ONU, une Assemblée générale virtuelle

La 75 ème session de l’Assemblée générale de l’ONU a été ouverte le 21 septembre 2020 par le Secrétaire  général de l’ONU, Antonio Guterres. C’est l’ancien ministre des Affaires européennes de Recep Tayyip Erdogan, Volkan Bozkir, élu le 17 juin 2020 par 178 voix sur 193, qui la présidera durant une année. 

Cette Assemblée générale devait être inaugurée avec faste, car elle marque le soixante-quinzième anniversaire de l’ONU. Les festivités ont été annulées et les discours de circonstances de félicitations des Etats membres, enregistrés et souvent prononcés sur un ton monocorde, ressemblaient davantage à une oraison funèbre qu’à un panégyrique.

Antonio Guterres personnifie le statu quo intangible et la distanciation, de plus en plus visible, entre le discours politique et les actions réellement accomplies

Evidemment, le président Volkan Bozkir a reçu, comme c’est la tradition diplomatique, les félicitations pour sa brillante élection, ce qui a dû faire rougir de plaisir Recep Tayyip Erdogan. De même, selon les principes immuables de la langue de bois qui régissent les débats du Palais de verre, Antonio Guterres a également recueilli des louanges pour son action durant la 74 ème Assemblée générale.

On ne peut que s’interroger pour trouver un quelconque rôle majeur du Secrétaire général dans la résolution d’une crise ou d’une réforme ayant abouti durant l’exercice 2019-2020. Antonio Guterres personnifie le statu quo intangible et la distanciation, de plus en plus visible, entre le discours politique et les actions réellement accomplies. Avec ses 75 ans,  l’ONU a pris beaucoup de rides. Elle ne correspond plus au contexte de ce XXI ème siècle. Sans une profonde réforme, avec une pandémie ou pas, l’ONU deviendra de plus en plus virtuelle.

Litanie de discours dans une salle vide 

 Pour cause de Covid-19, les travaux du début de la 75 ème Assemblée générale se font en visioconférence, sans donc la présence physique des chefs d’Etat et de gouvernement des 193 Etats membres. Leurs discours ont été préalablement enregistrés et traduits, pour être téléchargés à New York, plusieurs jours avant leur  programmation en Assemblee générale. De nombreux discours ont largement dépassé le temps de quinze minutes, qui étaient pourtant exigés, allongeant cette logorrhée interminable qui s’est déroulée dans une salle des plénières totalement vide. Ce passage rituel obligé ne suscitera pas le moindre débat. Exit également les réunions bilatérales entre délégations, en marge de l’Assemblée générale. Jusqu’à maintenant, la présence effective de très nombreux chefs de l’État et de gouvernement permettaient de discrets tête-à-tête, si utiles pour améliorer des relations interétatiques compliquées. 
Faute des habituelles délégations pléthoriques pour ce pèlerinage annuel, les Etats ont missionné leur Représentation permanente à New York pour assurer leur présence à ce fastidieux exercice diplomatique. Donald Trump, qui a l’ONU, avec ses agences, dans le collimateur, a chargé une Représentante adjointe, quasiment inconnue, d’assurer la représentation des États-Unis d’Amérique, montrant ainsi son mépris pour le temple du multilatéralisme.

Le multilatéralisme en berne

Les quelques diplomates accrédités auprès de l’ONU errent dans des couloirs vides, les restaurants aux alentours sont pour la plupart fermés, les entreprises de  services de sécurité sont au bord de la faillite, les hôtels de Manhattan qui accueillaient généralement, en cette période de l’année, des milliers de diplomates, autant de journalistes du monde entier et des centaines de lobbyistes sont quasiment déserts.

Le siège de l’ONU ressemble à un immeuble fermé pour travaux ou en situation de liquidation donnant bien le reflet de ce qu’est devenu le multilatéralisme.

L’heure est à l’unilatéralisme et à la priorité donnée aux intérêts nationaux. 
Dans l’ordre protocolaire de cette 75 ème Assemblée générale, les quatre premiers discours ont donné le ton. Après l’intervention du Brésilien Jaïr Bolsonaro qui a fustigé les  » atteintes à la souveraineté de son pays  » concernant la campagne menée par  » les ONG environnementalistes et certaines Puissances  » à propos de l’exploitation de l’ Amazonie et des conséquences écologiques, ce fut au tour de Donald Trump puis de Xi Jinping, avec Recep Tayyip Erdogan placé entre les deux chefs d’Etat.

