En lançant l’offensive judiciaire contre son prédécesseur Joseph Kabila, soupçonné de soutenir les rébellions à l’est du pays, le président de la République démocratique du Congo Félix Tshisekedi prend le risque de le remettre au centre d’un jeu politique où il était en train de disparaître. Une stratégie guère lisible, au moment où des négociations entre la RD Congo, le Rwanda et les groupes rebelles sont menées sous l’égide du Qatar qui a obtenu pour l’instant de vrais résultats, notamment l’acceptation des Congolais de débuter une négociation avec les rebelles, des Etats-Unis et de facilitateurs de l’Union Africaine.
L’assaut était annoncé. En avril dernier, au moment où Mondafrique a rencontré des des membres du gouvernement de Kinshasa, les proches du président Félix Tshisekedi ont été tout à fait clairs. « Nous voulons couper tous les soutiens et toute l’influence que peut avoir le clan de Joseph Kabila dans ce pays. Que ce soit au niveau financier, diplomatique, politique, ou militaire. C’est la grand marionnettiste derrière la rébellion de l’Est ! Il pense pouvoir nous renverser par les armes avec l’aide du Rwanda. »
Le jour-même de cette rencontre, le 18 avril des perquisitions ont été menées dans son domaine Kingakati, un parc animalier en périphérie de la la capitale, à certaines adresses de sociétés de ses proches, et à son domicile présumé. Le 21 avril, le ministère de l’Intérieur a annoncé la suspension des activités de son Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), un prélude à sa dissolution.
La 2e phase de l’opération est intervenu la semaine dernière avec la levée de l’immunité parlementaire du sénateur à vie Joseph Kabila par la chambre haute, officiellement pour « participation directe » à la rébellion de l’Alliance Fleuve Congo – Mouvement du 23 mars, le mouvement politico-militaire soutenu par le Rwanda qui occupe depuis le début de l’année les villes de Goma et Bukavu ainsi que de pans entiers de l’Est congolais.
Frankenstein politique sous les tropiques
Le déclenchement de l’offensive à l’encore de l’ancien «Raïs», au pouvoir de 2001 à 2019 n’a guère surpris les observateurs de la scène politique congolais. Six ans après avoir permis son accession à la magistrature suprême – au prix d’un jeu de bonneteau électoral – Kabila est devenu le principal ennemi de son successeur Félix Tshisekedi. Le schéma classique du marionnettiste est dépassé par la créature qu’il pensait pouvoir contrôler. Le mythe de Frankenstein en version équatoriale. Mais la violence des procédés interroge.
« Depuis 2024, souligne le chercheur Ithiel Batumike Mihigo, chercheur à l’institut congolais Ebuteli de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence, le pouvoir central accuse Joseph Kabila d’être derrière la rébellion. Mais ce n’était que des mots. Désormais ils ont franchi l’étape judiciaire, avec des preuves qui sont pour l’instant légères.» Pour demander la lever d’immunité, seul un témoignage a été produit, de la part d’un homme condamné et très probablement torturé.
L’agenda surtout pose question. La spectre d’un renversement du pouvoir par les armes, bien présent en février dernier avec les défaites militaires à Goma et Bukavu, semble désormais éloigné. Les négociations avec les rebelles et leur soutien rwandais, si elles s’étirent en longueur, se poursuivent sous l’égide de l’Union Africaine et des puissants parrains américain et qatari.
Stratégie illisible
Ainsi, le clan Tshisekedi négocie à l’étranger avec ses assaillants et ses soutiens… tout en lançant à l’intérieur du pays des procédures contre les soutiens de ces mêmes assaillants. « C’est une stratégie qui peut-être illisible pour les partenaires internationaux du pouvoir», souligne Ithiel Batumike Mihigo. Moins amène, un diplomate africain balaie. « C’est totalement incohérent et c’est le propre de ce gouvernement. Ils agissent n’importe comment. Et ils ont même remis en selle Kabila qui avait quasiment disparu de la scène politique locale.»
Depuis les élections présidentielles et législatives de décembre 2023, que son parti le PPRD avait choisi de boycotter, l’ancien chef de l’Etat avait en effet perdu toute représentation au niveau national. Après des années de mutisme médiatique, le « Sphinx» a recouvré la parole pour longuement se livrer par deux fois ces dernières semaines. Son discours du 23 mai, posté sur les réseaux sociaux, a été visionné des centaines de milliers de fois, quand bien même il ressemblait à un disque rayé.
Douze travaux après cinq chantiers
Après avoir promis au cours de son mandat, l’accomplissement de 5 grand chantiers (infrastructure, emploi, santé, eau/électricité, éducation) très partiellement réalisé, l’ancien maquisard d’Hewa Bora a annoncé un programme en 12 points pour le Congo, dont « mettre fin à la dictature» de la part d’un homme qui a décalé pendant 3 ans les élections pour rester au pouvoir, « restaurer la démocratie» quand ses services de sécurité ont terrorisé opposants et journaliste, et « arrêter la guerre» qui a pourtant permis à son père puis à lui-même d’accéder au pouvoir. Et tout en niant ses liens avec l’AFC-M23, d’annoncer sa venue prochaine à Goma…. salué sur les réseaux sociaux par le chef du mouvement Corneille Nangaa…
Le tweet de Corneille Nanagaa
« On a l’impression que quand il a quitté le pouvoir, Kinshasa, c’était Dubai…, pouffe un ancien membre de son administration. C’est du grand guignol. Et il devrait commencer par s’appliquer le point 12.» A savoir « Mettre définitivement fin au recours et à l’utilisation des mercenaires : en conformité avec les conventions internationales, un rejet clair de l’ingérence externe.»
Ainsi va la politique congolaise. Quand le pays est partiellement occupé, la situation sécuritaire préoccupante, le drame humanitaire continue avec près de 7 millions de réfugiés, l’ancien et le nouveau président s’agitent pour occuper la scène. « Ils jouent tous les deux leur survie politique», souffle un observateur. Quitte à sacrifier la survie de milliers de Congolais.
L’affrontement fratricide entre le Congo et le Rwanda