Plus de quatre cents soldats tués au Niger, au Mali et au Burkina

Au mois de mai 2025, plus de quatre cents soldats ont été tués dans des attaques similaires visant le Burkina Faso, le Mali et le Niger, membres de l’Alliance des États sahéliens (AES). L’épicentre en est la zone dite des ‘’trois frontières ‘’, depuis déjà quelques années un repaire de djihadistes. 

Paul AMARA, Centre des stratégies pour la sécurité du Sahel Sahara (Centre4s.org)

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Les explications foisonnent : rupture brutale du partenariat stratégique avec les puissances occidentales, absence de coordination dans la lutte anti-terroriste, poids financier de ce combat, difficultés opérationnelles et épuisement des armées, organisation plus efficace des terroristes, importance de trafics multiples finançant divers groupes, etc. Pour s’en sortir, certains pays pourraient être amenés à solliciter l’aide d’organisations régionales ou continentales.  

La rupture des accords militaires entre l’AES et le Tchad d’avec les puissances occidentales a eu pour conséquence immédiate de les priver d’informations satellitaires sur les mouvements des groupes djihadistes.  C’est en fin novembre 2024 que le Tchad mit fin aux accords militaires avec la France. L’une des raisons officielles serait le refus de l’armée française de livrer au Tchad des images satellites sur les déplacements des terroristes de Boko Haram, lors d’attaques contre des soldats tchadiens dans le bassin du Lac Tchad, un mois plus tôt. Le lieu abrite les combattants du groupe djihadiste Boko Haram et  sa branche dissidente, l’État Islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP, en anglais).

D’autres régions du Sahel souffrent de routes très difficiles à emprunter et d’infrastructures médiocres. Pire, les terroristes s’attaquent, de plus en plus, aux réseaux de télécommunications, afin d’éviter d’être signalés aux autorités et pour bloquer les liaisons entre militaires. Au Burkina Faso, selon l’Autorité de régulation des postes et des communications électroniques (ARCEP), le nombre de tours de communications détruits par des GAT est passé de 11 en 2019 à 106 en 2022. Celui des sites hors service ou inaccessibles a également augmenté, passant de 632 en 2022 à 681 en août 2023. Cette situation a entraîné une réduction de 10 à 20 % du taux de couverture réseau.

Les Russes au secours.

Suite aux ruptures de partenariats avec les puissances occidentales, l’AES fit appel aux Russes et aussi aux Turcs et aux Chinois. Toutefois, Niamey a rompu la partie du contrat le liant à la Russie et à la Turquie en son volet renseignement en mai 2025. Le Niger déplore la faiblesse opérationnelle des équipements et des techniciens fournis par ces deux partenaires dans le domaine stratégique de l’interception téléphonique. L’ancien allié américain put alors faire son retour Niger. En effet, après son coup d’État de juillet 2023, la junte avait, avec fracas, dénoncé les accords de défense entre les deux pays en mars 2024 et demandé le départ immédiat des soldats américains présents sur son sol. Ce qui fut effectif le 17 septembre 2024. Le 12 mai 2025, retournement spectaculaire : le pays renouait discrètement avec l’armée américaine. L’ambassadrice au Niger, Kathleen FitzGibbon, déclarait ‘’le Niger demeure un partenaire des États-Unis dans la stabilité régionale et la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest’’. La question : comment ces anciens associés, qui se sont rabibochés, vont-ils pouvoir retravailler ensemble, en toute confiance ?

 Ce revirement intervient cependant dans un contexte de tensions commerciales, pas encore apaisées, entre le Niger et son puissant et discret partenaire dans les hydrocarbures : la Chine.  Le Burkina Faso a, également, connu des débuts plutôt curieux avec sa nouvelle alliée stratégique, la Russie. En effet, une centaine de militaires russes, d’une brigade dénommée Bear, arrivés fin janvier 2024, ont été rapatriés, dès début septembre 2024, officiellement pour renforcer les lignes du front en Ukraine.

Déficit de coordination.

Après la mort du G5 Sahel, le 02 décembre 2023, les pays sahéliens n’ont pas reconstruit une autre structure pour leur défense et leur sécurité communes. La coopération militaire, au plan régional, est quasi-inexistante. L’Initiative de Sécurité d’Accra, prise en 2017 par sept Chefs d’État et de Gouvernement de la CEDEAO aurait pu prendre le relai du G5 Sahel et de sa Force conjointe. Mais elle semble stagner, depuis la création de l’AES. Le Burkina Faso et le Niger accusent le Bénin d’abriter des bases militaires françaises, destinées à les déstabiliser. Ce que le Bénin dément, fortement. En revanche, le Burkina Faso et le Niger s’entendent avec le Togo et le Ghana. Le premier accuse, de temps à autre, la Côte-d’Ivoire non seulement d’abriter ses opposants mais encore de vouloir le déstabiliser. Les deux pays dénoncent, régulièrement, des incursions militaires de part et d’autre de leurs poreuses frontières respectives. Entre la Côte-d’Ivoire et le Mali, le courant diplomatique reste froid, depuis l’affaire des 49 soldats ivoiriens arrêtés le 10 juillet 2022, puis jugés pour ‘’tentative de complot’’, avant d’être graciés puis expulsés vers leur pays, le 06 janvier 2023. Le Mali entretient, également, des relations tendues avec l’Algérie voisine. Il a dénoncé, mercredi 1er janvier 2024, « la proximité et la complicité de l’Algérie avec les groupes terroristes, qui déstabilisent le Mali et à qui elle a offert gîte et couvert ». Bamako a dénoncé l’Accord d’Alger, le 25 janvier 2024, après avoir fait constater l’inapplicabilité absolue dudit Accord, signé en 2015. Elle pointe aussi des ‘’actes inamicaux’’ et l’ingérence de l’Algérie dans ses affaires internes !