Le président turc a dû apprécier cet ordre protocolaire. Faisant fi de ses interventions en Syrie et en Libye, Recep Tayyip Erdogan se présenta en homme de paix, notamment en proposant une conférence régionale sur la Méditerranée et en défenseur de l’Humanité, réclamant pour les 7 milliards d’habitants de la planète une réforme de l’ONU devenue obsolète, notamment avec son Conseil de sécurité anachronique. Le président Erdogan, dont le double language n’a d’égale que sa démagogie, pourra engranger les soutiens venant de tous côtés. Evidemment, son apparente conversion au multilatéralisme n’est qu’un leurre lui permettant de poursuivre son rêve de grandeur en toute quiétude. Plus attendus étaient les discours de Donald Trump et de Xi Jinping.

La passe d’armes entre Donald Trump et Xi Jinping

Les attaques de Donald Trump contre la Chine ont été particulièrement violentes, notamment en mettant en cause  » le virus chinois » qui aurait été inoculé à la planète entière, sous la responsabilité des autorités chinoises

Le discours de Donald Trump était attendu. Donald Trump n’a pas eu de mots assez durs envers l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui, serait aux mains de la Chine, ce qui expliquerait sa bienveillance, lors de la propagation de la pandémie. La motivation de son retrait de l’OMS était toute trouvée.

En rappelant que la politique des Etats-Unis était uniquement guidée par le principe unilatéral de   » L’Amérique d’abord », Donald Trump pouvait se féliciter du retrait des accords sur le nucléaire avec l’Iran ainsi que sur les changements climatiques, au grand dam de la France. Dans la guerre commerciale qui l’oppose à la Chine, Donald Trump a stigmatisé les pratiques abusives commerciales et la destruction de l’environnement dans l’offensive de la Chine. Pour couronner les bienfaits de l’action unilatérale des États-Unis d’Amérique, le président américain se félicita des succès obtenus au Moyen-Orient, avec l’accord entre Israël et les Emirats arabes Unis, au Soudan et en Afghanistan. On pourrait croire que Donald Trump attribue tous les maux au multilatéralisme et au-delà à la Chine de Xi Jinping.

En multipliant ses contributions et en plaçant ses personnels, la Chine poursuivra son entrisme dans les institutions onusiennes

Non sans surprise, Xi Jinping qui ne pouvait directement répondre à Donald Trump, avait axé son intervention sur la nécessité d’apaiser les tensions interétatiques nées de la confrontation de deux blocs, imputable selon lui à Donald Trump, et de developper les relations commerciales pour le plus grand bien du développement, sans faire intervenir une idéologie rétrograde, là encore Donald Trump est bel et bien visé. Tout en nuance, les Etats-Unis d’Amérique sont visés sans jamais être nommément désignés. Afin de prendre le contre-pied de Donald Trump, Xi Jinping s’est fait le chantre du multilatéralisme, ce qui aurait dû plaire à Emmanuel Macron. N’ étant pas dupe des arrière pensées de la Chine, le président français a prévenu qu’il ne fallait pas se satisfaire d’un  » multilatéralisme des mots ».

En multipliant ses contributions et en plaçant ses personnels, la Chine poursuivra son entrisme dans les institutions onusiennes, ce qui en cas de réélection de Donald Trump, pourrait bien accélérer le retrait des États-Unis d’Amérique. La relative paralysie du Conseil de sécurité de l’ONU, depuis près d’une année, pourrait bien se poursuivre pendant l’année de cette 75 ème Assemblée générale.

La disparition inexorable de l’Europe

Placé en quatorzième rang, pour l’intervention de la France, le président Macron n’a pas suscité l’intérêt qu’il avait connu lors de ses trois précédentes Assemblées générales.  Sa vision du monde, à travers une Europe revigorée et un multilatéralisme salvateur, est désormais bien connue. Elle se heurte aux dures réalités d’une Europe de moins en solidaire et d’un multilatéralisme qui prend, de plus en plus, les formes d’une utopie.

Le président Macron ne peut que faire le constat que l’ONU est minée par les rivalités entre les deux super puissances que sont les États-Unis d’Amérique et la Chine. Quant à l’Europe, il devrait se rendre compte que l’affectio societatis, ayant permis cette construction supranationale, disparaît inexorablement.

Le prochain départ du Royaume-Uni pourrait bien annoncer d’autres fractures entre les 27 Etats membres, avec la priorité désormais donnée aux intérêts nationaux, notamment en ce qui concerne les flux migratoires et les conséquences du Covid-19.