Le 26 février 2025, Donald Trump a publié sur les réseaux sociaux une vidéo de propagande générée par l’intelligence artificielle, illustrant ce qui ressemblerait à la bande de Gaza sous administration américaine. La scène met en avant des enfants palestiniens émergeant d’une caverne pour découvrir une version transformée de Gaza, une station balnéaire luxueuse imaginée par le président des États-Unis. Des gratte-ciels imposants, dont une « Trump Gaza Tower », remplacent les habitations en ruines, tandis que Donald Trump et le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, savourent des cocktails au bord d’une piscine. Pendant ce temps, Elon Musk parade sur la plage, distribuant des billets de banque à des enfants.
Si cette mise en scène pourrait être perçue comme une provocation de mauvais goût – après plus de 500 jours de conflit à Gaza, les chiffres du ministère palestinien de la Santé font état de plus de 50 000 morts et 112 000 blessés – elle s’inscrit dans un projet politique plus large. En effet, le 4 février 2025, Donald Trump, aux côtés de Benyamin Netanyahou, a annoncé son intention de prendre le contrôle de la bande de Gaza – il a même proposé de l’acheter – afin d’en faire la « Riviera du Moyen-Orient ». Ce plan, soutenu par Israël, implique le déplacement forcé de près de deux millions de Palestiniens vers des pays arabes voisins, une mesure qualifiée de nettoyage ethnique par plusieurs organisations internationales de défense des droits de l’homme. Bien que ce projet puisse sembler irréaliste en raison de sa totale violation du droit international, il s’inscrit dans une série de décisions controversées prises depuis la réélection de Donald Trump, qui a réaffirmé son soutien inconditionnel à Benyamin Netanyahou le 15 mars 2025 en l’autorisant à rompre l’accord de cessez-le-feu avec le Hamas, et à entreprendre de nouvelles frappes sur Gaza. Cette reprise des hostilités a entraîné la mort de plus de 800 personnes en une semaine, précipitant une détérioration dramatique de la crise humanitaire et politique dans la région.
Reconstruire sans le Hamas ? Le pari à 53 milliards des nations arabes pour Gaza
À la suite de cette annonce, l’Égypte a organisé, début mars, un sommet de la Ligue arabe afin d’élaborer une alternative au projet proposé par le président américain. À l’issue de cette réunion, les pays arabes ont présenté un plan quinquennal de reconstruction de la bande de Gaza, dont le coût est estimé à 53 milliards de dollars. Ce projet se décline en trois phases : une première phase de transition, au cours de laquelle un groupe de « technocrates palestiniens indépendants » supervisera l’acheminement de l’aide humanitaire tout en procédant au déblaiement des ruines et à l’installation de logements temporaires. Par la suite, l’Autorité palestinienne (AP) – au pouvoir depuis les accords d’Oslo, mais éclipsé par le Hamas – reprendra le contrôle de Gaza, amorçant la construction de 200 000 logements ainsi que la réhabilitation des infrastructures publiques. Enfin, à l’issue de deux ans et demi, une phase de développement à plus grande échelle sera engagée, incluant l’aménagement de ports, d’un aéroport et de zones industrielles.
Ce plan, soutenu notamment par la Jordanie, l’Irak, Bahreïn, le Koweït, la Syrie et la Tunisie, ne fait cependant que peu mention du Hamas. Il repose sur l’hypothèse qu’à l’issue du conflit, le mouvement ne constituera plus une force politique ou militaire significative en Palestine. Or, bien que sévèrement affaibli par la guerre avec Israël – ayant subi la destruction d’une grande partie de son arsenal militaire et de ses infrastructures souterraines, ainsi que la perte de nombreux combattants – le Hamas demeure une entité active. L’élimination d’Ismaïl Haniyeh à Téhéran en juillet 2024, suivie de celle de Yahya Sinwar à Gaza en octobre de la même année, n’a pas entraîné la disparition du mouvement.
Son idéologie continue de perdurer, et le conflit en cours a, dans une certaine mesure, contribué à son enracinement. Ainsi, bien que le Hamas ne soit peut-être plus en mesure d’administrer la Palestine comme avant 2023, il est peu probable – à l’instar du Hezbollah au Liban – qu’il accepte une démilitarisation complète, ou qu’il cède le contrôle de Gaza à l’Autorité palestinienne. Le Hamas pourrait, à défaut, adopter un mode d’opération clandestin et s’infiltrer dans le corps policier que l’Égypte propose d’établir, composé de Palestiniens formés par les forces de sécurité égyptiennes et jordaniennes.
