Sénégal : Emmanuel Macron invité à commémorer le massacre de Thiaroye

La présidente de l’Association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais, Aïssata Seck aimerait que le président français Emmanuel Macron soit invité à la cérémonie des 80 ans du massacre de Thiaroye, prévue le 1er décembre 2024, par son homologue Bassirou Diomaye Faye et pense qu’il n’est pas impossible que celui-ci accepte l’invitation.

Le 1er décembre 1944, au camp militaire de Thiaroye situé à une quinzaine de kilomètres de Dakar, capitale de la Fédération de l’Afrique occidentale française (AOF), des tirailleurs ouest-africains, de retour d’Europe après plus de 4 ans de captivité, sont tués dans des circonstances qui demeurent partiellement obscures par leurs officiers français pour avoir réclamé l’argent qui leur était dû. Ce drame, survenu durant la période charnière qui sépare la Seconde Guerre mondiale (durant laquelle l’AOF avait choisi le camp vichyste avant de se rallier au Général de Gaulle après le débarquement allié en Afrique du Nord à l’automne 1942), et l’émergence de nouvelles luttes de libération des peuples colonisés dans tout l’Empire français, s’inscrit à la croisée de plusieurs mémoires, au Sénégal et en France.

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè

C’est donc le pari de l’espoir. Celui d’une femme en particulier, Aïssata Seck, qui préside en France l’Association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais et qui pense que pour la commémoration du 80è anniversaire du massacre de Thiaroye, il n’est pas impossible que le président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye invite son homologue français, Emmanuel Macron et que celui-ci accepte de venir à Dakar.

Tous les rêves sont en effet possibles et encore plus quand l’histoire et la tragédie se mêlant dictent parfois une conduite : la reconnaissance que recommandait d’ailleurs, ce jeudi 15 août à Bouloris, quand il y expliquait que « sans la contribution des autres peuples et des tirailleurs, il n’y aurait pas eu de victoire alliée », il y a presque 80 ans aujourd’hui. Et Aïssata Seck partage ce point de vue, « parce que ce sont des faits historiques », dit-elle.

Dans son hommage du 15 août, le président français Emmanuel Macron avait en effet déclaré que la part d’Afrique en France est aussi l’héritage de ces tirailleurs. « On a déjà la présence d’afro-descendants en France, liés directement à l’histoire de la colonisation. Je suis moi-même petite fille de tirailleur sénégalais, donc directement liée à cette histoire. Donc cela fait partie bien évidemment des héritages de l’histoire de France », opine Aïssata Seck qui s’étonne néanmoins que cette présence des tirailleurs sénégalais dans l’héritage français ne soit mentionnée nulle part dans les programmes scolaires français.

Thiaroye ou l’histoire reniée

Certes dans le programme de quatrième et de troisième, on rappelle l’apport des troupes coloniales pendant les différents conflits mondiaux « mais aujourd’hui, on a une jeunesse afrodescendante, mais pas que : on a une jeunesse française qui a besoin de mieux connaître cette histoire. Et pour mieux la connaître, il est extrêmement important et nécessaire de pouvoir continuer à perpétuer ce travail de mémoire », exige Aïssata Seck.

Mais l’histoire des tirailleurs n’est pas uniquement celle d’un apport salutaire des armées coloniales. Il y a 80 ans, un événement tragique, le massacre de Thiaroye, avait scellé le sort de milliers d’Africains qui réclamaient arriérés et primes de démobilisation. Depuis, la réalité s’est égarée dans des polémiques interminables sur le nombre de soldats africains massacrés ce 1er décembre 1944 à l’intérieur de leur camp.

Emmanuel Macron y a d’ailleurs fait une brève allusion jeudi en saluant les lycéens de cette commune proche de Dakar. Thiaroye, combien étaient-ils, les soldats sur qui la répression épouvantable des officiers de l’armée française s’était abattue ? 35, 400 morts, chaque version tente en effet de réécrire ce drame occulté pendant longtemps par la France il y a maintenant 80 ans.

« Il y a forcément une part très, très sombre autour du massacre de Thiaroye. On commémore le 80ème anniversaire du débarquement de Provence, donc forcément, on est obligé de penser à Thiaroye. Le 1er décembre prochain aura lieu le 80ème anniversaire du massacre de Thiaroye », a reconnu le président de la République Emmanuel Macron qui a annoncé au ministre sénégalais des Forces armées sa présence à Dakar le 1er décembre prochain.

 

Le Sénégal va créer un comité pour compter les victimes

La présidente de l’Association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais, Aïssata Seck, ne rêve donc pas. Il y a deux mois, la France a fait un geste mémoriel en déclarant « morts pour la France » six de ces tirailleurs fusillés à Thiaroye. Mais cette décision a fait sortir le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko de ses gonds. Le premier ministre sénégalais a répliqué que ce n’était pas à la France de fixer unilatéralement le nombre d’Africains assassinés, ni la portée de la reconnaissance qu’ils méritent.

En tout cas, Aïssata Seck se réjouit également que le nouveau gouvernement sénégalais ait « décidé de prendre à bras-le-corps le sujet, avec la création d’un comité qui va être lancé dès demain avec des chercheurs, des historiens et un comité interministériel auquel j’ai été convié à participer », dit-elle, ajoutant que « le 1er décembre, le moment sera venu d’annoncer ou de dire un certain nombre de choses. Des deux côtés ».

Il y a dix ans, le président François Hollande avait promis que toutes les archives sur le massacre de Thiaroye seraient communiquées au Sénégal. Mais aujourd’hui, beaucoup d’historiens disent que les archives les plus sensibles restent secret-défense et que c’est la raison pour laquelle on ne connaît toujours pas le nombre de victimes. Pour Aïssata Seck, il faut que les deux gouvernements travaillent ensemble. « Et pour que ce travail commun se fasse, il est nécessaire dans un premier temps que le gouvernement sénégalais crée un comité qui va travailler sur les deux dimensions commémorative et vérité et justice du massacre », plaide-t-elle.