Il y a dix ans, dans la soirée du 7 janvier 2011, Antoine Lamour Béchet de Léocour et son ami d’enfance Vincent Delory étaient enlevés en plein centre de Niamey. L’enlèvement s’achevait tragiquement le lendemain en territoire malien, avec la mort des deux otages, de trois gendarmes nigériens et de deux ravisseurs, lors de l’assaut donné par les forces spéciales françaises. Le commando appartenait au groupe djihadiste de Mokhtar Belmokhtar. Cet enlèvement a marqué la fin de l’insouciance des Occidentaux au Niger. Son dénouement fut aussi le premier acte de guerre de l’armée française dans la région, deux ans avec le déclenchement de l’opération Serval.
Avec les enlèvements de Pierre Camatte, le 26 novembre 2009, dans un hôtel de Menaka, au Mali voisin, de Michel Germaneau, à In Abangharit, au Niger, le 20 avril 2010, puis des 7 otages d’Areva, le 16 septembre 2010, à Arlit, la chasse aux Français avait commencé dans les confins. Désormais, avec les enlèvements du Toulousain, c’est en plein coeur de la capitale qu’elle battait son plein.
Dans une enquête en trois épisodes, Mondafrique a souhaité raconter une mortelle équipée qui éclaire aussi le fonctionnement des groupes djihadistes du Sahel, dont on retrouvera certains des acteurs dans la guerre qui continue au Mali.
Deux jeunes Français, un bar, un commando djihadiste
Le vol d’Air France, ce jour-là, avait trois heures de retard. Vincent en est descendu joyeux et excité, à la nuit bien tombée : c’était son premier voyage en Afrique. Il était 19h30 quand Antoine l’a récupéré et ramené en ville à bord de sa 2 CV. Antoine s’apprêtait à épouser, la semaine suivante, son amoureuse nigérienne, Rakia Hassane Kouka, rencontrée lors d’un précédent séjour, en juillet 2009. Après avoir mangé sur le pouce, les deux amis se sont rendus au Toulousain pour tuer le temps en attendant l’arrivée par un vol de nuit d’un autre invité de la noce. Ils étaient six autour de la table, la deuxième à partir de l’entrée, avec quatre amis nigériens d’Antoine.
Ils n’étaient pas là depuis longtemps lorsqu’une berline 4X4 Toyota blanche, vitres fumées, portant une fausse plaque d’immatriculation du Bénin, s’est arrêtée devant la porte du maquis, moteur allumé, à 22h40. A son bord, un commando au complet de la katibat Al Moulathamoune d’Al Qaida au Maghreb islamique : 8 hommes armés, parfaitement entraînés pour la mission.
Quatre hommes ont pénétré aussitôt dans le bar. Deux d’entre eux sont restés à la porte, l’un pour surveiller la rue, l’autre les clients à l’intérieur. Les deux autres, venus tout droit à la table des victimes, ont empoigné chacun par le bras Antoine et Vincent, leur intimant l’ordre de se lever. Comme ça n’allait pas assez vite, ils ont sorti leurs armes, des kalachnikov cachées sous leurs vêtements, les ont pointées sur les deux Français, les ont forcé à se lever et poussés vers la sortie. Ceux qui étaient autour de la table n’ont pas entendu grand-chose, à cause du bruit ambiant.
Une vaine tentative de résistance
Sur le trottoir d’en face, un garde national en permission poussant sa moto en panne voit toute la scène. Antoine sort le premier, traînant les pieds, attrapé par le cou puis poussé d’une main par un ravisseur et braqué de l’autre. Il reçoit un coup de crosse à la tête et est presque jeté dans la voiture. Un membre du groupe, resté à l’intérieur, le tire pour vers lui. Juste après, c’est le tour de Vincent. Il est poussé par deux hommes, résiste, se laisse tomber par terre. L’un des ravisseurs lui lance un coup de pied à la tête. L’autre le relève par le col de la chemise et le jette dans la voiture à son tour, par les deux portes arrière restées grandes ouvertes. Aussitôt, le chauffeur démarre. On appelle « Mohamed », et le dernier arrive, à la hâte, sortant du Toulousain. Il monte en courant dans la voiture. Son turban noir glisse et découvre une longue chevelure. Le véhicule tourne à gauche, sur la piste de latérite, portes arrière encore ouvertes sur quelques mètres, puis claquées. Antoine et Vincent sont assis par terre et crient sous les coups.
