À quelques mois du scrutin présidentiel, l’évacuation sanitaire du président centrafricain Faustin-Archange Touadéra vers la Belgique, le 21 juin dernier, a provoqué une onde de choc à Bangui. Les origines paternelles de l’actuel chef de l’État ajoute encore au malaise général qui entoure le prochain scrutin.
Barthélémy Kolapo
son hospitalisation dans un établissement spécialisé à Bruxelles soulève des interrogations sur la continuité du pouvoir et ravive les rivalités autour d’une prochaine succession, qui pourrait favoriser celui qui serait choisi pour le poste de vice-président, nouvellement créé par la Constitution de 2023.
Le 20 juin, lors d’une réunion ministérielle, le président Touadéra a été victime d’un malaise sévère : vomissements, défécation involontaire, douleurs abdominales aiguës. De retour à sa résidence de Boy-Rabe, son état s’est aggravé, poussant son médecin personnel à ordonner une évacuation en urgence. Un jet médicalisé affrété par le consul honoraire Dimitri Mozer l’a transporté à Bruxelles, accompagné de son épouse Tina Touadéra et de son médecin.
Admis à l’Hôpital Delta, le président a été pris en charge par le Dr Serge Landen, spécialiste en chirurgie digestive et proctologie. Le diagnostic posé évoque une occlusion intestinale causée par une tumeur compressive, probablement liée à un cancer colorectal avancé. A cette pathologie grave, il faut ajouter plusieurs comorbidités, notamment le diabète, l’hypertension, une obésité marquée, ainsi qu’une une consommation excessive d’alcool, autant de facteurs médicaux qui alourdissent la prise en charge thérapeutique et compromettent ses perspectives de rétablissement de Touadéra… Ce diagnostic a plongé ses proches et les caciques du régime dans un climat de peur ouvrant toutes formes de discussions sur la continuité de l’exécutif.
Hassan Bouba candidat des Russes
La Constitution de 2023 introduit pour la première fois le poste de vice-président, nommé par le président et chargé de suppléer ce dernier en cas d’absence ou de vacance du pouvoir. Ce rôle, hautement stratégique, est au cœur des attentions. Simplice Mathieu Sarandji, compagnon de route et président de l’Assemblée nationale a déjà décliné l’offre, préférant conserver son poste actuel, jugé plus avantageux financièrement, notamment depuis l’augmentation significative des fonds spéciaux à sa disposition.
Le groupe Wagner aurait proposé Hassan Bouba, ancien chef rebelle, suscitant une vive opposition des cadres du régime. D’autres noms circulent mais chaque option semble cristalliser des rivalités internes et des sphères d’influence proche du Président. Touadéra, qui pourrait bien prochainement laisser derrière lui un vide institutionnel préoccupant, serait toujours à la recherche du profil idéal.
Dans un contexte où la stabilité du régime dépend désormais autant de sa santé que de sa capacité à désigner rapidement un successeur qui soit à la fois peu contesté par les cadres du régime et qui bénéficie de son absolue confiance. À quatre mois du premier tour de l’élection présidentielle, le spectre d’une instabilité politique majeure se dévoile de plus en plus. D’autant que le chef de l’État, bien qu’il ait consolidé son emprise sur l’appareil politique, se voit contester la légalité même de son éventuelle candidature.
Des origines paternelles masquées
Une autre question brûlante reste soigneusement évitée par le pouvoir en place : celle des origines paternelles du président Faustin Archange Touadéra. Une omerta inquiétante entoure ce sujet, pourtant central au regard de la Constitution du 30 août 2023, qui impose des critères stricts pour accéder à la magistrature suprême.
En effet, selon l’article 82 de cette nouvelle Constitution, tout candidat à la présidence doit être « de nationalité centrafricaine d’origine, né de père et de mère centrafricains, et n’avoir jamais acquis une autre nationalité ». Une disposition claire, mais qui pourrait bien se retourner contre son propre instigateur. Car si Touadéra aspire à un troisième mandat, encore faut-il qu’il réponde aux exigences qu’il a lui-même contribué à inscrire dans la loi fondamentale.
Zones d’ombre
Or, depuis plusieurs années, des zones d’ombre persistent autour de la filiation paternelle du chef de l’État. Le jeune Faustin-Archange, élevé par sa maman Ngbaka-Mandja, originaire de Damara, et d’un chauffeur peul qui a travaillé à Bangui pour la société de transports SDV qui ne disposait pas de la nationalité centrafricaine. Le Président est donc aujourd’hui en peine de pouvoir prouver sa centrafricanité… La présidence centrafricaine n’a ainsi jamais démenti ces faits, en publiant clairement l’acte de naissance du Président pour lever les doutes de la population. A tel point qu’aujourd’hui, alors que s’ouvre une période électorale majeure pour le pays, le silence sur ce sujet devenu tabou est devenu assourdissant.
Le Mouvement Cœurs Unis (MCU), parti présidentiel, semble avoir repris cette stratégie du silence sur ce sujet. Aucun cadre du parti ne s’est exprimé pour clarifier la situation. Ce mutisme alimente les soupçons et donne du grain à moudre aux opposants, qui dénoncent une manœuvre pour contourner les règles constitutionnelles. Anicet Georges Dologuélé, ancien Premier ministre et figure de l’opposition, n’a pas hésité à qualifier la question des origines de Touadéra de « question nationale ». Il appelle à la transparence, estimant que le peuple centrafricain a le droit de savoir si son président respecte les critères d’éligibilité qu’il a lui-même promulgués.
Au-delà des considérations juridiques, c’est la légitimité démocratique qui est en jeu. Peut-on accepter qu’un candidat se présente sans répondre aux exigences constitutionnelles ? Peut-on tolérer que des zones d’ombre subsistent sur un sujet aussi fondamental que la nationalité d’origine ? Le silence du président et de son entourage pourrait être interprété comme une tentative de dissimulation. Et dans un pays où la transparence institutionnelle est déjà fragile, cette attitude risque de fragiliser davantage la confiance des citoyens envers leurs dirigeants.