RD Congo : les abus des milices gouvernementales dans le Sud-Kivu

Les autorités devraient mettre fin au soutien aux groupes armés « Wazalendo », et assurer leur désarmement et l’obligation de rendre des comptes

(Nairobi, 23 mai 2025) – Une coalition de milices soutenues par l’armée congolaise appelée « Wazalendo » ont récemment commis des abus généralisés contre des civils dans la province du Sud-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Le gouvernement congolais soutient les Wazalendo (« patriotes » en swahili), en tant qu’allié dans sa lutte contre le M23, un groupe armé responsable d’abus ; bien que l’étendue du contrôle exercé par l’armée sur la coalition n’est pas claire. Les combattants Wazalendo ont battu, tué et extorqué des habitants, parfois sur la base de critères ethniques. Des groupes de la société civile du Nord-Kivu ont également 
dénoncé le « règne de la terreur » des Wazalendo.

« L’armée congolaise risque de se rendre complice d’exactions en soutenant les milices Wazalendo », a déclaré 
Clémentine de Montjoye, chercheuse senior au sein de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les autorités congolaises devraient cesser de soutenir la coalition Wazalendo, la désarmer, mener une enquête impartiale sur les abus et poursuivre tous les responsables d’exactions. »

La dernière offensive du groupe armé M23, soutenu par le 
Rwanda, qui a conduit à la prise de Goma dans la province du Nord-Kivu et de Bukavu dans la province du Sud-Kivu au début de l’année 2025, a entraîné le recul de l’armée congolaise. Depuis, les Wazalendo ont pris le contrôle de plusieurs autres localités du Sud-Kivu.

En mars et avril, des combattants Wazalendo ont mis en place des barrages routiers sur les routes principales reliant plusieurs villes du Sud-Kivu, où ils ont harcelé les habitants et collecté entre 500 et 1 000 francs congolais (entre 0,17 et 0,34 dollars US) par personne. Le gouverneur intérimaire du Sud-Kivu, Jean-Jacques Elakano, a déclaré aux 
médias le 23 avril que la province n’était pas en mesure de collecter des impôts à cause des combattants Wazalendo, qui ne devraient « pas se substituer à l’État ». Un rapport récent a souligné que, bien que les Wazalendo reçoivent du matériel militaire du gouvernement, la milice « vit sur le dos de la population », ce qui conduit à des actes d’extorsion.

En avril, Human Rights Watch a reçu des informations crédibles faisant état de combattants Wazalendo battant et fouettant des hommes et des femmes qu’ils accusaient d’avoir agi de façon inappropriée. « Certains Wazalendo agissent comme s’ils étaient la police et pensent qu’ils peuvent résoudre les conflits entre civils », a déclaré un habitant d’Uvira, au Sud-Kivu.

Le 3 mars, à Sange, dans le territoire d’Uvira, un commandant Wazalendo a arrêté et fouetté un homme, âgé de 48 ans, accusé d’avoir volé une télévision. Un proche et un voisin ont déclaré que l’homme était décédé des suites de ses blessures. Le commandant, qui a plus tard été impliqué dans le meurtre d’un soldat congolais, a été démis de ses fonctions, mais n’a pas été poursuivi en justice pour ces meurtres. Des sources militaires, humanitaires et autres ont exprimé leur inquiétude quant au manque de commandement et de contrôle exercés par l’armée congolaise sur les Wazalendo, qui, dans certains cas, auraient même désarmé ou attaqué des soldats congolais.

Les parties belligérantes dans l’est de la RD Congo 
ont de plus en plus fait appel aux préjugés ethniques, déclenchant des vagues de discrimination et d’abus. De nombreuses exactions commises par les Wazalendo ont visé les Banyamulenge (pluriel de Munyamulenge, désignant des Tutsis congolais principalement basés dans la province du Sud-Kivu), longtemps accusés d’être des partisans du M23. Le gouvernement rwandais et le M23 ont de plus en plus utilisé les incidents contre les Banyamulenge et les Tutsis dans des déclarations publiques pour justifier la résurgence du M23 et le soutien du Rwanda à ce groupe armé.

Un chef de communauté Munyamulenge dans le territoire d’Uvira a déclaré que pendant des années, les membres de sa communauté ont été accusés de ne pas être congolais, ce qui a rendu leur situation difficile. « Depuis que le M23 s’est emparé de Bukavu, la situation s’est aggravée », a-t-il déclaré. « Si on dit qu’on est Munyamulenge, [les Wazalendo] disent que [nous] n’existons pas. »

Le 14 février, des combattants Wazalendo ont tué un homme munyamulenge de 25 ans à Mulongwe, dans le territoire d’Uvira, après l’avoir accusé d’être rwandais. Ils lui ont tiré deux balles dans la hanche et il est mort de ses blessures, selon deux sources. Après la prise de Bukavu par le M23, des combattants Wazalendo sont entrés dans plus de 20 foyers banyamulenge à Uvira, volant des biens et menaçant les habitants. Dans un cas, ils ont tiré une balle dans la tête d’une femme et ont battu au moins trois personnes.

