Referendum/Guinée : la chronique d’un fiasco annoncé

Le dimanche 21 septembre, près de sept millions de Guinéens étaient appelés à s’exprimer sur le référendum constitutionnel. Censé légitimer une junte dirigée par Mamadi Doumbouya hors des clous constitutionnels depuis quatre ans, l’opération a tourné en un flop magistral.

L’idée de modifier la Constitution est née dans la foulée du coup d’Etat du 5 septembre 2021. C’est une tactique bien connue et déjà fort usitée lors des putschs. Vis-à-vis des électeurs comme de la communauté internationale, elle permet de justifier de rester au pouvoir en dehors des clous constitutionnels.

Les arguments sont bien rodés : pour organiser une élection présidentielle libre, crédible et transparente afin de garantir la stabilité du pays, il est indispensable de se doter d’une nouvelle Constitution qui fixera les règles du jeu électoral et institutionnel. Imparable.

Un costume sur mesure

Bien entendu, modifier le texte fondamental et organiser un référendum prend du temps, Mamadi Doumbouya a usé du stratagème jusqu’à la corde. Il a réussi à tenir quatre longues années avant que la pression populaire et celle de ses partenaires internationaux ne devienne intenable. Au passage, le général au pouvoir en a profité pour appliquer l’adage « on n’est jamais mieux servi que par soi-même ».  Ainsi, le nouveau texte accorde une amnistie aux membres de la junte non seulement contre des poursuites judiciaires liées au coup d’Etat mais également aux autres actes commis pendant la transition ! Autre bonus : aucune clause particulière ne l’empêche de se présenter à la magistrature suprême contrairement aux promesses qu’il avait faites au lendemain du putsch et aux directives de la charte de la transition. Enfin, la nouvelle Constitution instaure un mandat unique porté à 7 ans au lieu de 5, mais est-ce une avancée si notable et qui empêchera de revoir la Constitution dans 6 ans ?

Même les oiseaux votent « Oui » !

En difficulté, fragilisé, sur la scène intérieure et à l’international notamment en raison des arrestations extrajudiciaires et des disparitions forcées, Mamadi Doumbouya avait absolument besoin d’une forte participation populaire à ce scrutin pour retrouver quelques couleurs. D’énormes moyens ont donc été mis en œuvre pour assurer la victoire du « oui ». Le pouvoir a organisé une vaste campagne publicitaire dans tous le pays avec des portraits géants du général-président. Craignant pour sa sécurité et ne se déplaçant jamais sans une armada pour le protéger, Mamadi Doumbouya n’a participé à aucun grand meeting. En revanche, ses ministres ont été mis à contribution, ils ont sillonné villes et villages pour prêcher la bonne parole et inciter les populations à aller voter « oui ».

Les Forces vives de Guinée, qui regroupent plusieurs partis dont celui du président Alpha Condé et celui de l’opposant Cellou Dallein Diallo, appelaient au boycott, mais, elles ont été interdites de campagne. Même des médias, pourtant consensuels, comme Guinée Matin ont été suspendus pendant la période électorale. Le décret de nomination des observateurs a été publié moins de 72 heures avant le vote et ceux envoyés par la CEDEAO ne sont venus que quatre jours avant. Ces délais limitent grandement la capacité des dits observateurs à mener à bien leur mission. Pour couronner le tout, le référendum s’est tenu sous haute supervision militaire. Quelque 45 000 soldats et un millier de blindés étaient déployés pour s’assurer du bon déroulement des opérations.

Comme si tout cela ne suffisait pas et que la menace pouvait aussi venir du ciel, la Guinée a fermé son espace aérien le jour du scrutin ! Loin d’être anodine, cette disposition donne la mesure de la paranoïa en cours au palais de Sékhoutouréya. Le journaliste en exil, Latif Diallo, a choisi l’humour pour commenter un tel dispositif : « il ne reste plus qu’à demander aux oiseaux de voter « oui » aussi ! »

Les jeux sont faits…

Las, même avec cette débauche de moyens, ce qui devait être le grand moment de légitimation du pouvoir de Mamadi Doumbouya a tourné au fiasco.  C’était écrit d’avance : entre appel au boycott de l’opposition et le rejet profond d’un régime militaire incapable de répondre aux urgences sociales et économiques, une grande partie de la population a boudé ce rendez-vous. D’après plusieurs sources guinéennes, dans le meilleur des cas, l’affluence dans les bureaux de vote a été décevante, dans les autres, elle a été catastrophique. Mais qu’importe… Les résultats officiels ne sont pas encore tombés, mais ils sont déjà connus. Le « oui » l’emportera haut la main, puisque même les oiseaux ont voté et la participation dépassera les 50% puisque c’est le quorum obligatoire pour valider la nouvelle constitution.

Pour autant, personne ni sur la scène nationale, ni sur le plan international ne sera dupe. Au contraire, ce référendum censé légitimer Mamadi Doumbouya le fragilise un peu plus et au lieu de stabiliser le pays, il ouvre une nouvelle phase d’instabilité.  Alors que la crise politique s’enlise, le pays court le risque de précipiter un autre chaos aux frontières d’une Afrique de l’Ouest déjà marqué par les incertitudes sécuritaires au Sahel et les tensions électorales en Côte d’Ivoire. Loin de clore la page du doute, ce référendum l’a ravivée, posant ainsi la question cruciale : combien de temps la Guinée pourra-t-elle encore marcher sur un  fil ?  

 

 

 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)