Sahel, les juntes militaires claquent la porte au nez de la francophonie

Les trois pays de la Confédération des Etats du Sahel, Niger, Burkina Faso, Mali ont dans un même élan décidé de ne plus être membre de l’Organisation internationale de la Francophonie. A qui la faute ? A qui le tour ?

Leslie Varenne

Le 17 et le 18 mars dernier, Burkina Faso, le Niger (voir le papier ci dessous) et le Mali ont, dans un langage très diplomatique, signifié leur retrait de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

Souveraineté et géométrie variable

Les raisons sont connues, toujours dans la volonté d’affirmer leur souveraineté, les trois pays de l’AES, souhaitent prendre leur distance avec une institution qu’ils jugent être un instrument de la diplomatie française. Ils lui reprochent en prime d’être sélective. Ont-ils tort ? Tous les pays ayant connus des coups d’Etat ont été suspendus, sauf le Gabon qui s’est fait juste un peu taper sur les doigts. En prime, en février 2024, le Conseil permanent de l’organisation a encouragé les autorités gabonaises à poursuivre un processus de transition inclusive. Pourtant, Oligui Nguema, auteur du putsch et Président de la transition, compte bien garder les rennes du pouvoir. Son élection lors de la prochaine présidentielle d’avril ne laisse pas beaucoup de place au suspens. Mais que le scrutin soit ni concurrentiel, ni équitable ne semble pas émouvoir l’OIF.

La Guinée de Mamadi Doumbouya, s’est vue réintégrée après sa suspension. Elle ne respecte pourtant aucun critère ni en matière de respect de l’ordre constitutionnel, ni en matière de droits de l’homme et de la liberté d’expression, avec les arrestations arbitraires, les disparitions forcées, la fermeture de médias. Quels pourraient bien être les motifs justifiant cette réintégration ? « Bien qu’ayant relevé la nécessité pour la Guinée de poursuivre ses efforts sur le volet des droits et des libertés, le Conseil permanent a décidé sa solidarité avec ce pays membre. » Qu’en termes élégants, ces choses-là sont dites !

De charybde en Sylla…

Il n’échappe à personne que les deux pays qui ont bénéficié de la mansuétude de l’OIF sont ceux avec qui la France entretient d’excellentes relations malgré les coups d’Etat perpétrés par les Présidents toujours en exercice. Deux jours après l’annonce du départ des pays de l’AES, Emmanuel Macron profitant de la journée internationale de la Francophonie a commis un tweet aussi verbeux qu’étrange. Lyrique, le président français évoque un verbe qui unit et l’esprit qui élève, un lien invisible qui rassemble à travers les mots, puis conclue par « ensemble ».

Un esprit soupçonneux y verrait un brin de provocation envers les dissidents. En effet, il fallait oser rappeler l’unité, le rassemblement, alors que trois Etats viennent de claquer la porte …

Depuis son arrivée au pouvoir en 2017, Emmanuel Macron, qui a fait de la francophonie un cheval de bataille aura donc vu trois pays quitter l’OIF ; deux renoncer au français comme langue officielle : le Mali et le Burkina Faso ; deux autres rejoindre le Commonwealth : le Gabon et le Togo. Et ce n’est pas terminé….

La République Démocratique du Congo hésitante

Depuis quelques temps déjà, les Congolais se posent la question, rester ou partir. De nombreuses voix s’élèvent pour choisir la deuxième solution. Les autorités congolaises estiment que l’OIF ne prend pas position clairement sur l’agression du Rwanda, via le M23, dans l’Est de leur pays. Et pour cause, la patronne de l’OIF, Louise Mushikawabo est Rwandaise. Elle a été élue grâce à Emmanuel Macron. Cette décision de favoriser une anglophone pour défendre la langue française continue d’en étonner plus d’un. En 2024, la RDC a déjà boycotté la journée internationale de la Francophonie.

Autre pays, autre déconvenue, si l’Algérie n’est pas membre de l’OIF et si le français n’est pas une langue officielle, elle n’en reste pas moins le pays où il y a le plus de locuteurs francophones avec 14,9 millions de personnes. Elle se place ainsi devant le Congo et le Maroc. Or, au beau milieu de la crise diplomatique entre Alger et Paris, le Président Tebboune vient d’interdire tout aide au développement. A 95% cette manne française était destinée aux écoles privées et aux élèves étudiant dans les universités de l’Hexagone. Le Royaume-Uni, pourtant allié de la France, profite de l’aubaine. Le 21 mars, son ambassadeur dans la capitale algérienne a déclaré: « Nous avons compris le désir des Algérien d’utiliser l’anglais dans l’éducation et nous travaillerons à répondre à cette demande.

« Nos fiertés »? Vraiment?

Plusieurs dizaines de chefs d’Etats et de gouvernement prennent la pose pour une photo de famille où ils entourent Louise Mushikiwabo, secrétaire générale de la Francophonie, ainsi qu’Emmanuel Macron et son épouse, pour le XIXe sommet de l’OIF organisé au château de Villers-Cotterêts (Aisne)

Emmanuel Macron a fait de la Francophonie un de ces thèmes de prédilection. Sur le site de l’Elysée une nouvelle rubrique a même vue le jour nommée : « Nos fiertés ». Entre les Jeux Olympiques et la commémoration du débarquement, figure en bonne place des succés récents du président français la Francophonie.

Annoncé à grands renforts de tambours et trompettes, le Sommet de la Francophonie d’octobre dernier à Villers Cotterêts , le premier ayant lieu en France depuis 33 ans, fût pourtant celui de la désillusion. L’image d’Emmanuel Macron au Grand Palais tenant une conférence de presse dans une salle au trois-quarts vide en est la parfaite illustration. Si tous les pays francophones étaient représentés, peu de chefs d’Etat ont fait le déplacement.

Au rythme où le pré carré français en Afrique s’effondre et avec lui l’usage du français, l’orgueil d’Emmanuel Macron sur le bilan de la francophonie semble bien mal placé.

Le Niger s’isole en se retirant de la francophonie