Quatre otages, dont deux Italiens, la dernière otage française et le chef de file de l’opposition malienne, ont été libérés jeudi à Bamako après des mois de négociations avec les groupes armés terroristes.
Il faisait nuit, jeudi soir, lorsque les quatre otages sont descendus de l’avion les ramenant de Tessalit à Bamako, vêtus de boubous blancs glacés amidonnés de frais, enturbannés de blanc et masqués de bleu ciel, pour se jeter dans les bras de leurs proches. Le fils de Sophie Pétronin, 75 ans, enlevée le 24 décembre 2016 à Gao, s’est rué vers sa mère aux cris de « maman » et a soulevé son petit corps du sol, seul au monde avec elle sur le tarmac.
La vraie vedette est descendue après la médecin française. Soumaïla Cissé avait fière allure mais il s’était rendu presque invisible, sauf les yeux, derrière un masque chirurgical, le bas et le haut du visage enroulés dans un turban. Toute sa famille l’attendait, très émue mais discrète. Ses yeux brillaient lorsqu’il a embrassé son épouse.
Les deux Italiens, on les a tout juste entraperçus sur les images volées à l’arrivée de l’avion. Sans doute parce que ceux qui filmaient ne connaissaient pas leur existence, ou venaient de l’apprendre. Car toutes les sources informées des tractations, ces derniers mois, ne parlaient que de Sophie Pétronin et de Soumaïla Cissé.
Le nom du père Pierluigi Maccalli, enlevé le 17 septembre 2018 dans son église à Bomoanga, à l’ouest du Niger, près de la frontière avec le Burkina Faso, et celui de son compatriote Nicola Chiacchio, ingénieur aérospatial, dont les circonstances et la date de l’enlèvement n’ont pas été rendues publiques, n’avaient jamais été prononcés. Ils ont sans doute été ajoutés à la négociation tout récemment.
Un peu plus tard, la présidence malienne a reçu les otages dans un grand salon d’apparat de Koulouba. Le Président Bah N’Daw et son vice-président militaire, le colonel Assimi Goita, ainsi que le Premier ministre Moctar Ouane étaient présents. Pour eux, c’est un coup politique majeur, après des mois d’impuissance du gouvernement d’Ibrahim Boubacar Keita.
RFI, la promenade et l’eau fraîche
Sophie Pétronin, brunie par de longs mois de soleil ardent, se cachait la bouche avec un pan du turban, comme une femme touareg. Et lorsqu’elle a répondu aux questions de notre confrère de RFI, elle n’a pas trop cillé, gardant une voix tonique pour expliquer comment elle avait traversé ces quatre ans de solitude : la radio, les messages de soutien, la promenade et de l’eau fraîche.
Tout juste libéré, Soumaïla Cissé, 71 ans, enlevé le 25 mars dernier en pleine campagne des législatives dans sa circonscription de Niafunke (région de Tombouctou), a parlé en politique, devant une cohue de journalistes maliens.
Best Of Mali (6), des législatives minées par le rapt de Soumaila Cissé
« Je vais très bien, je suis sain et sauf. J’ai passé six mois dans des conditions difficiles (…) mais je n’ai subi aucune violence. » Il a ensuite tenu à remercier les autorités maliennes, notant que le lendemain de l’investiture du Président Bah N’Daw, ses geôliers avaient tourné avec lui une vidéo de preuve de vie ; il a également remercié les chefs d’Etat de la CEDEAO, les intermédiaires, le comité de crise, et surtout, le peuple malien, pour sa solidarité.
Les messages de sa famille, la radio, notamment RFI, et la télévision, auxquels il avait accès quotidiennement, l’ont aidé à traverser six mois de captivité et d’isolement. Enfin, il a eu une pensée pour les otages qui restent détenus aux mains des groupes armés. « Etre libre est un privilège, un grand privilège. Nul ne doit l’ignorer », a-t-il conclu dans un tumulte indescriptible.
Une négociation globale, menée pas à pas malgré les turbulences
Et de fait, c’était lui l’enjeu premier de ce grand marchandage, les otages occidentaux s’étant ajoutés, au fils des mois, à une négociation globale, patiemment menée malgré les obstacles, notamment le changement de régime au Mali après le putsch du 18 août dernier, le tâtonnement à la tête de l’Etat et les sanctions de la CEDEAO.
