À une semaine de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire, des ONG et les oppositions ont dénoncé, samedi, la nouvelle réglementation instaurée la veille par le gouvernement qui interdit la tenue de toute manifestation ou rassemblement, à l’exception de ceux des candidats autorisés à participer au scrutin.
L’arrestation et l’inculpation de Blaise Lasm et Nestor Dahi, tous deux secrétaires généraux adjoints du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), le mouvement de l’ancien président Laurent Gbagbo, ont été confirmés à l’Agence France-Presse (AFP) par leur avocate, Me Roselyne Serikpa, et le président exécutif du parti, Sébastien Djédjé Dano. Ils sont poursuivis pour « appels à l’insurrection et atteinte à la sûreté de l’Etat, trouble à l’ordre public et inobservation d’une décision du Conseil constitutionnel », a précisé Me Serikpa.
Pour le reste, la campage se poursuit dans un climat relativement serein. Les principaux candidats autorisés à se présenter espèrent être présents au deuxième tour. Deux personnalités de gauche, Ahoua Don Mello qui fut le fidèle compagon de route de Laurent Gbagbo avant de se brouiller avec lui et Simone Ehivet Gbagbo, qui fut son épouse, se rencontrent souvent et ont scellé une alliance de fait.
Dans un tel contexte, la stratégie de Laurent Gbagbo, l’ancien président ivoirien empêché de se présenter à la Présidentielle, n’apparait pas clairement. Lors d’un meeting en juin dernier et à plusieurs autres occasions, le principal rival du Président Ouattara qui est resté populaire dans une partie du territoire avait annoncé qu’il se battrait de toutes ses forces pour empêcher le quatrième mandat du président Alassane Ouattara. Pour l’instant, ses mots d’ordres appelant à paralyser le pays sont sans effet et ses silences incompréhensibles.
Beaucoup d’Ivoiriens se demandent quand l’ancien Président s’investira vraiment dans une campagne électorale qui semble lui échapper, comme l’explique ci dessous une chronique de l’éditorialiste Venance Konan.
Laurent Gbagbo ou la stratégie du chaos
Les principaux partis d’opposition ivoiriens que sont le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) que dirige Tidjane Thiam, l’ancien CEO du Crédit Suisse, et le Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI) de l’ancien président Laurent Gbagbo, avaient appelé à une manifestation le samedi 11 octobre pour protester contre l’éviction de leurs leaders de l’élection présidentielle du 25 octobre prochain, et contre ce qu’ils appellent le « 4ème mandat anticonstitutionnel » du président Alassane Ouattara. Le moins que l’on puisse dire est que la manifestation a fait flop, puisqu’elle fut rapidement dispersée par la police et plusieurs personnes arrêtées. Le même jour, madame Pulchérie Gbalet, une des figures de proue de la société civile appelait à paralyser tout le pays jusqu’au jour de l’élection. Mais le mot d’ordre ne produisit aucun effet, et la vie a continué comme auparavant, et la ville d’Abidjan se dépêtre toujours dans ses désagréables embouteillages.
Le mercredi 15 octobre, Laurent Gbagbo a organisé une réunion de la direction de son parti à l’issue de laquelle il a déploré « la brutalité de la répression » qui se serait abattue sur les militants de l’opposition, appelé à continuer les manifestants et annoncé qu’il s’adresserait au peuple ivoirien dans quelques jours.
Pendant ce temps les cinq candidats retenus pour le scrutin du 25 octobre continuent de sillonner le pays, à la recherche d’électeurs, sans que l’on ne signale d’incidents significatifs où que ce soit. A Guibéroua, fief de Blé Goudé, l’ancien « général de la rue », farouche supporter de Laurent Gbagbo avec qui il partagea la prison de Scheveningen aux Pays Bas après leur inculpation par la Cour pénale internationale, et qui s’est rallié à Simone Ehivet épouse Gbagbo, des partisans de l’ancien chef de l’Etat tentèrent d’empêcher son ex-épouse de tenir un meeting. Mais ils furent rapidement dispersés par la police.