Projet Riviera : quand l’intérêt économique surpasse les considérations humanitaires
Par ailleurs, la possibilité d’un retrait israélien de la bande de Gaza demeure incertaine. L’armée israélienne (Tsahal) refuse déjà de se retirer du sud du Liban, en dépit des termes de l’accord de cessez-le-feu, ce qui laisse penser qu’Israël ne partira de Gaza que si l’élimination du Hamas peut être garantie – une condition difficilement réalisable. De plus, les États du Golfe, en particulier l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, pressentis pour financer une part importante du projet de reconstruction, pourraient refuser de s’engager dans le projet sans l’assurance que le Hamas ne représente plus une menace. Ces deux pays, farouchement opposés à l’idéologie frériste – mouvance idéologique dont le Hamas est issu –, conditionneront probablement leur soutien à l’éradication totale de l’influence du mouvement sur le territoire. Le retrait des troupes israéliennes de la bande de Gaza apparaît d’autant plus improbable en raison des procédures judiciaires engagées contre le Premier ministre israélien. Benyamin Netanyahu, accusé de crimes de guerre par la Cour pénale internationale et cité dans une enquête du Shin Bet pour falsification de documents datant du 7 octobre 2023, est conscient de la précarité de sa position. La poursuite du conflit lui permet de différer une chute qu’il considère inévitable s’il venait à perdre son poste. Ainsi, des considérations personnelles l’incitent à prolonger les hostilités. Dans cette optique, il adopte une posture de plus en plus offensive à l’égard du Hamas, illustrée notamment par le rappel d’Itamar Ben Gvir, ancien ministre de la Sécurité nationale, à son poste le 18 mars 2025. Figure majeure de l’extrême droite israélienne et ardent défenseur de l’expansion des colonies en Cisjordanie, le retour de Ben Gvir au sein du gouvernement israélien renforce l’hypothèse selon laquelle Israël n’envisage pas un retrait imminent de Gaza.
Face à cette impasse – la solution à deux États étant devenue obsolète et le plan égyptien offrant peu de perspectives viables – il convient de s’interroger sur la faisabilité du projet « Riviera » de Donald Trump, malgré son caractère profondément inhumain et illégal. L’attrait économique que représente la reconstruction de Gaza, en particulier sous une administration américaine et dans le cadre d’un projet de transformation en destination touristique, pourrait séduire plusieurs États. Il est envisageable que des puissances régionales telles que la Turquie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis choisissent d’ignorer les violations des droits de l’homme à l’encontre de la population palestinienne afin de prendre part à ce projet de reconstruction. L’opportunité financière, conjuguée à la volonté de conserver une position diplomatique acquise en tant que médiateurs durant la guerre Israël-Hamas, pourrait les inciter à soutenir le plan de l’ancien président américain.
Il ne fait également aucun doute que Donald Trump usera de moyens de pression, notamment diplomatiques, pour contraindre les États réticents à coopérer. L’Égypte et la Jordanie, pressenties pour « accueillir » les quelque deux millions de Palestiniens vivant actuellement à Gaza, pourraient être soumises à une réduction des aides financières américaines – une menace que le président américain a déjà formulée. Par ailleurs, des contacts auraient été établis avec le Soudan, la Somalie et la province du Somaliland afin d’envisager un accueil des réfugiés palestiniens. À cette fin, il est probable que Trump promette une assistance militaire au Soudan, en proie à une guerre civile, ainsi qu’à la Somalie, qui lutte contre l’insurrection djihadiste pour obtenir leur accord. De même, il pourrait œuvrer à l’établissement d’un état indépendant du Somaliland pour y envoyer une partie de la population palestinienne.
D’un point de vue juridique, le plan de Donald Trump pour Gaza constituerait une forme de nettoyage ethnique au regard du droit international et pourrait faire l’objet d’accusations de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre devant la Cour pénale internationale (CPI). Toutefois, compte tenu des politiques adoptées par l’ancien président américain en matière de migration – notamment la séparation forcée des familles, les expulsions de masse incluant des rafles dans les établissements scolaires, et l’incarcération de migrants illégaux à Guantánamo Bay, toutes considérées comme des violations manifestes des droits de l’homme –, il est peu probable que Trump se soucie de poursuites supplémentaires sur la scène internationale. Sa seule contrariété serait de voir son rêve d’obtenir le Prix Nobel de la paix – obtenu par Obama – à jamais s’envoler.
Des ambitions stratégiques dissimulées derrière le rêve touristique
Un doute majeur subsiste quant à la logique du projet « Riviera » de Donald Trump : quel intérêt aurait-il à annexer ou à acheter – comme il l’a lui-même suggéré – la bande de Gaza ? Fervent défenseur de la doctrine « America First », centré sur les intérêts économiques des États-Unis et initialement opposé à toute implication prolongée au Moyen-Orient, Trump ayant promis de mettre fin aux conflits entre Israël et le Liban et entre Israël et le Hamas, il adopte désormais une posture radicalement opposée, soutenant la reprise des combats par Netanyahou, tout en élaborant un projet de prise de contrôle sur Gaza.
D’un point de vue stratégique, disposer d’une présence terrestre à Gaza offrirait à Trump un levier diplomatique face à l’Iran et aux pays du Golfe, tout en permettant l’établissement d’une base militaire dans un territoire placé sous administration américaine, échappant ainsi à l’autorité d’un régime musulman. Sur le plan économique, la reconstruction de Gaza constitue une opportunité lucrative qui s’inscrit dans sa vision « America First » : il ambitionne de transformer la Palestine en un nouvel « Eldorado » touristique pour les Américains, à l’image de ce que fut Cuba dans les années 1950 – mais cette fois, sur les ruines d’un territoire ravagé par la guerre, et au prix de dizaines de milliers de vies palestiniennes.
Ainsi, au-delà de son caractère inhumain et de sa violation manifeste des droits de l’homme, le projet « Riviera » pourrait se concrétiser si la communauté internationale ne réagit pas. Une absence de mobilisation, notamment de la part des États européens et des instances internationales, reviendrait à entériner un processus assimilable à un nettoyage ethnique, l’un des plus documentés du XXIe siècle, et à en devenir tacitement complice.