Emprisonné sans jugement pour un délit qu’il nie, Jean-Pierre Marongiu ne bénéficie d’aucune aide des autorités françaises. De notre envoyé spécial, Ian Hamel
Lors de notre déplacement cet été au Qatar, nous avons été alertés par un collègue, qui a longuement séjourné dans la péninsule arabique. Un Français est derrière les barreaux depuis plusieurs années et son sort ne préoccupe guère l’ambassade de France à Doha. Aussitôt, nous avons pris contact avec la représentation française au Qatar. Pas de réponse. Presque par hasard, nous avons pu croiser un conseiller de l’ambassade de France à l’occasion d’une réception. Un homme charmant, mais qui a catégoriquement refusé d’aborder le sujet. Tout juste a-t-il accepté de reconnaître que le nom de Jean-Pierre Marongiu ne lui était pas inconnu. Mais pour le reste, il fallait que nous nous adressions au Quai d’Orsay à Paris. Le diplomate nous a ensuite rassuré sur l’état de propreté des cellules au Qatar. Ce n’était pas du standing quatre étoiles, mais presque.
Le 7 juillet dernier, RFI a reçu une réponse tout aussi rassurante du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères : « M. Marongiu bénéficie de la protection consulaire prévue pour les détenus. Notre ambassade est en relation étroite avec l’administration pénitentiaire locale et notre compatriote reçoit des visites consulaires régulières. La dernière effectuée le 4 juillet, a permis de constater que M. Marongiu était en bonne santé ». Simple omission de la part des services de Jean-Yves Le Drian : le chef d’entreprise français est en grève de la faim depuis le 18 juin 2017. Et on lui a confisqué son téléphone portable. Il ne peut plus communiquer quotidiennement par WhatsApp avec Debborah Abitbol, son avocate parisienne. Ce n’est pas grave non plus s’il est enfermé avec des islamistes et qu’il subit des brimades.
Proche de l’émir, donc intouchable
Dans un livre publié en 2014, Jean-Pierre Marongiu livre une description un peu moins emballante de sa cellule située au block 2 de la prison centrale, à Doha. « La pièce mesure approximativement six mètres de long et autant de large. C’est une dimension respectable en prenant en considération les critères européens (…) Comme tous ceux qui partagent ce dortoir, ils sont dix à respirer le même air, je n’ai aucune idée du temps dont je serai privé de ce qui me semblait être une évidence : ma liberté » (1). L’histoire a pourtant débuté comme un conte de fées. Ingénieur dans le secteur pétrolier, familier de la vie à l’étranger, Jean-Pierre Marongiu rejoint l’émirat gazier, qui brille alors de mille feux, en 2005. Il crée une société de formation en management, Pro & Sys. Seulement voilà, comme tout étranger, il a l’obligation d’être « sponsorisé » par un ressortissant local. En clair, l’homme d’affaires doit refiler 51 % à son parrain, membre de la famille de l’émir, c’est un Al-Thani.
Tout va très bien jusqu’en 2009, l’entreprise est florissante. Il préside l’association des Français installé au Qatar. Jusqu’au moment où son parrain souhaite lui reprendre ses parts. Sur le principe, Jean-Pierre Marongiu n’est pas contre. Il pense repartir avec 2,5 millions d’euros. Le Français n’a rien compris. En fait, son « associé » veut récupérer sa participation… gratuitement. Une escroquerie pure et simple, couverte par ses liens familiaux avec le pouvoir. « D’un seul coup, mon business s’est tari, j’ai perdu mes clients, je me suis retrouvé à taper à toutes les portes pour survivre », raconte-t-il dans Le Parisien en 2013 (2). L’entrepreneur français réussit à faire partir sa famille. Mais pas lui : pour quitter le pays, il lui faut un « exit visa » délivré par… son sponsor. De plus, ce dernier a pris bien soin de vider les comptes de l’entreprise. Résultat, Jean-Pierre Marongiu est accusé de chèques sans provision. Un délit qui peut coûter jusqu’à dix ans d’emprisonnement ! Selon différentes sources, il s’agit de six à dix chèques en bois.
