Faute des moyens financiers suffisants, le tandem formé à la tête du Sénégal par Bassirou Diomaye Faye, président de la république, et Ousmane Sonko, Premier ministre, aura beaucoup de mal à tenir toutes ses promesses de campagne, en particulier la lutte contre le chômage des jeunes et la vie chère. Premières désillusions pour les nouveaux maitres du pays.
Correspondance à Dakar de Ibrahima Dieng
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L’épreuve du pouvoir a déjà commencé pour le tandem Diomaye-Sonko. Neuf mois leur après installation à la tête du Sénégal, leur régime est confronté à « des marges de manœuvre budgétaires et financières qui n’existent quasiment plus », selon les termes du Chef de l’État, Bassirou Diomaye Diakhar Faye lui-même. Une situation qui rend difficile la prise en charge des grandes promesses de campagnes électorales sur lesquelles l’Exécutif est très attendues: le chômage des jeunes qui ne faiblit pas et le coût de la vie.
Le chômage des jeunes, bombe à retardement
C’est donc un climat frisquet qui accompagne en ce moment le vent qui souffle sur Dakar, la capitale sénégalaise. Le Centre d’orientation social grouille de monde. Des centaines de jeunes sont massés devant un bâtiment, munis d’enveloppes. Elles comportent des documents tels qu’un passeport valide, une copie de leur casier judiciaire, etc. L’ambiance est électrique, caractérisée par des scènes de bousculades, des accrochages. En jouant des coudes, chacun veut se frayer du chemin. L’enjeu de cette lutte acharnée : réussir à déposer son dossier pour être recruté comme ouvrier agricole en Espagne pendant trois mois.
La situation en dit long sur la gravité du chômage des jeunes au Sénégal. En effet, pour le troisième trimestre de l’année 2024, le taux de chômage a atteint 20,3%, enregistrant une légère hausse par rapport au taux de 19,5% observé à la même période en 2023, soit une augmentation de 0,8 point de pourcentage, selon les données de l’Agence nationale des statistiques et de la démographie (ANSD).
Conscient des risques posés par le manque d’emplois les jeunes, le nouveau régime incarné par le président de la République Bassirou Diomaye Faye et son premier ministre Ousmane Sonko ont, dès les premières semaines au pouvoir, désigné comme leur principal défi l’insertion des jeunes. « La jeunesse, cœur bâtant de notre Nation, restera au centre de mes préoccupations. Je demeure convaincu que l’éducation, la formation aux métiers, l’emploi, l’entreprenariat des jeunes et des femmes restent des défis majeurs à relever », avait promis le Chef de l’État. Une tâche plus que jamais compliquée dans la mesure où les 450 milliards Fcfa décaissés entre 2020 et 2023 par le régime du président de République Macky Sall n’ont pas pu résoudre l’équation liée à l’emploi des jeunes.
Le scandale de la dette
Par quels moyens, le nouveau régime peut parvenir à créer plus d’emplois et réduire le chômage ? C’est la question que tout le monde se pose au Sénégal. L’incertitude est d’autant plus grande que le gouvernement du Premier ministre Ousmane Sonko est actuellement confronté à une équation économique et financière à plusieurs inconnues. De toute évidence, les finances publiques sont confrontées à une grave tension. Le déficit budgétaire qui a été annoncé à une moyenne de 5,5% du Produit intérieur brut (PIB), sur la période 2019 / 2023, était en réalité de 10,4 %, soit le double de ce que l’on attendait. Pour ce qui est de la dette, le Gouvernement parle de 1 892 milliards Fcfa empruntés mais introuvables sur les livrets et comptes publics. Actuellement, le taux d’endettement de 83% est largement au-dessus du plafond communautaire (zone FCFA Afrique de l’Ouest) qui est de 70%. Face à la gravité de la situation Sonko a sollicité, dès les premières semaines de son installation, le marché financier, en réalisant une émission d’eurobonds d’un montant de 453 milliards Fcfa. A ce montant s’ajoutent 998 milliards Fcfa mobilisés sur le marché local en 2024. La recette Diomaye-Sonko pour créer des emplois repose sur l’agriculture, l’industrialisation et la valorisation du potentiel touristique. Dans le cadre de l’Agenda 2050, lancé en octobre dernier, les autorités veulent tirer profit des industries chimiques et pharmaceutiques, du cuir et du textile, des industries d’assemblage et des industries de recyclage. Pour Victor Ndiaye, patron du Cabinet Performances Group, le Sénégal peut créer des emplois en valorisant son potentiel agricole à travers les céréales, l’horticulture, les produits de l’élevage, les produits agricoles, les produits forestiers et non ligneux de sel, pour devenir une puissance agricole moderne, avec une forte main d’œuvre locale.
