Sénégal, Diomaye Faye-Sonko à l’épreuve de la crise casamançaise

Le Premier Ministre du Sénégal Ousmane Sonko (à gauche) et Le Président de la République du Sénégal Bassirou Diomaye Faye ( à droite) dans la cour du palais présidentiel du Sénégal. Photo Facebook Ousmane Sonko.

Le tandem formé à la tête du Sénégal par le président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko est très attendu sur le règlement de la crise vieille de plus de 40 ans, en Casamance, région méridionale du Sud. Réussiront ils là où leurs prédécesseurs ont échoué.

C’est une des plus vieilles rébellions armées en Afrique. Au Sénégal, le conflit casamançais sévit depuis 43 ans. Cette rébellion qui a démarré en 1982 a traversé plusieurs régimes politiques, passant de Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et Macky Sall. Cette crise a décimé une partie de ce territoire causant des morts, des accidentés de mines, des déplacés, etc. Maintenant la question que tout le monde se pose est :  quelle sera la stratégie du nouveau gouvernement en place depuis avril dernier et incarné par le Tandem Bassirou Diomaye Faye-Ousmane Sonko dans la crise en Casamance ?

Un début de réponse a sans doute été donné en fin décembre 2024. En effet, lors de sa Déclaration de politique générale (Dpg), le Chef du Gouvernement a exposé son nouveau plan pour la Casamance. Il s’agit du «Plan spécial Diomaye pour la Casamance 2024-2025», d’un coût provisoire de près de 54 milliards de FCFA (environ 81 millions d’euros), avec la mise en place, respectivement dans les régions de Ziguinchor, Sédhiou et Kolda, d’un comité régional inclusif de pilotage. Ainsi avec ce programme, il est notamment prévu de renforcer les capacités institutionnelles et budgétaires de l’Agence nationale pour la relance des activités économiques et sociales en Casamance (ANRAC), chargée de coordonner l’exécution des interventions dudit plan spécial. À côté, le plan s’engage également à mobiliser le financement des opérations de déminage d’un coût estimatif de 15 milliards de FCFA ; mais également de recourir en priorité aux très Petites et moyennes entreprises (Pme), et à la main d’œuvre locales dans la conduite des projets gouvernementaux ou appuyés par l’Etat. En bonne partie du Plan, figure également, la mise en place d’un dispositif adapté d’accompagnement des déplacés, pour assurer l’employabilité et l’emploi des jeunes et des femmes, en créant les conditions d’un développement continu d’une expertise locale pour l’entretien et la maintenance des infrastructures, du matériel et des équipements. Les nouvelles autorités veulent ainsi imprimer leur marque pour une paix durable. « Des avancées significatives et louables dans la restauration de la paix ont été réalisées ces dernières années, reste donc maintenant à parachever le processus de pacification totale et définitive de cette région naturelle aux potentiels infinis. Mon gouvernement, sous les orientations de Monsieur le Président de la République, s’y engage et y œuvre quotidiennement avec ouverture, mais dans la fermeté quant aux principes de l’unité nationale », a assuré Ousmane Sonko.

Sonko, un fils du terroir 

Observateur averti du conflit casamançais, le journaliste Ibrahima Gassama a été témoin de plusieurs années de guerre, de réussites et d’échecs de nombreux plans gouvernementaux. Pour lui, la particularité du Plan annoncé est d’avoir un Premier ministre originaire de la Casamance et qui connaît les réalités. « Ousmane Sonko est un fils de la Casamance. C’est ça, la nouveauté, parce qu’on pouvait dire que les anciens présidents n’ont pas pris la mesure réelle de ce qui se passait ici, mais Ousmane Sonko, qui est issu de cette région, même s’il n’a pas trop grandi ici, connaît bien les réalités », décrypte Ibrahima Gassama. Ainsi, il mesure à sa juste valeur ce qu’il faut faire. Et la spécificité de ce Plan, ajoute Ibrahima Gassama, c’est qu’il n’est pas logé à la Présidence, même s’il est coordonné par le Président de la République et le Premier ministre. Car exactement explique le spécialiste, il y a des comités ad hoc qui ont été mis sur pied dans les régions, puisque c’est trois régions, notamment Ziguinchor, Kolda et Sédhiou, qui vont se partager ces 54 milliards Fcfa annoncés sous la coordination des comités régionaux pilotés par les gouverneurs.  Ibrahima Gassama note également que plusieurs initiatives lancées n’ont pas eu les effets escomptés. « Depuis le déclenchement du conflit en Casamance, dans la gestion de ce qui a suivi par rapport à tous les régimes qui se sont succédé, nous avons plus eu droit à des effets d’annonce qu’à des réalisations concrètes sur le terrain, même s’il faut remarquer qu’il y a des choses qui ont été faites çà et là. Mais, pas dans le sens justement d’anéantir toutes les difficultés, notamment les conséquences liées au conflit », considère M. Gassama. Pour la présidente du Conseil d’administratrice de la Plateforme des Femmes pour la Paix en Casamance, Ndèye Marie Diédhiou Thiam, le nouveau Plan pour la Paix et le  développement de la Casamance suscite beaucoup d’espoir auprès des populations. À l’en croire, des besoins ont été identifiés et pris en compte dans le budget de près de 54 milliards Fcfa déjà adopté pour les trois régions. À cela s’ajoute, selon elle, le plan d’accompagnement des personnes déplacées. Ainsi, Ndeye Marie Diedhiou Thiam en déduit que tout porte à croire que la dynamique est bonne. « Il faut tout de même noter qu’il reste encore beaucoup à faire en termes de construction des infrastructures sociales de base telles que les postes de santé, les écoles, la construction des forages, l’électrification. Par ailleurs l’épineuse question de l’état-civil et de la poursuite du déminage est à prendre à bras le corps », soutient la responsable de la Plateforme des Femmes pour la Paix en Casamance. 