Circulez, rien à voir
« C’était un homme très respecté au Qatar, bénéficiant d’une solide assise financière. Des photos le montrent avec toutes les autorités du pays, y compris l’ambassade de France. On comprend donc mal aujourd’hui le peu d’empressement de Paris pour lui venir en aide », constate maître Debborah Abitbol. Jean-Pierre Marongiu décide donc de s’enfuir… en kayak. L’une des îles qui composent l’archipel de Bahreïn n’est qu’à cinq kilomètres des côtes qataries. Seulement voilà, comme l’entrepreneur est entré illégalement à Bahreïn, l’ambassade de France à Manama refuse de l’aider. Elle lui aurait même fait un coup tordu. Marongiu tombe dans les pattes de la police locale qui le livre aux autorités du Qatar. C’est la prison. D’abord six mois pour avoir quitté illégalement le pays. Ensuite sept années supplémentaires pour « escroquerie ».
Pour avoir une petite idée du fonctionnement de la justice dans l’émirat, il faut lire son livre, « Qaptif ». On y apprend que l’analyse du dossier ne se fait pas en première instance, mais en cour d’appel. De toute façon, l’appel ne sert à rien, car les juges ne peuvent pas se déjuger. Bref, depuis 2013, Jean-Pierre Marongiu tente d’alerter les autorités tricolores sur son sort, sans résultat. Même lorsqu’il entame des grèves de la faim. « En fait, Paris ne veut rien faire qui puisse perturber ses bonnes relations avec Doha, sous prétexte que cela pourrait freiner des tractations commerciales. Les Français craignent que demander la moindre indulgence pour le prisonnier risque d’être interprété comme une ingérence dans le système judiciaire qatari », souligne un proche du dossier.
La Kafala, un esclavage moderne
L’entrepreneur, originaire de Florange, en Moselle, multiplie les appels au secours auprès des locataires de l’Elysée. D’abord auprès de François Hollande, en vain. Puis d’Emmanuel Macron. « Je suis injustement incarcéré au Qatar sans avoir pu faire valoir mes droits et abandonné par mon pays, depuis trois ans huit mois et quelques jours », écrit-il. Sa défense ne conteste même plus sa peine. Elle demande simplement que Marongiu puisse effectuer le temps qui lui reste à accomplir dans une prison française. « J’ai écrit pour cela une lettre en arabe à l’émir, et celle-ci lui a été remise en main propre », souligne Debborah Abitbol, son avocate parisienne. Certes, le Qatar n’a pas signé l’accord de transfèrement facilitant le transfert des prisonniers entre le pays de détention et le pays d’origine. Mais n’est-ce pas un “détail“ que les deux pays pourraient rapidement régler ? A condition de s’en donner la peine. « Je suis très inquiète concernant l’état de santé de Jean-Pierre Marongiu. Après plus de 40 jours de grève de la faim, il risque d’en conserver des séquelles. De plus, avec l’embargo que subit actuellement le Qatar, les conditions se sont dégradées dans les prisons, qu’il s’agisse de la nourriture ou des produits d’hygiène », ajoute son avocate.
La « Kafala », ce système de parrainage dans les pays du Golfe, est considéré par Amnesty International comme une forme d’esclavage envers les étrangers. Le Français Stéphane Morello, entraîneur d’Al Shahaniya Sport Club, a ainsi été retenu au Qatar pendant cinq ans à la suite d’une brouille avec son employeur, le Comité olympique qatari. Il a raconté ses mésaventures dans un livre, « Séquestré au Qatar » (Max Milo), paru en 2015. Si les Emirats arabes unis ont aboli la Kafala en 2008, en revanche le président du principal conseil consultatif du Qatar a jugé en 2015 qu’il « n’était pas nécessaire de se presser » pour modifier la législation actuelle, qui permet notamment de priver les domestiques et les ouvriers bangladais, indiens et philippins de leurs passeports à leur arrivée dans le pays.
(1) Jean-Pierre Marongiu, « Qaptif ! Un Français otage du Qatar », Les Nouveaux Auteurs, 7 mai 20014.
(2) « Un entrepreneur français piégé au Qatar », Le Parisien, 24 août 2013.