissance d’un appareil étatique techno-scientifique omniscient.  La crédibilité et la légitimité ne pourront être que le résultat de l’expertise et de l’éthique dans ce monde incertain.

5 – Le nouveau souffle que nous voulons est le dépassement du Westphalisme. L’ordre géopolitique des non-alignés restait trop timide sur les questions de bonne gouvernance et justifiait les violations graves des droits humains sur l’autel de l’idéologie anti-impérialiste. Quant au Festival des Arts Nègres, il restait comme son nom l’indiquait, un rendez-vous communautaire, une survivance du paradigme de la classification des races. Un Festival des Arts humains devra lui succéder comme prévu dans la vision du Banquet de l’Humanité de Sedar Senghor.

Post-racial, post-westphalien voilà le modèle politique et économique alternatif que nous portons pour notre pays, le continent Africain et le Monde.