République centrafricaine : l’épreuve électorale d’une démocratie confisquée

À l’approche des élections du 28 décembre, la République centrafricaine s’apprête à vivre un moment qui devait être fondateur : l’espoir d’un pluralisme retrouvé et d’un retour progressif à la normalité démocratique. Pourtant, tout indique que ces élections risquent de consacrer l’inverse.
 
La rédaction de Mondafrique 
 
Loin de symboliser la renaissance institutionnelle annoncée, le processus actuel traduit une captation du pouvoir par des mécanismes électoraux biaisés, où la transparence recule à mesure que s’intensifie le contrôle politique.
L’origine du déséquilibre remonte au référendum constitutionnel de 2023, qui a aboli la limitation des mandats présidentiels. Cette réforme, présentée comme une consolidation des institutions, a surtout ouvert la voie à une présidence à durée indéterminée. Ce glissement vers la personnalisation du pouvoir a transformé l’élection à venir en simple étape d’un processus de légitimation du statu quo, plutôt qu’en compétition ouverte entre des visions politiques divergentes.
 
L’opposition sous surveillance, la participation entravée
 
La période préélectorale illustre à quel point l’espace politique s’est rétréci. L’exclusion initiale, puis la réintégration tardive des anciens Premiers ministres Anicet-Georges Dologuélé et Henri-Marie Dondra, ne relèvent pas d’un hasard procédural, mais d’une stratégie éprouvée : fatiguer l’opposition, retarder sa préparation, et laisser au parti présidentiel le temps de saturer l’espace médiatique et institutionnel. Ces manœuvres administratives témoignent d’une volonté de maintenir un pluralisme d’apparat, où l’alternance devient théorique.
Les autres partis, marginalisés ou menacés, peinent à s’exprimer dans un environnement politique dominé par la censure de fait, la peur des représailles et le déséquilibre structurel des moyens. La mainmise sur les médias publics, l’accès restreint aux ressources logistiques de campagne et une justice instrumentalisée réduisent toute opposition à une position de défense. Face à cette réalité, le boycott envisagé par la coalition du Bloc républicain pour la défense de la Constitution (BRDC) se veut comme un acte de résistance démocratique.
 
Les dérives d’un pouvoir sécuritaire et clientéliste
 
Pour légitimer le contexte électoral, le gouvernement met en avant une série d’accords de paix conclus avec des groupes armés. Officiellement, ces ententes devaient créer les conditions d’un scrutin apaisé. En pratique, elles ont institué un système d’achats de loyautés, où les seigneurs de guerre sont récompensés pour leur silence plutôt que jugés pour leurs crimes. La stabilité obtenue par l’argent et la peur ne saurait fonder la paix durable — elle prépare au contraire les prochaines flambées de violence.
L’absence de véritable désarmement et l’impunité persistante posent une question cruciale : comment parler de démocratie alors que le monopole de la force publique reste théorique ? Ce paradoxe s’aggrave encore avec la réduction planifiée de la MINUSCA, qui laisse craindre un recul du contrôle international et une recrudescence des représailles contre les populations des zones rebelles.
 
Un climat de peur et de repli identitaire
 
À Bangui comme dans les provinces, la parole publique se crispe. Les appels à la vigilance démocratique sont souvent assimilés à une trahison nationale. Dans les réseaux sociaux contrôlés par des cercles proches du pouvoir, une rhétorique xénophobe gangrène le débat politique, cherchant à disqualifier certains candidats au nom de leur “centralafricanité”. Cette dérive identitaire, encouragée par le silence complaisant des autorités, menace de fracturer encore davantage une société déjà fragilisée par des années de guerre et de marginalisation.
Dans le même temps, journalistes et activistes exercent leur métier sous la menace constante des arrestations et des intimidations. L’un des frères d’Henri-Marie Dondra demeure ainsi en détention provisoire sans inculpation, symbole d’un pouvoir qui criminalise la dissidence au lieu de l’écouter. Cette répression feutrée entretient un climat d’auto-censure incompatible avec tout processus électoral crédible.
 
Une République à la croisée des chemins
 
La République centrafricaine se trouve aujourd’hui face à une logique implacable de confiscation progressive des institutions. Le scrutin du 28 décembre risque d’entériner une normalisation de l’autoritarisme, comme un moment de légitimation d’un pouvoir qui avance de plus en plus sans contrepoids.
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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)