Le 06 avril 2025, le Mali annonçait des ‘’mesures fermes’’, suite à ‘’ l’attaque préméditée’’, par l’Algérie, d’un drone des Forces armées maliennes, près de leur frontière commune, à Tinzaouatène, dans la nuit du 31 mars au 1er avril 2025. Selon Bamako, l’appareil n’a jamais quitté son territoire, et a été abattu par des tirs de missiles algériens. Alger revendique la destruction du drone, en l’attribuant au viol de son espace aérien. À noter que le coût estimé du drone est de trois milliards de FCFA soit 4,5 millions d’euros. Suite à ce grave incident, les deux pays décidèrent de fermer leur espace aérien l’un à l’autre. Leurs frontières terrestres le sont également, provoquant une crise économique au Nord Mali, cette portion de territoire étant approvisionnée en denrées diverses par le riche voisin algérien.

Des difficultés subsistent aussi dans les relations entre le géant Nigéria et son voisin, le Niger, depuis l’avènement de la junte. Le Niger accuse périodiquement le Nigéria d’abriter des terroristes qui sabotent régulièrement son pipeline pétrolier allant au Bénin. Le Niger classe le Tchad dans la même catégorie des pays hostiles. Officiellement, le Bénin sollicite, en vain jusqu’à présent, la réouverture de ses frontières avec le Niger, fermées depuis le coup d’État du général Tiani, et une coopération sécuritaire avec le Burkina Faso. Le pays a enregistré son attaque la plus meurtrière le 17 avril 2025, avec 54 soldats tués. Le voisin togolais n’est pas épargné par les terroristes. Le 08 octobre 2024, une attaque y a causé la perte de huit civils et le 19 octobre 2024, une autre incursion y fit 19 morts.

Les terroristes se paient sur la bête.

Un autre phénomène illustre les graves difficultés des armées du Sahel. L’ONG britannique spécialisée dans la traçabilité des armes conventionnelles, des munitions et du matériel militaire dans les zones de conflitS, Conflict Armament Research, a publié, le 29 avril 2025, un rapport détaillé sur l’origine de l’armement utilisé par les GAT (groupes armés terroristes) actifs dans le Sahel. Elle a analysé au moins 700 armes. Il en ressort qu’un cinquième des saisies, entre 2014 et 2023, provient des stocks militaires de l’AES. D’autres armes ont transité par des pays tels le Liberia, la Libye, le Nigeria et le Tchad. Une des conclusions possibles est que : ‘’Plus les groupes saisissent d’armes, plus ils attaquent d’avant-postes et plus leur capacité à poursuivre ces attaques augmente de manière exponentielle’’.  En partie du fait de cela, le Burkina Faso a augmenté ses dépenses militaires de 108%, entre 2021 et 2024. Le Niger a accru les siennes de 56%, sur la période 2022-2024. Quant au Tchad, son budget militaire a connu une hausse de 43%, en 2024. Au Mali, elles sont passées de 785,30 millions de dollars en 2023 à 929,30 millions en 2024, une augmentation de 15,49%. Parallèlement, les GAT s’attaquent aux bases économiques des pays. Au Niger, ils sabotent le pipeline, long de 1980 km dont 675 sur le sol nigérien, destiné à écouler le pétrole via le Bénin. Au Mali, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), dirigé par Iyad Ag Ghali, ‘’protégé d’Alger’’, selon Bamako, a ordonné à ses troupes de s’attaquer aux mines d’or se trouvant à Kayes, Koulikoro et Sikasso. Ordre leur a été donné aussi de s’en prendre aux entreprises impliquées dans la construction, la réhabilitation et l’entretien des routes stratégiques reliant le Mali aux corridors atlantiques : Abidjan, Conakry, Dakar et Nouakchott.

Face à une telle tragédie, la nécessité et l’urgence d’une stratégie de lutte plus large devrait se profiler. Les ministres des Affaires étrangères de l’AES et le Président de la Commission de la CEDEAO ont eu des ‘’ consultations’’ à Bamako, le 22 mai dernier. Les deux parties ont reconnu la pertinence d’une coopération efficace dans la lutte contre le terrorisme. Le parrain supposé de l’AES, la Russie, a adressé ses félicitations à la CEDEAO pour son rôle dans la promotion des processus d’intégration des États membres, à l’occasion de son cinquantième anniversaire, fin mai 2025. Le Maroc, déjà signataire d’accords divers avec les pays membres de l’AES, démontrant sa capacité à naviguer avec finesse dans des situations politiques délicates, a offert, de surcroit, de raccorder ces pays au Gazoduc Nigéria-Maroc, puis de les accompagner jusqu’à leur retour au sein de la CEDEAO. Enfin, certains milieux diplomatiques évoquent l’hypothèse d’une Conférence panafricaine, un adjectif prisé par l’AES, sur la sécurité sahélienne, qui se tiendrait à Addis-Abeba avec la co-présidence de la CEDEAO, de l’Union africaine et de Puissances partenaires. Une lueur d’espoir ?

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)