Le départ du général Toufik de la direction du DRS (services algériens) provoque une vaste manoeuvre de déstabilisation du pouvoir algérien. Ses sympathisants ont baptisé cette offensive « l’opération de l’article 88 » (1) qui dans la constitution algérienne fait état de l’impossiblité pour le chef de l’Etat d’exercer ses fonctions
Malgré sa récente démission forcée, le général Toufik, tout puissant patron des services algériens (DRS) pendant un quart de siècle. n’est pas mort, loin de là. Certains de ses relais prétendent même que le décret présidentiel qui acte son départ n’a pas été encore signé par Abdelaziz Bouteflika. Autant dire la légende du redouté Toufik, longtemps le vrai patron de l’Algérie à la tète de services forts de 100000 hommes dont 30000 hommes de troupe suréquipés (contre 5000 à 6000 pour la DGSE française et 3000 pour le contre espionnage de la DCRI), n’est pas morte.
La guerre de tranchées engagée par ses partisans contre la Présidence algérienne a commencé au début du mois d’octobre. Le général Toufik recevait dans sa villa du Club des Pins des personnalités du monde politique algérien. Ces visites courtoises ont permis aux hauts responsables algériens qui doivent leur carrière à l’ex-patron du DRS de préparer une riposte pour faire revenir leur parrain aux affaires, ou du moins pour forcer le pouvoir à organiser, dans les six mois à venir, une élection présidentielle relativement propre et non fraudée, où Toufik jouerait un role décisif dans le choix du successeur.
En réalité, ce n’est pas le départ du général Toufik qui a provoqué le sursaut des partisans du patron de l’Algérie que fut Toufik pendant un quart de siècle. La véritable goutte d’eau qui fait déborder le vase est le maintien en détention du général Hassan, ancien patron de l’anti-terrorisme et interlocuteur des Français, et le traitement humiliant imposé au général Benhadid, aautre mentor du DRS, qui croupit lui-aussi en prison. Les temps ont en effet changé pour les hauts cadres militaires. Depuis l’arrivée de Toufik à la tète du DRS en 1990, d’où il rêgnait sur le pays, il avait fait en sorte qu’aucun général ne puisse être trainé devant la justice et encore moins placé en détention. « Nous sommes le vrai DRS, des patriotes qui restons fidèles au rôle qu’a joué l’institution militaire depuis l’indépendance et notamment durant les années noires de la guerre contre le terrorisme », expliquait en octobre à « Mondafrique » un général à la retraite de passage à Paris. Et d’ajouter: « Nous avons des sympathisants dans les principales régions militaires, nous ne nous laisserons pas faire ».
Le DRS rempart contre le terrorisme
Le transfert du général Hassan à la prison d’Oran a suscité le courroux des anciens officiers du DRS mis à la retraite. Ces derniers, selon nos sources, sont partis interpeller le général Toufik pour lui demander de réagir officiellement. Le général Hassan, de son vrai nom Abdelkader Aït Ouarabi, figurait parmi les plus fidèles hommes du général Toufik. Ses mésaventures en prison sont vécus comme un véritable « déshonneur » au sein des cercles fidèles au général Toufik. « Bouteflika et ses conseillers savent très bien que la solidarité de corps au sein du DRS est sacrée. Même à la retraite, on n’abandonne jamais les collègues. Aujourd’hui, en dépit du renouvellement des structures des services que le général Toufik a négocié et accepté, Bouteflika continue à nous mépriser en traitant de la sorte un valeureux officier comme le général Hassan. Il faut que ça cesse », s’indigne un ancien gradé du DRS.
Existe-t-il un lien entre la colère des galonnés et l’initiative des dix neuf personnalités nationales qui ont réclamé une audience à Bouteflika pour mettre en cause sa capacité à diriger encre le pays? On peut l’imaginer. « Nous jouissons encore du respect et de la confiance de plusieurs politiques algériens que nous avons protégé durant les années 90. Nous avons sauvé la vie à plusieurs d’entre-eux durant la guerre civile. Ils connaissent la valeur des hauts gradés du DRS et leur rôle précieux dans la lutte contre le terrorisme. Ils ont été interpellés par notre colère et beaucoup d’entre-eux ont promis de donner leurs voix à nos revendications », souligne encore une fois l’ex-officier.
