Dans une libre opinion parue dans « le Monde », quatre militants algériens des droits humains, dont Djaffar Amokrane, collaborateur de Mondafrique, soulignent la duplicité d’Emmanuel Macron dans ses interventions ahurissantes sur l’Algérie
C’est à travers une interview publiée le 20 novembre dans l’hebdomadaire Jeune Afrique que le président français s’est invité dans les affaires algériennes. En évoquant Abdelmajid Tebboune, le chef de l’Etat algérien, Emmanuel Macron marque une entrée par effraction dans le débat intérieur du pays. Il apporte son soutien à un président « courageux », dit-il, alors que cela fait des semaines que M. Tebboune est absent et que sa légitimité n’a jamais été aussi contestée. En témoignent les dernières élections (référendum pour la constitution) pendant lesquelles le taux de participation le plus bas de l’histoire a été enregistré.
Les propos de M. Macron tombent d’autant plus mal, qu’ils interviennent en pleine campagne d’arrestations de militants du Hirak, de recul des libertés individuelles et collectives, et de purges intestines au sein des services de sécurité. Le système algérien traverse une phase d’instabilité inhérente à son fonctionnement : les luttes des clans deviennent sa marque de fabrique.
Prompt à dénoncer les pays non africains (comme la Turquie et la Russie) qui alimentent le sentiment anti-français sur le continent, le président français se permet de s’immiscer dans des luttes intestines
Le seul « courage » auquel Emmanuel Macron devrait faire écho est celui d’un peuple pacifique qui réclame, depuis plus d’un an, les mêmes droits que le peuple français : à savoir un Etat civil et démocratique. Ses paroles remuent les douleurs d’un passé commun dont les plaies ne sont pas encore refermées. Prompt à dénoncer les pays non africains (comme la Turquie et la Russie) qui alimentent le sentiment anti-français sur le continent, le président français se permet de s’immiscer dans des luttes intestines qui ne peuvent susciter que polarisation et cristallisation de la crise en Algérie.
Dans son interview sur Al-Jazira le 31 octobre 2020, Emmanuel Macron a rappelé les fondements de ce qu’est la société française en disant : « Je défendrai toujours dans mon pays la liberté de dire, d’écrire, de penser, de dessiner…. Ces droits de l’homme qui ont été pensés, voulus, créés en France, je considère que c’est notre vocation de les protéger et de protéger aussi la souveraineté du peuple français qui le veut ».
Le président Macron fait l’apologie des droits et de la souveraineté du peuple français mais oppose un déni au peuple algérien
C’est au nom de la liberté de dire et d’écrire que le journaliste Khaled Drareni a écopé de deux ans de prison ferme en Algérie. C’est au nom de la liberté de dessiner que le caricaturiste Nime a été incarcéré et condamné à 3 mois de prison ferme. C’est au nom de la liberté de penser et de conscience que le militant Yassine Mbarki a été condamné à 10 ans de prison ferme. Et c’est pour ces mêmes droits qu’un contingent de plus de 80 détenus politiques croupit dans les prisons du « courageux » président algérien.
Le président Macron fait l’apologie des droits et de la souveraineté du peuple français mais oppose un déni au peuple algérien qui revendique les mêmes droits : deux poids, deux mesures. Les droits universels ne peuvent faire objet de hiérarchisation des peuples.
« Je ferai tout ce qui est en mon possible pour aider le président Tebboune dans cette période de transition », promet le président français, sans définir la nature de cette transition qui est plus intrasystème que dans l’intérêt du peuple algérien. Les tenants des leviers du pouvoir en Algérie considèrent que la stabilité du système est prioritaire sur celle du pays. Toutes les décisions politiques s’orientent dans cette optique avec pour corollaire des violations des libertés.
Evoquer une transition dans cette configuration d’une « Algérie nouvelle » relève de l’absurdité plus que d’une réalité avérée.
La jeunesse algérienne aspire à vivre dans son pays en exerçant pleinement ses droits citoyens. Appuyer un système dont la gouvernance repose sur la répression et l’atteinte aux libertés, la corruption comme mode de gestion, la violence comme moyen de contrôle, génère un climat de désespoir. La jeunesse, démographiquement majoritaire, se voit ainsi encouragée à emprunter les chemins migratoires qui deviennent le seul imaginaire porteur d’espoir. La vision court-termiste du président français, quant à une transition imaginaire, est un pari hasardeux. L’habituel défaut du politique est de ne pas prévoir l’orage par beau temps.
Comment est-il possible pour le président Macron de vouloir plaire à l’opinion dite « arabe » en affirmant, via la chaîne panarabe Al-Jazira, qu’il défend les droits de l’homme et toutes les libertés, et en même temps d’apporter sa caution à ses dirigeants autoritaires qui bafouent et piétinent tous ces principes ? Le grand écart n’a que trop duré.