Quand l’Italie annonçait la libération de Danilo Calonego et Bruno Cacace grâce à une collaboration efficace avec les forces spéciales des autorités locales libyennes , les connaisseurs du dossier ont souri.Libérés au bout de quarante jours au début du mois de novembre 2016, les deux Italiens avaient été kidnappés en compagnie du Canadien Frank Poccia, en septembre 2016 à Ghat, dans le sud-ouest du pays. Tous pour une entreprise italienne chargée de la maintenance de l’aéroport de cette oasis saharienne.
Le groupe armé qui a maintenu la discrétion sur son appartenance, avait bloqué le véhicule des trois hommes et les avait enlevés. La médiation fut active et le « dédommagement » substantiel, apparemment dix millions d’euros.Les trois hommes ont été libérés et ramenés, le 5 novembre en Italie, par vol spécial.
Place à l’industrie du rapt
Ancienne puissance coloniale, l’Italie est très présente en Libye et s’implique énergiquement dans les tentatives de rétablissement d’un Etat libyen stable. De nombreuses sociétés italiennes travaillent dans le pays, bien que le personnel expatrié a plusieurs fois été victime d’enlèvements au cours de ces dernières années.
L’affaire Danilo Calonego-Bruno Cacace est très édifiante sur ce qu’il convient de qualifier d’ « industrie du rapt ». Les techniciens italiens ont été d’abord, kidnappés, maintenus dans un endroit au Fezzan libyen, vaste zone désertique aride et très riche en hydrocarbures, devenue depuis la chute de Kadafi, le repaire des groups armés, principalement Al Qaida et le Mouvement de l’unicité et du Jihad en Afrique de l’Ouest.
L’opération a été planifiée et concrétisée par deux terroristes algériens affiliés au Majao : Abdallah Ben Lakhal et Bougherara Ali. Selon des sources sécuritaires, Adallah Ben Lakhal est un globe-trotter du Sahel et voyage de pays en pays sous le nom d’Abdallah Ben Mohamed et se fait passer pour un Malien. Il a connu comme étant un des auteurs de l’affaire dite « Khechiba ». Bougherara Ali est aussi connu sous le nom de « Ch’âmbi ».
Comme dans toutes les opérations de ce type qui se déroulent au Sahel, les otages étrangers sont, d’abord, dirigés vers un lieu sûr. Quarante-huit heures à une semaine sont souvent nécessaires pour éviter d’être pisté et pourchassé. C’est la phase numéro 1 de « l’industrie du rapt », la plus dangereuse et la plus travaillé sur le plan planification et opérationnel. Comme toute opération de lancement d’une industrie, elle est menée avec la minutie d’un métronome, mais aussi parfois improvisée, si une occasion impromptue se présente d’elle-même. Le tout st d’avoir une « machine » rodée.
Survint alors la seconde phase, celle de la médiation. Dans les zones ou cette industrie fait florès, il existe des notables locaux, connus et respectables. Ce sont eux à qui l’on adresse les doléances. L’Etat sur le sol duquel le rapt a été opéré les sollicite. Et ceux-ci se mettent à la recherche des auteurs du rapt, qui ne tardent pas à se manifester. Parfois, ce sont eux-mêmes qui contactent les médiateurs et présentent leur unique revendication : le prix de la rançon.
La rançon est négociable. Plaçant la barre haute, les terroristes négocient, revoient à la baisse, « bluffent » et finissent par vendre « au rabais » leurs « marchandises » si le négociateur est rompu à l’art de la libération, ou si l’otage ne présente pas des « atouts » intéressants.
Si l’Etat étranger consent à libérer vite ses ressortissants, c’est justement le cas dans l’affaire des deux Italiens. Si l’otage est une femme, elle est soit libérée « à moindre coût », soit soumise à un prosélytisme intensif, et « cédée » sans trop de complications. Une femme occidentale est trop fragile pour supporter trop de pressions et plusieurs changements de caches. En juillet 2003, une touriste allemande meurt d’insolation et est enterrée dans le désert. Elle faisait parti du groupe kidnappé par Abderrezak El Para à Illizi. La mort de l’otage allemande dans le désert algérien, a fait école chez les preneurs d’otages.
Evidemment, le prix dépend de la qualité du détenu. Avant d’en fixer un montant en euros. Des otages étrangers insignifiants » ont été relâchés « gratis », et les capitales occidentales le savent bien.
Coup de pub final
La troisième phase est celle de la libération. C’est la moins compliquée, mais jamais simple. C’est la phase du « marketing » et du coup de pub. Après avoir empoché la rançon en liquide, vérifié l’authenticité des billets, l’otage est alors bien traité, « briefé », le lieu du « largage » choisi avec soin, des sentinelles, des informateurs et des « relais » mobilisés pour sécuriser l’itinéraire.
L’argent de la rançon en poche, les auteurs du rapt disparaissent, se taisent. Les Etats peuvent alors pavoiser, dirent qu’ils ont pu arracher courageusement leurs ressortissants des griffes des terroristes. C’est la phase mensonge et manipulation officielle de l’opinion.
Ceux qui connaissent les réalités du terrain ne contrediront pas les Etats : cela ne les intéresse pas. L’argent en poche, ils vaquent à leurs pénible quotidien.
Finalement, il n’y a pas uniquement des kidnappeurs et des otages ; il y a aussi des indicateurs, des pisteurs, des intermédiaires, des négociateurs (qui jouent souvent à l’agent double), qui font relever ou baisser le prix de la rançon, qui font réussir ou échouer la prise d’otage, et la rançon, au final, fait vivre tout un univers qui s’articule autour de cette « industrie ».