En tant que chef de file de l’opposition, présidentiable, et ami de nombreux et puissants leaders politiques à l’extérieur du Mali, Soumaïla Cissé était une figure nationale et régionale tout à fait exceptionnelle. Sa libération était une priorité absolue. L’ex Président Ibrahim Boubacar Keita, critiqué pour avoir mis en danger son adversaire par un manque de rigueur dans les mesures de sécurité pendant la campagne des législatives, avait, dès l’enlèvement de Cissé, créé un comité de crise au plus haut niveau de l’Etat.
De part et d’autre de la négociation, les parties ont fait preuve d’une organisation parfaite.
Des Touaregs de Kidal à la manoeuvre de part et d’autre
Du côté des ravisseurs, selon une source proche de ces dossiers, chaque katiba détenant un otage était représentée au sein d’un collège, qui a mandaté un négociateur unique : Seidan Ag Hita, ancien Garde national malien, Touareg de Kidal présenté comme très proche d’Yiad Ag Ghaly et ex combattant d’AQMI.
Du côté adverse, les Etats (Mali, France, Italie, Vatican) se sont également organisés et ils ont détaché un négociateur ad hoc, l’ancien député Hamada Ag Bibi, Touareg Ifoghas, ex député de la région de Kidal et ancien cadre d’Ansar el Dine, l’organisation dirigée par le djihadiste touareg Yiad Ag Ghaly, qui coiffe désormais la nébuleuse Al Qaida au Sahel sous le nom de Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). Ag Bibi est actuellement l’une des clés les plus sûres pour ouvrir les portes des cellules des otages du Mali. Il compte à son actif de nombreuses libérations.
Avant Ag Bibi, toutefois, un autre poids lourd du nord, Chérif Ould Taher, le parrain de la drogue au Mali, avait entrepris les premières discussions. Certaines sources disent que Moustapha Chafi, l’ancien conseiller spécial de Blaise Compaoré dans les libérations des otages occidentaux au Mali, aurait mobilisé les émirs du Qatar et leur générosité financière pour contribuer à la rançon. En juillet, Ag Bibi aurait succédé à Ould Taher parce que, nous a rapporté une source, « la France ne voulait pas utiliser les services d’un trafiquant de drogue notoire et elle a demandé aux autorités maliennes de l’écarter. »
En contrepartie de leurs otages, les groupes affiliés à AQMI ont exigé deux choses : des libérations de prisonniers, massives, sans précédent. On parle de plus de 240 prisonniers libérés, rapatriés le week-end dernier dans le nord du Mali. Beaucoup de ces détenus, parfois emprisonnés depuis plusieurs années, étaient des petites mains des organisations, mais quelques uns parmi eux de grands combattants, voire de très grands combattants.
Un véto américain imprévu
L’agence APA News écrit que les retards de dernière minute enregistrés depuis le week-end ont été provoqués par l’impossibilité de faire libérer Mimi Ould Baba Ould Cheikh, le cerveau des attentats commis le 13 mars 2016 à Grand-Bassam, en Côte d’Ivoire, et le 15 janvier 2016 contre le Capuccino et le Splendid Hôtel, au Burkina Faso, tous deux revendiqués par Al Mourabitoune de Mokhtar Belmokhtar. En effet, les Etats-Unis y mettaient leur véto, ayant condamné Baba Ould Cheikh par contumace pour la mort d’un évangéliste américain dans l’attaque de Ouagadougou.
Devant ce blocage imprévu, le collège de ravisseurs a réclamé in extremis une compensation financière.
Le plus difficile à vérifier, comme toujours dans ce genre d’histoire, est le montant de la rançon, qui sera toujours niée, comme il se doit. Les sources bien informées sur les négociations ont longtemps évoqué un chiffre entre deux et trois millions d’euros, lorsqu’il ne s’agissait que de Sophie Pétronin et Soumaïla Cissé. Mais aujourd’hui, d’autres sources au fait des discussions estimaient que la somme totale devait largement dépasser ce montant et avoisiner les 15 millions d’euros.
Quoi qu’il en soit, l’issue heureuse de cette négociation à haut risque est un succès pour tout le monde : les otages sont rentrés dans leurs pays et foyers respectifs, les chefs d’Etat se congratulent et félicitent leurs services de renseignement et leurs diplomates, la junte malienne a démontré sa capacité d’action et de décision.
Quant aux groupes armés affiliés à Al Qaida au Sahel, dont le Touareg Iyad Ag Ghaly incarne désormais le centre, ils remportent la mise. Avec des centaines de prisonniers libérés et les caisses de leurs organisations renflouées, nul doute que leurs louanges et celles de leurs chefs seront chantées longtemps dans les campements du nord du Mali.
Demain, la guerre pourra reprendre de plus belle.