Ce dimanche 8 novembre, ces propos ont trouvé un étrange écho dans les déclarations médiatiques de Rachid Boudjedra, le célèbre écrivain algérien, très proche de plusieurs cercles militaires, qui a dénoncé clairement l’arrestation par des « civils » de généraux qui « étaient le fer de lance de la guerre contre les islamistes », a-t-il dit dans une déclaration au site algérien TSA.
Bouteflika trahi par les siens
Ces anciens gradés nostalgiques du DRS de Toufik avancent désormais l’idée qu’un Bouteflika consensuel ne voulait pas la guerre avec les services, mais qu’une partie de son entourage a tout fait pour attiser les braises de la discorde en le coupant des vrais leviers de décision. « Ces hauts gradés ont convaincu plusieurs politiques et anciens ministres que Bouteflika a perdu le contrôle à cause de santé. Selon eux, Bouteflika n’aurait jamais prolongé la détention du général Hassan. »
Un deal, semble-t-il, avait été conclu entre les deux hommes forts du régime algérien, Bouteflika et Toufik, avant que ce dernier ne soit mis à la retraite. Le président algérien avait promis de libérer le général Hassan et de ne pas enclencher une purge contre ses fidèles compagnons. « Mais la réalité fut tout autre », explique un autre ancien militaire à la retraite très au fait de l’actuelle situation.
Toufik pas mort
En quelques jours, le travail de sape des anciens compagnons de route de Toufik -« l’opération « article 88 »- a provoqué d’indéniables résultats. Le doute s’est installé dans le pays sur la capacité d’Abdelaziz Bouteflika à controler son proche entourage, notamment son frère Saïd. Le débat sur sa santé déficiente bat à nouveau son plein. La presse étrangère se fait l’écho de cette fièvre. Bouteflika qui affichait sa volonté de « démilitariser » l’Algérie a de plus en plus l’image d’un infortuné Président séquestré par ses proches, sans prise sur les querelles qui agitent le sérail et totalement débordé par l’opération « mains propres » qui a été enclenché contre les anciens du DRS et leurs alliés dans le monde des affaires.
Mais l’opération « article 88 » n’obtiendra la destitution de Bouteflika que si lelle surfe sur une contestation populaire contre le locataire d’El-Mouradia. Mais ce dernier pourrait lacher du lest et ordonner à son chef d’état-major, Ahmed Gaïd Salah, de libérer le général Hassan, le dernier des représentants des Mohicans, et le général Benhadid, l’homme qui incarnait la facette médiatique des relais du DRS.
La guerre de la succession vient à peine de commencer. Une certitude, Toufik est toujours vivant, bien vivant, et sa toute puissance toujours fantasmée par le peuple algérien.
(1) Art. 88 – Lorsque le Président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil Constitutionnel, se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement.
Le Parlement siégeant en chambres réunies déclare l’état d’empêchement du Président de la République, à la majorité des deux tiers (2/3) de ses membres et charge de l’intérim du Chef de l’Etat, pour une période maximale de quarante cinq (45) jours, le Président du Conseil de la Nation, qui exerce ses prérogatives dans le respect des dispositions de l’article 90 de la Constitution.
En cas de continuation de l’empêchement à l’expiration du délai de quarante cinq (45) jours, il est procédé à une déclaration de vacance par démission de plein droit, selon la procédure visée aux aliénas ci-dessus et selon les dispositions des alinéas suivants du présent article.
En cas de démission ou de décès du Président de la République, le Conseil Constitutionnel se réunit de plein droit et constate la vacance définitive de la Présidence de la République.
Il communique immédiatement l’acte de déclaration de vacance définitive au Parlement qui se réunit de plein droit.
Le Président du Conseil de la Nation assume la charge de Chef de l’Etat pour une durée maximale de soixante (60) jours, au cours de laquelle des élections présidentielles sont organisées.
Le Chef de l’Etat, ainsi désigné, ne peut être candidat à la Présidence de la République. (..) »