Les Assises nationales du Niger, qui se sont achevées le 20 février 2025, ont proposé la limitation du nombre des partis politiques dans le pays à cinq au maximum, suscitant tollé, incompréhension et même de la réprobation. Pourtant, passés le choc et l’émotion légitimes provoqués par cette proposition iconoclaste, il faut regarder avec courage, sang-froid et lucidité les limites objectives de l’absence de limitation du nombre des partis au Niger et ailleurs en Afrique. Brisons donc ensemble le tabou sur les revers du multipartisme intégral.
L’éditorial de Seidik Abba, Rédacteur en Chef de Mondafrique
A la faveur du retour du multipartisme en 1991, (le pays avait déjà connu le multipartisme jusqu’en 1965), le Niger avait fait le choix de n’imposer aucune limitation du nombre des partis politiques. Résultat : lorsque le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) renverse le 26 juillet 2023 le président Mohamed Bazoum, le Niger comptait pas moins de 160 formations politiques.
Dans l’euphorie de l’avènement de la démocratie, d’autres pays africains avaient, comme le Niger, fait le choix du multipartisme intégral, à l’orée des années 2000. Le Sénégal se retrouve ainsi avec 339 partis politiques, le Tchad pas moins de 180 partis, le Bénin pas moins de 150. Mais, c’est bien la République démocratique du Congo (RDC), avec plus de 400 formations, qui illustre jusqu’à la caricature cette inflation du nombre de partis.
Le printemps des entrepreneurs politiques
Personne n’aurait trouvé à redire si le grand nombre des partis renvoyait à la vitalité de la jeune démocratie ; s’il s’inscrivait dans une diversité des idées à défendre, de projets politiques à incarner. Hélas, nulle part, il n’a été constaté la moindre adéquation entre le nombre des partis et le nombre d’offres politiques. Les partis sont devenus plutôt de petites chapelles tenues par des entrepreneurs politiques qui monnayent leur ralliement à la majorité au pouvoir ou qui font des chantages pour obtenir des maroquins dans le gouvernement ou des postes à la tête de grandes entreprises publiques ou parapubliques.
Curieusement les majorités au pouvoir formées non pas sur la base de programmes de gouvernement à fortiori de projets de société ne franchissent jamais le pas de se transformer en une seule formation politique. Au lieu que la majorité au pouvoir compte un seul chef, elle finit par avoir autant de chefs que de chefs de partis. Lorsque le chef du principal parti devient le chef de la majorité, les autres chefs des autres partis de la majorité deviennent des sous-chefs de la majorité et leur égo s’en trouve ainsi flatté.
Les dividendes de la limitation
Dans le contexte actuel et au regard de la pratique politique observée dans de nombreux pays africains, la limitation du nombre de partis politiques n’a rien anti-démocratique. Ce qui peut faire débat, ce sont les critères pour limiter le nombre de partis, mais surtout la définition du chiffre plafond. Les délégués aux Assises nationales nigériennes ont proposé de limiter le nombre de partis à cinq au maximum. Pourquoi pas trois ? Pourquoi pas six ? Rien ne justifie que le chiffre cinq ait été préféré aux autres.
Pour moi, c’est ici que le débat pourrait présenter de l’intérêt. Sortir du multipartisme intégral tant dévoyé reviendrait à imposer que leur nombre corresponde forcément aux offres politiques dans le pays. Le multipartisme non intégral aurait également l’avantage de permettre aux organes de tutelle de mieux exercer leur contrôle sur les activités des partis politiques.
Faute de personnel et de moyens, le ministère de l’Intérieur n’arrive pas, dans la pratique, à superviser les activités de 150, 180 voire plus de 400 partis politiques. Et comme le grand nombre ne fait pas automatiquement la qualité, il faut bien ouvrir le débat sur la limitation du nombre de partis politiques dans les pays africains.
La forme de multipartisme contrôlée me semble plus adéquate dans le contexte et la pratique politiques actuelles en Afrique. Au demeurant, l’exemple de la démocratique américaine dominée par deux grandes formations est bien là pour nous rappeler que la vitalité d’une démocratie ne se mesure pas à l’aune du nombre des partis.