Tout n’est pas réglé

Même si l’espoir d’une paix durable renaît, on ne peut pas encore décréter la fin du conflit en Casamance. La raison selon Ibrahima Gassama, est qu’il y a encore des éléments du Mouvement des forces démocratiques casamançaises (MFDC) toujours éparpillés dans la forêt. « C’est vrai que l’armée sénégalaise avait entrepris une vaste opération de démantèlement des bases du MFDC au Sud comme au Nord. Les dernières opérations concernaient les bases de Salif Sadio qui étaient sur le long de la frontière avec la Gambie, facilitées par le départ Yaya Jammeh et la présence des forces de la CEDEAO », analyse Ibrahima Gassama. Selon lui, la menace persiste, car Salif Sadio est encore introuvable. « C’est vrai, il y a une aile, celle de Diakaye, le Front Nord, qui a posé un acte officiel fort à Mongone, au mois de mai 2023. C’est de rendre les armes, de sortir du maquis, et de signer un accord de dépôt des armes, avec 255 combattants qui ont été démobilisés, dont les armes ont été récupérées, même détruites. Donc ça, c’est un acquis de taille. On a jusqu’ici eu droit à des accords de cessez-le-feu, qui étaient vite remis en cause. Mais depuis le 13 mai 2023, on a eu cet accord de dépôt des armes. Donc, on attend que cette action soit élargie aux autres factions du MFDC », explique M. Gassama. À ses yeux, il y a autant de zones grises qui sont encore à considérer. 

Retour progressif des déplacés

Avec le conflit casamançais, environ 60 000 personnes ont connu un exil forcé. Beaucoup de villages ont également été rayés de la carte du département de Ziguinchor et de sa région. Ces familles se sont déplacées à l’intérieur du pays. D’autres avaient trouvé refuge en Gambie et en Guinée-Bissau et sont devenues des réfugiées. « Il y a un lot important de personnes encore retranchées dans ces pays-là, notamment en provenance de l’arrondissement de Sindian, le Nord de la région, le département de Bignona, mais d’autres aussi qui sont en Guinée-Bissau, en provenance du département de Ziguinchor, notamment de la commune de Boutoupa Camaracounda, mais également dans des zones comme l’arrondissement de Nyassia, de la commune de Santhiaba manjak, où les populations ne sont toujours pas retournées », ajoute le spécialiste Ibrahima Gassama. Cependant ces dernières années, l’armée sénégalaise a pu démanteler plusieurs bases, favorisant ainsi, le retour des populations. C’est le cas de Bissine mais aussi de Senghère Diola qui sont revenus dans leur village les mains nues après plus de trois décennies d’errance. Ainsi selon Ibrahima Gassama, c’est là que le nouveau Plan Diomaye pour la Casamance trouve tout son sens. Car, il devrait permettre de mieux prendre en charge les urgences dont la construction de maisons pour que ces populations puissent habiter, l’accès à l’eau, le déminage de la zone, puisque ces populations ne peuvent pas entreprendre des activités, notamment agricoles et maraîchères, soupçonnant la présence des mines et autres restes explosifs de guerre. 

Les dividendes du bon voisinage

 La Gambie et la Guinée Bissau étaient jadis des «bases-arrières» pour certaines factions rebelles. La donne a changé : aujourd’hui, le Sénégal est en meilleurs termes avec les deux pays voisins, particulièrement la Gambie avec laquelle une nette amélioration des relations s’est opérée après le départ de Yaya Jammeh du pouvoir en 2016. Avec le dégel établi avec la Guinée-Bissau aussi, la géopolitique régionale a donc définitivement changé.

 « Avec la présence de Yaya Jammeh et d’autres régimes avant l’arrivée en Guinée-Bissau d’Umaro Sissoco Embalo, on soupçonnait justement ces pays voisins de couvrir, de faciliter et même d’abriter des bases rebelles qui s’attaquaient à l’armée nationale et au Sénégal. Donc, le départ de Yaya Jammeh en 2016 a sonné un peu le glas et ça a permis à l’armée sénégalaise, sous le couvert de la CEDEAO, à opérer dans cette zone-là et à démanteler Salif Sadio, notamment ses bases », explique Ibrahima Gassama. Pour lui, il était reproché à Yaya Jammeh, de souffler le chaud et le froid dans la crise casamançaise , car il avait des rapports assez heurtés avec Abdoulaye Wade, alors président du Sénégal.

 « C’est ce qui fait que, d’ailleurs, quand Macky Sall est arrivé  au pouvoir, son premier voyage officiel, il l’a dédié à la Gambie pour relancer et remettre en selle ce pays dans sa contribution pour le retour de la paix en Casamance», insiste M. Gassama. Aujourd’hui, la tendance est à une diplomatie de proximité. Du 20 au 23 décembre 2024, le premier ministre Ousmane Sonko a participé au forum économique entre les deux pays. Il en a profité pour appeler à une bonne collaboration économique et sociale. Reste à savoir si tout cela suffira à tourner la page d’une des plus anciennes rébellions d’Afrique subsaharienne. 

Ibrahima Dieng