Même dans les régions reconnues comme étant favorables à l’opposition, les appels à paralyser le pays sont peu suivis. Du moins sur le terrain. A Daoukro, fief du président Henri Konan Bédié, l’ancien président du PDCI décédé il y a deux ans, une délégation du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le parti au pouvoir, a fait campagne dans son village natal de Pépressou, et a été reçue par le chef du village, entouré de ses notables, ce qui aurait été impensable lors de la dernière élection présidentielle qui s’était soldée par plusieurs morts dans la région.
Laurent Gbagbo, « le vrai homme »
La situation est si calme qu’elle finit par intriguer certains militants du parti au pouvoir. « Que prépare Gbagbo et ses partisans ? » se demandent-ils non sans inquiétude. Ils n’osent pas imaginer que Laurent Gbagbo et ses militants aient déclaré forfait. Il en irait à tout jamais de la crédibilité de celui que l’on a surnommé « le Woudy », c’est-à-dire « le vrai homme » en langue Bété, l’ethnie à laquelle lui et le gros de ses troupes appartiennent, à savoir l’homme beau, fort, courageux qui ne recule devant aucune adversité.
Lors de l’un de ses meetings, Laurent Gbagbo avait déclaré : « savent-ils à qui ils ont affaire ? Savent-ils qui je suis ? Je suis Gbagbo. On m’appelle Gbagbo. » Alors, Gbagbo, reculer devant Ouattara ? Personne, ni partisan, ni adversaire, n’y croit.
Pour Laurent Gbagbo, cette bataille, peut-être la dernière de sa vie politique, est une question d’honneur. Il n’avait jamais caché que le combat de toute sa vie avait été de parvenir un jour à la présidence de son pays. Il y est parvenu en 2000. Mais il n’a exercé pleinement le pouvoir que pendant deux ans, contraint qu’il fut, en 2003, de le partager avec tous ses adversaires à la suite de la rébellion qui avait coupé son pays en deux en septembre 2002. En 2011, il quitta le pouvoir menotté, après le bombardement de sa résidence par les forces onusiennes.
Depuis lors, ses partisans et lui ne cessent de répéter avec une parfaite mauvaise foi qu’il fut le véritable vainqueur du scrutin d’octobre 2010 dont il refusa de reconnaitre les résultats.
Le retour au pouvoir, une obsession
Depuis sa sortie de prison, revenir au pouvoir est devenu son obsession. Au point que lorsque sa candidature fut rejetée par le Conseil constitutionnel, il refusa de soutenir toute autre candidature de l’un de ses lieutenants, comme ce fut le cas au Sénégal. Et lorsque Ahoua Don Mello, l’un des vice-présidents de son parti décida de se porter candidat « par précaution » comme il dit, il fut aussitôt exclu du parti. Et ses partisans ne pardonnent pas à son ex-épouse Simone qui a son propre parti d’avoir accepté d’être candidate alors que, lui ne l’était pas. En clair, pour Laurent Gbagbo, c’est lui ou personne d’autre.
Alors, ce Gbagbo-là croisera-t-il sagement les bras le 25 octobre prochain pour laisser les Ivoiriens aller voter tranquillement dans un scrutin dont le vainqueur probable a toutes les chances d’être, sauf grosse surprise, Alassane Ouattara, son grand adversaire, pour ne pas dire son ennemi ?
Ils sont nombreux à croire que l’opposition se prépare tranquillement dans l’ombre à lancer l’assaut final pour empêcher le scrutin du 25 octobre de se tenir. Sous quelle forme ? En provoquant peut-être la violence de la rue partout où cela sera possible. Il est peu probable qu’une telle action empêche totalement le scrutin dans tout le pays, puisque le pouvoir a déployé quelques 44000 éléments des forces de l’ordre pour faire face à une telle éventualité. Les opérations de vote seront sans doute perturbées dans certaines régions, mais auront peu de chances d’entacher la validité des élections, comme ce fut le cas en 1995 et en 2020.