Le modèle de coopération entrepreneuriale doit se confronter aux crises démocratiques africaines. Président du think tank O2A installé à Bordeaux, Alain Dupouy porte l’espoir de solutions innovantes qui commencent par l’éducation et la formation.
Par Hichem Ben Yaïche et Nicolas Bouchet
Président du think tank O2A (Objectif Afrique Avenir), vous êtes aussi homme d’affaires et chef d’entreprise. En deux mots, parlez-nous de votre lien avec l’Afrique ?
C’est à partir de l’année 2008 que j’ai véritablement mis le curseur sur les relations de coopération entre l’Afrique et Bordeaux. Quand Alain Juppé a été candidat à la présidence de la République, j’ai participé avec lui au réseau d’outre-mer et au réseau africain pendant la campagne de 2016. Après cet échec électoral, nous avons avec quelques amis constitué ce club pour parler des relations entre l’Afrique et la France et la politique qui pouvait en résulter.
Depuis 2016, de nombreuses personnes ont rejoint ce club qui sont issues de trois secteurs d’activité. Il y a des gens venus de l’entreprise et du monde économique, qui ont été à mon contact au Medef, au CIAN ou lorsque j’étais conseiller au commerce extérieur français. Une deuxième grande catégorie sociopolitique est celle des diplomates qui ont rejoint le club. Une troisième catégorie rassemble des militaires, des universitaires et des chercheurs. La particularité du club est d’être à moitié français et à moitié africain.
Au fond, vous êtes des influenceurs dans ce lieu de débat et de rencontres. Mais quelle est la vocation profonde de cette structure ?
C’est de faire la part des choses et d’être des observateurs. Un certain nombre de membres, en particulier les Africains, sont là en tant qu’experts politiques et économiques venus des pays d’Afrique de l’Ouest, du Centre et de l’Est. La vocation du think tank est de réfléchir aux questions essentielles de la relation entre l’Afrique et la France.
On oriente de plus en plus le débat vers les régimes politiques et sociaux démocratiques, les gouvernances, les pratiques de l’Etat de droit. On n’a aucune vocation militante si ce n’est d’être partisans des gouvernances démocratiques.
Aujourd’hui, pesez-vous sur les acteurs et la réalité ? Qu’apportez-vous à ces rencontres Afrique – France ?
Nous n’avons pas la prétention d’être des influenceurs et si nous le sommes, tant mieux ! Nous avons des rapports privilégiés avec certains acteurs. Du fait de ma proximité avec Alain Juppé, j’ai noué des relations avec des cadres du Quai d’Orsay, qui se poursuivent aujourd’hui. Je peux dire en toute modestie que notre club peut représenter une source d’information de terrain.
Nous avons une double activité. Une activité au quotidien d’observation et de relais d’informations au travers de nos analyses et de nos voyages. Une autre par l’organisation, depuis notre création, de huit forums sur des sujets d’actualité. Nous en organisons un neuvième ce mois-ci. Nous faisons suivre ces forums d’un rapport officiel que nous transmettons aux autorités françaises et aux représentations africaines en France. Pour que ces informations fassent le tour des acteurs.
Les entreprises françaises réalisent 40 mds € de chiffre d’affaires par an. C’est dire leur poids en Afrique et cette coopération. Plusieurs sommets ont eu lieu en septembre et en octobre dont le sommet Afrique – France de Montpellier ou Ambition Africa. On a l’impression que la France reste la capitale de l’Afrique mais il y a aussi ce décalage considérable de voir la France mal perçue en Afrique. Comment l’expliquez-vous ?
Il y a une évolution dans la relation entre la France et l’Afrique depuis les mauvais moment de ce que l’on appelle la Françafrique. Aujourd’hui, au plan économique, il y a une régression incontestable de ce partenariat malgré tous les efforts qui sont faits par le Medef, le CIAN et les patronats locaux dans les pays africains. Mais il y a aussi la concurrence.
On ne peut prétendre indéfiniment que la France est un partenaire privilégié. On ne voit pas pourquoi on contesterait ce qui va dans le sens du développement des peuples africains. Mais le sentiment antifrançais a une incidence sur nos relations économiques. Il est dû à la perception qu’a en particulier la jeunesse des pays africains non pas des Français mais d’une certaine complaisance de la France envers certaines pratiques politiques.
En fermant les yeux ou en cautionnant certaines actions, la France provoque ce sentiment anti-français chez les peuples. Prenons le cas de la Guinée. Les choses y ont changé par la voie militaire mais on a toujours essayé d’entretenir des relations avec la présidence, ce qui est difficile.
Avec ce socle commun d’histoire partagée, comment innover ou rénover cette relation pour sortir de cette espèce de procès croisé ?