Dans la panique et la surprise, les rares poursuivants perdent très vite la piste du véhicule, sur la route menant vers Ouallam, au nord-ouest de Niamey. L’alerte est donnée immédiatement. Et tout le monde, Français comme Nigériens, comprend que les ravisseurs vont tenter de regagner leur base au Mali.
Une crevaison les force à s’arrêter plus tôt que prévu, pour changer la roue arrière droite, à la sortie de la ville. Dispositif militaire : deux hommes armés font le guet de chaque côté de la voiture tandis que trois autres s’occupent de changer la roue. Un villageois témoin par accident est tenu en respect par une arme. Il ne bouge pas. Il entend du bruit à l’intérieur du véhicule, comme des moutons se débattant.
Des embuscades aux poursuivants
Vers 23h00, le capitaine de la Garde nationale Ibrahim Alhadi, basé à Tillabéri, est prévenu. Le véhicule est signalé partant en direction du nord, vers Ouallam. Le capitaine connaît très bien la région. Avec son collègue gendarme, le capitaine Aboubacar Amankaye, également basé à Tillabéri, ils font faire le plein de deux pick-ups militaires, transportant respectivement 12 gardes et 11 gendarmes. Et ils s’élancent sur les pistes.
A 52 km de Tillabéri, un véhicule arrivant tous feux éteints sur leur droite fait demi-tour à leur approche. Ce sont eux. La poursuite s’engage. Les consignes sont de tirer dans les pneus pour ne pas blesser les otages. Le capitaine Alhadi est légèrement blessé à la jambe mais il donne l’ordre de continuer. Les gendarmes sont un peu plus loin derrière. Mais la berline des djihadistes est plus puissante. Elle les distance. Les gardes se font tirer dessus par des combattants déposés au sol périodiquement pour les prendre sous leur feu dans l’obscurité et les ralentir. Puis le chauffeur de la Toyota blanche revient les chercher et repart. Ces embuscades se succèdent. A la dernière, après cinq heures du matin, dans un champ de mil, le capitaine Alhadi est blessé sérieusement à la cuisse. Il faut l’évacuer. C’est la fin de la route pour les gardes.
Mais les gendarmes n’abandonnent pas. Le capitaine Amankaye, pas découragé par la puissance de feu et la détermination de l’ennemi, décide de continuer la traque. L’un des gardes monte avec eux pour les guider. La piste est si mauvaise que les gendarmes doivent décharger leurs armes, à cause d’incidents de tirs. Les heures passent. Pour soulager le chauffeur, le capitaine se met au volant.
Une dune, un chamelier, des fusillades
Un peu avant 9h00, un pick-up beige, renfort logistique sans doute positionné à la frontière, a rejoint la Toyota blanche. A son bord, trois hommes armés, trois fûts de 200 litres de carburant, une caissette de munitions et, sans doute, de la nourriture.
Un chamelier a repéré les traces de deux véhicules qui se suivent. Il le dit aux gendarmes. Un peu plus loin, à Akaba, côté malien de la frontière, un enfant confie avoir vu deux 4X4 sortir du village à l’instant.
A 10h, les gendarmes tombent sur un bivouac des djihadistes sous un acacia, en haut d’une dune. Ils ont tendu une bâche devant les deux véhicules et sont en train de manger. A la vue des gendarmes, ils ouvrent le feu immédiatement, en criant « Allahou Akbar ». La moitié des gendarmes réussit à s’enfuir. Le chauffeur est tué. Le capitaine et trois autres gendarmes, blessés, sont faits prisonniers et jetés dans la caisse arrière de leur pick-up bleu. L’un des djihadistes prend le volant. Un autre prend place à l’arrière et adossé à la cabine, les surveille, les pieds sur leurs visages. Le tout n’a duré que quelques minutes. Le convoi reprend sa route, toujours vers le nord, dans la direction de Menaka. Il est 10h07.
Lire vendredi la deuxième partie, L’assaut.