La visite en France lundi et mardi du ministre saoudien de la Défense, le prince héritier Salman, devait se conclure par la la finalisation de contrats d’armement d’un montant de trois milliards de dollars en faveur des Forces Armées Libanaises, que l’Arabie Saoudite s’était engagé à financer lors d’une conférence internationale à Rome le 17 juin. Hélas, aucune signature ne viendra conclure la visite du dignitaire de Ryad à Paris. En effet la guerre de succession qui se livre aujourd’hui au Royaume wahabite ne tourne pas à l’avantage du ministre de la Défense et théoriquement l’héritier du trône. Autrement dit, les engagements du ministre face à François Hollande n’engagent pas nécessairement l’ensemble du pouvoir saoudien
Au détour d’un article du « Monde » daté du 3 septembre sur « la partie compliquée de Paris pour armer Beyrouth avec l’argent de Riyad », on apprend que le ministère français de la Défense vient de lancer un appel d’offres pour « mettre à jour l’organigramme des circuits de décision en Arabie Saoudite ». Quel aveu! Quelle innocence! En d’aures termes, le gouvernement français qui espère tant en cette période de vaches maigres sur les contrats d’armement promis par Ryad ne connait pas exactement les processus de décision qui sont à l’oeuvre au Royaume wahhabite. Et on le voit bien avec les résultats médiocres du voyage à Paris du prinde héritier et ministre de la Défense, Salman Ben Abdel Aziz Al-Saoud, reçu avec les honneurs à l’Elysée.
Il avait été prévu, lors d’une conférence internationale en juin à Rome, que les Saoudiens financeraient le programme d’armement de l’armée libanaise d’un montant de trois milliards de dollars (2,3 millions d’euros) et que des groupes français seraient commandités. Or aujourd’hui, rien n’est joué. Les premières propositions de matériels faites par Paris et Beyrouth ont été retoquées à Ryad. En tout cas, rien n’est signé au terme du voyage en France, les 1er et 2 septembre, du prince « héritier », qui pourrait fort bien n’hériter d’aucune charge royale. L’Orient est compliqué, trop apparemment pour les conseillers de François Hollande.
Une succession bousculée
Certes, le prince Salman, ancien gouverneur de Ryad, est présenté comme l’héritier du trône. En fait, cette succession n’a rien de certain. Tout d’abord, cet homme de 78 ans est
atteint par une très lourde pathologie. Mais surtout lui et les siens appartiennent lui au clan des « Soudayris » qui regroupe les frères de Fahd et leurs héritiers en ligne directe. Or le monarque actuel, Abdallah, n’est que demi-frère de feu le Roi Fahd et appartient au clan rival des « Shammars ». Autant dire que ses proches s’emploient à évincer le prince Salman du trône.
Octogénaire et de santé déclinante lui aussi, l’actuel chef d’Etat a ainsi verrouillé le sérail, en confiant à ses propres fils les postes clés du royaume. « Prudent et prévoyant, explique le journaliste et expert René Naba, le monarque a ainsi placé son fils aîné, Mout’eb au poste stratégique de deuxième vice-président du conseil. Son deuxième fils, Mecha’al, a été nommé gouverneur de la région de la Mecque, la capitale religieuse du royaume et son 3ème fils, Turki, gouverneur de Ryad, la capitale politique et financière ».
Parallèlement, trois membres éminents du clan Sultan, du nom de l’inamovible patron du ministère de la défense pendant trente ans, ont été évincés par une série de décrets parus le 14 mai 2014. Bandar Ben Sultan, l’ancien chef des services de renseignement, dégagé en février, a ainsi entraîné dans sa disgrâce ses deux frères. Ainsi Salman Ben Sultan, son adjoint opérationnel en Jordanie au sein du PC intégré de l’alliance islamo atlantiste et Khaled Ben sultan, vice-ministre de la défense. Tous les deux ont été déchargés de leurs fonctions.
Salman, lui, a longtemps été le plus proche collaborateur de son frère Bandar du temps où son aîné occupait le poste d’ambassadeur d’Arabie saoudite à Washington. Dans la guerre de Syrie, il dirigeait depuis Amman (Jordanie), le PC opérationnel du bloc islamo-atlantiste groupant l’Arabie saoudite, les Émirats arabes Unis, la Jordanie, les États Unis, la France, le Royaume Uni et la Turquie, coordonnant le ravitaillement en armes et munitions des djihadistes, leur financement et leur rétribution, ainsi que leur transport sur le champ de bataille.
Un camouflet pour le clan Soudeiry
Ce tsunami de l’ordre successoral du royaume ne s’est pas accompagné de la moindre compensation pour les autres composantes de la famille royale, particulièrement l’autre grande branche de la famille royale, le clan Soudeiry, rivale historique du clan Shammar, dont est issu le Roi Abdallah.
Le clan Soudeiry, du nom patronymique de l’une des épouses du fondateur du Royaume Abdel Aziz, groupait autour du roi Faysal, ses six frères, le roi Fahd, Le prince Sultan, ministre de la défense, le prince Mohamad, ministre de l’intérieur, le prince Salman gouverneur de Ryad, le prince Ahmad, Gouverneur de La Mecque.
Les héritiers du Roi Fahd, décédé en 2005, ont été écartés de la scène publique, en l’espace d‘un an, sans susciter la moindre protestation, tant leur inaptitude au pouvoir était manifeste: Abdel Aziz Ben Fahd, ministre d’état sans portefeuille, et ancien partenaire en affaires de l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri, a été démissionné du gouvernement, sans autre forme de procès. Son frère Mohamad, lui, a été relevé de ses fonctions de gouverneur de la région orientale du Royaume, la zone pétrolifère deZahrane. Le prince Turki Ben Salman, président d’un important groupe de presse saoudien, le groupe «As Chark Al Awsat», et propre fils du prince héritier Salman, a été dégagé de ses responsabilités le 6 avril 2014.
Il est temps en effet que le ministère français de la Défense se soucie de comprendre les processus de décision qui sont à l’oeuvre à Ryad, où des intermédiares français discrets s’emploient avec efficacité à négocier de gros contrats pour Veolia ou EDF.