Depuis un an dans notre club, nous avons mis sur la table l’analyse démocratique, des gouvernances, des positions de la jeunesse vis-à-vis de l’éducation, des relations des peuples avec la France.
La rencontre de Montpellier, faite sans chefs d’Etat, a permis de faire entendre au Président des points sur lesquels les populations s’étonnent aujourd’hui. C’est pourquoi nous réfléchissons maintenant aux solutions qui permettront de changer les choses. La France va s’adapter au nouveau système en mettant sur la table un certain nombre de solutions.
Participent à notre débat des acteurs comme Cellou Diallo qui nous fait part de son analyse de la Guinée, des gens qui commentent l’actualité de pays africains pour en retirer l’application qui peut en être faite pour changer le comportement de la France.
Aujourd’hui, si l’on regarde les chantiers existants, vers quoi faut-il aller pour cette reconstruction, cette coopération revue et corrigée ? Comment positiver et aller dans cette construction, trouver le chemin vers l’action ?
Il y a deux grands axes à remettre en question. D’abord celui de l’éducation et de la formation. Tout part de cette base. Il y a aussi l’importance que revêtent les femmes dans toutes ces organisations politiques et économiques. Ni la France seule ni la Russie seule ne peuvent y parvenir. C’est le travail de tout le monde.
Pendant que la France présidera l’Union européenne pendant une année, c’est le moment ou jamais de mettre ces questions sur la table. En 2018 s’est tenu un forum sur l’éducation à Dakar qui a débouché sur une possible collecte de fonds venus de pays et de collectivités. Ces fonds devaient être affectés à la rénovation de l’éducation et de la formation en Afrique. Il faudrait savoir aujourd’hui quelle peut être la participation de la France à l’adaptation locale de l’éducation plutôt que de faire venir les étudiants en France.
Il ne faut pas prétendre que la France sera le seul pays à avoir des partenariats économiques. Il faut que chacun applique sa spécialité. Macky Sall a dit en 2020 à la REF (Réunion des entreprises francophones) qu’il n’abandonnerait pas la France malgré la présence des Russes et des Chinois car il sait ce qu’elle est capable de faire pour les Africains et ce que ceux-ci peuvent lui apporter dans un échange.
On peut arriver par les spécialités à ce que chacun trouve sa place dans l’intérêt général du progrès. Ce n’est pas pour que les chefs d’Etat ou les grands chefs d’entreprise s’en mettent plein les poches ! Il faut savoir que c’est dans l’intérêt des populations.
Vous qui êtes Bordelais, vous connaissez la dimension souvent mal exploitée de la coopération décentralisée. Il y a un potentiel énorme qui ne prend pas suffisamment malgré les fonds disponibles. Mais on est toujours dans cette centralisation qui lamine les forces possibles de changement et de transformation. Comment expliquez-vous ce déficit ou cette mauvaise donne ?
Je ne l’explique pas vraiment mais je le déplore ! J’ai été un acteur de la coopération décentralisée et je reste un grand supporter de cet outil qui reste très important aujourd’hui. A Bordeaux, nous avons 19 villes jumelées dont quatre sont africaines : Bamako, Ouagadougou, Casablanca et Oran. Il y a aussi tout ce que nous faisons au titre de la Francophonie. Ces actions sont moins visibles mais très utiles aux populations, et très bien perçues. L’outil de la coopération décentralisée est peu pris en compte par les pouvoirs centraux et c’est dommage.
Par exemple, la police de Ouagadougou a échangé des points de vue et des méthodes avec la police municipale de Bordeaux. De même, les secrétariats généraux des mairies de nos villes ont échangé des méthodes de gestion. Ce sont des choses qui se passent sur le terrain. L’argent dépensé à cela est bien utilisé et profite aux usagers, c’est-à-dire aux populations. Je suis très favorable à ce que la coopération décentralisée soit rénovée et mise en valeur.
Dans cette vision d’un ensemble de partages entre l’Afrique et la France, peut-on aller vers quelque chose de nouveau par le numérique, les diasporas qui sont dans cet entre-deux ? Y a-t-il des terrains en friche ou insuffisamment explorés qui peuvent être mis au service de cette vision ?
L’aspect diaspora est très important comme on l’a vu au sommet de Montpellier. Mais il y aussi les binationaux qui circulent et apportent leur contribution au développement économique. Il faut aller chercher les méthodes nouvelles là où elles sont et je crois que les diasporas africaines ont leur rôle à jouer. Si l’on prend le cas du Cap-Vert, ce pays a montré un exemple excellent d’élections démocratiques. Ce pays a une diaspora très importante dans le monde et très utile.
@HBY et NB