Le coût de la vie toujours
Plus immédiatement, le nouveau gouvernement est confronté à la stabilité des prix des denrées. Actuellement, le marché fait face à une hausse du prix de l’huile et du sucre, deux produits de première nécessité et de grande consommation. Le sac de sucre est vendu actuellement à 29 750 FCFA alors que le prix homologué est 28 850 FCFA le sac. Un prix impossible à respecter pour les commerçants. Selon le président de l’Union nationale des boutiquiers du Sénégal Oumar Diallo, il n’est pas envisageable de vendre le kilogramme de sucre à 600 FCFA. « Car nous ne pouvons pas vendre à perte tout en supportant les frais liés au transport. Pour l’huile, la bouteille de 20 litres est vendue à 21 500 FCFA voire 22 500 FCFA au lieu de 19 500 FCFA », explique M. Diallo. Et pourtant, les dernières mesures prises par l’actuel régime concernaient la baisse des prix des denrées. « Les Sénégalais sont braves, mais ils sont fatigués et attendent de nous des solutions contre la vie chère. La question du coût de la vie me préoccupe particulièrement et retient toute mon attention. Dans les jours à venir, des mesures fortes seront prises, après les concertations que j’entreprendrai avec les acteurs concernés », s’était pourtant engagé Bassirou Diomaye Faye lors de son premier discours.
En réalité, l’enveloppe de 53 milliards CFA dégagée sous forme de subventions n’a pas suffi à changer la donne. Le montant atteindra à la fin de cette année, 72 milliards FCFA sans que les objectifs ne soient atteints. Interrogés, le directeur du Commerce intérieur, Cheikh Ahmadou Bamba Ndao estime que si les prix augmentent, c’est particulièrement à cause d’une offre sur le marché encore insuffisante. « Les cas de hausse relevés sont consécutifs à un déficit de l’offre face une forte demande, des moments propices à la spéculation et aux surenchères. C’est pourquoi, le fondement de la politique de prix est l’approvisionnement régulier et correct du marché. Il faut donc mettre en œuvre des mesures de nature à permettre aux acteurs (commerçants) d’approvisionner le marché soit à travers des importations ou participer à la mise en marché de la production locale », explique M. Ndao.
La mobilisation des ressources internes
Avec un taux d’endettement qui dépasse la norme communautaire, il est difficile de compter tout le temps sur les marchés financiers. Ainsi, le tandem Diomaye-Sonko, tous deux inspecteurs des impôts, compte sur son domaine de prédilection qui est la fiscalité. Une nouvelle politique fiscale est déclinée. L’objectif est d’atteindre un taux de pression fiscale de 20% en 2027 contre 18% en 2023. « Aujourd’hui, nous sommes à un taux de pression fiscale d’un peu moins de 18 %, en deçà donc du ratio de 20 % fixé par le critère de convergence de l’UEMOA. Notre ambition est d’atteindre et de maintenir un taux de pression fiscale supérieur ou égal à au moins 20 %. Ce qui correspondrait à des recettes additionnelles annuelles de plusieurs centaines de milliards », a promis Ousmane Sonko lors de sa Déclaration de politique générale. Cet objectif est, selon lui, largement à portée, si le système fiscal et nos administrations fiscale et douanière performent. L’autre levier de la nouvelle politique est de réduire ou d’éliminer les exonérations fiscales. Car elles sont évaluées, sur la période 2019-2022, à 2.232 milliards de Fcfa.
Il est également prévu l’élargissement du périmètre de l’évaluation des dépenses fiscales (mesures recensées et évaluées) à travers l’audit exhaustif de toutes les mesures tendant à baisser le poids de la fiscalité pour une activité économique ou une catégorie socio-professionnelle de citoyens-contribuables.
Sans oublier le retrait du Sénégal de toute convention bilatérale avec un paradis fiscal et la renégociation des clauses défavorables des conventions conclues avec des États à fiscalité́ normale. Des politiques qui ont pour objectif de donner de la marge à un gouvernement en « crise de liquidités » et qui a en face de lui plusieurs défis à relever tels que l’emploi des jeunes et la réduction du coût de la vie. Pour le tandem Diomaye-Sonko, l’état de grâce est désormais derrière lui