Le 3 mars, des combattants Wazalendo ont attaqué plusieurs villages banyamulenge situés dans un rayon de 10 kilomètres autour de Bibokoboko, dans le territoire de Fizi, au Sud-Kivu. Une source militaire et des habitants ont déclaré qu’il n’y avait pas de présence connue de groupes armés opposés près de Bibokoboko au moment de l’attaque. « Ils [les Wazalendo] ont dit que nous n’étions pas congolais, que nous étions rwandais. Ils ont dit qu’ils étaient venus à Bibokoboko pour ‘nettoyer’ les Banyamulenge », a déclaré un chef de communauté. « Ils ont tué sept personnes et détruit des maisons, des centres médicaux et des écoles. »

Human Rights Watch a mené des entretiens avec les proches d’un homme âgé de 60 ans et d’un homme âgé de 25 ans qui ont été tués au cours de l’attaque. Une source militaire a confirmé que des groupes armés Wazalendo avaient attaqué des villages voisins avant de se diriger vers les positions de l’armée congolaise à Bibokoboko. Human Rights Watch a utilisé des images satellite et des photographies vérifiées et géolocalisées pour confirmer que des maisons avaient été incendiées ce jour-là, dans plusieurs villages, dont Madjdja, Lulimba I et Bibokoboko.

L’armée congolaise a néanmoins continué à fournir des armes, des munitions et un soutien financier aux Wazalendo. Le 4 avril, un commandant d’un groupe armé 
a écrit au président congolais Félix Tshisekedi pour se plaindre que Justin Bitakwira Bihona Hayi, un membre de l’Assemblée nationale qui coordonne le soutien à la coalition Wazalendo dans le Sud-Kivu, ne distribuait pas entièrement les fonds gouvernementaux à tous les groupes armés Wazalendo.

Le 
Groupe d’experts des Nations Unies sur la RD Congo a rapporté que Justin Bitakwira Bihona Hayi a tenu des propos haineux et encouragé la discrimination et l’hostilité envers la communauté tutsie, dont les Banyamulenge. En juillet 2023, il a été convoqué par le procureur de la République près de la Cour de cassation et interrogé sur son utilisation du « langage tribal » à l’encontre de la communauté tutsie, mais aucune action en justice n’a été engagée. En 2024, il avait promis aux groupes armés du Sud-Kivu de les intégrer dans la force de réserve de l’armée congolaise.

Les fonctionnaires qui fournissent sciemment des armes à des groupes armés responsables d’abus risquent de se rendre complices des crimes commis par ces groupes. Les commandants peuvent être tenus responsables de crimes de guerre au titre de la responsabilité du commandement s’ils savaient ou auraient dû savoir que les forces placées sous leur contrôle commettaient des abus, mais qu’ils n’y ont pas mis fin ou ne les ont pas sanctionnés.

Le conflit qui sévit 
depuis longtemps dans la région des Hauts-Plateaux, une zone couvrant une partie des territoires de Fizi, Mwenga et Uvira au Sud-Kivu, implique les groupes armés Twirwaneho et Ngumino de la communauté Banyamulenge, aujourd’hui alliés au M23, et les groupes armés Maï Maï des communautés Babembe, Bafuliru et Banyiundu, parmi d’autres. Les incidents sécuritaires impliquant des groupes armés et l’armée congolaise dans le Sud-Kivu ont augmenté après que la mission de maintien de la paix des Nations Unies en RD Congo, connue sous le nom de MONUSCO, se soit complètement désengagée de la province le 30 juin 2024, dans le cadre d’un accord entre l’ONU et le gouvernement.

La résurgence du M23 à la fin de l’année 2021 a conduit ces groupes armés et d’autres à former la coalition des Wazalendo pour combattre le M23. La plupart de ces milices sont organisées selon des critères ethniques et certaines étaient auparavant rivales. Des sources militaires et autres estiment qu’il y a actuellement environ 20 000 combattants Wazalendo, bien que le chiffre exact ne soit pas connu.

En septembre 2023, certains membres de la coalition Wazalendo ont formé les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), une force auxiliaire « officielle ». Le gouvernement congolais soutient également les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé composé majoritairement de hutus rwandais, dont certains dirigeants ont participé au génocide de 1994 au Rwanda, pour qu’elles combattent aux côtés des forces congolaises.

Les autorités congolaises devraient agir pour prévenir le harcèlement et les attaques à motivation ethnique, notamment en menant des enquêtes et en poursuivant de façon appropriée tous les responsables ; en outre, les autorités devraient 
interdire les pratiques discriminatoires susceptibles de conduire à de nouveaux abus.

L’administration du président Tshisekedi devrait réformer le secteur de la sécurité et mettre en place un 
mécanisme de contrôle pour l’armée et les autres services de sécurité. Elle devrait également donner la priorité à la lutte contre l’impunité pour les crimes graves, notamment en évoquant avec les parties prenantes concernées la création d’un mécanisme judiciaire international qui contribuerait à remédier à l’absence de reddition de comptes, tout en renforçant les processus judiciaires nationaux. Une telle réforme systémique, ainsi qu’un programme efficace de démobilisation des milices et des combattants des groupes armés, devraient être au cœur des discussions pour la paix en cours.

« Soutenir la coalition Wazalendo a des conséquences mortelles, et le gouvernement congolais devrait évaluer l’impact sur les civils de son soutien continu à ce groupe », a conclu Clémentine de Montjoye. « Veiller à ce que les auteurs de crimes graves soient traduits en justice est un élément nécessaire d’un effort plus large cherchant à mettre fin à des années d’exactions dans l’est de la RD Congo. »