Le renversement du président Mohamed Bazoum, le 26 juillet 2023, a ouvert une plaie plus profonde qu’un simple putsch militaire. Ce coup de poignard contre un des rares hommes d’État du continent africain est venu la main de celui qu’il considérait comme un frère, son prédécesseur et protecteur Mahamadou Issoufou, qui a encouragé le chef de sa garde présidentielle à prendre le pouvoir pour conserver, lui, le vrai contrôle sur les richesses du Niger et sur le fonctionnement du régime. Ce qui, hélas, est en train de se produire.
Voici une chronique de Mohamed AG Ahmedou, journaliste
Pendant plus de trente ans, leurs noms avançaient comme une seule trajectoire. Mohamed Bazoum et Mahamadou Issoufou avaient bâti, pierre après pierre, un compagnonnage politique rare en Afrique de l’Ouest : même idéal démocratique, mêmes années de clandestinité, même combat dans un Niger où l’alternance a souvent vacillé.
L’accession de Bazoum à la présidence en 2021 devait être l’aboutissement d’une fidélité militante et d’un pacte fraternel.Mais au cœur du Sahel, l’amitié politique peut se fracturer sous le poids des ambitions
«Un coup de poignard, pas un coup d’État. Le Niger paie aujourd’hui le prix d’une trahison programmée» Ghaliou Alhassane, président du Collectif pour la Libération du Président Bazoum
Le résultat, le voici: Abba Issoufou, fils de l’ancien président Mahamadou Issoufou, aurait été pressenti pour reprendre les rênes du pouvoir, ou à défaut le ministère de la Défense, marqué par une gestion opaque des milliards destinés à l’armée que le Présient Bazoum comptait combattre
La dignité murée de Bazoum
Pour beaucoup de Nigériens, le refus de Bazoum de démissionner reste l’acte fondateur de sa stature morale dans l’histoire contemporaine du pays : « Le président Bazoum a juré de servir le peuple, affirme un proche. Il a tenu. Il a préféré la prison à la trahison de ses valeurs. Dans l’Afrique politique de 2023, c’est un geste rarissime». Une dignité murée, mais intacte. Une résistance silencieuse, mais puissante.
« Quand un homme trahit, il sera trahi », écrit Henri Sebgo, un des soutiens inconditionnels de Mohamed Bazoum, dans un édito publié sur les groupes WhatsApp.
Le militant et soutien du président Bazoum, Henri Sebgo, ajoute une lecture plus implacable encore. Selon lui, le système mis en place entre 2011 et 2021 est en train de s’autodétruire. « Aujourd’hui, même le putschiste du Niger, général Tiani, son propre allié, est en train d’abandonner Issoufou. Quand on trahit un camarade, on finit toujours par être trahi à son tour. C’est la logique implacable du pouvoir sans morale. » Le même dénonce aussi les mises en scène orchestrées par les militaires au pouvoir: « Les foules qu’ils montrent à l’international sont fabriquées : 90 % d’enfants d’écoles coraniques, d’orphelinats, de commerçants contraints de fermer boutique, d’enseignants forcés de quitter leurs classes pour applaudir. Ce n’est pas une adhésion. C’est une manipulation. »
Une démocratie sacrifiée
Alhassane, formule sa critique avec lucidité : « En Afrique, quand des hommes politiques décident de trahir leurs camarades pour conserver le pouvoir, ils n’hésitent pas à pervertir la démocratie, à la bannir, à l’enterrer. Pourtant, ce sont ces mêmes hommes qui ont profité de la démocratie depuis la Conférence nationale des années 1990..»
La transition militaire qui a suivi l’arrestation de Bazoum n’a fait qu’accélérer ce renversement institutionnel. Pour beaucoup de citoyens, elle a démontré que le Niger reste un terrain où les ambitions personnelles peuvent écraser les avancées démocratiques. Dans un contexte déjà explosif, de nombreuses sources diplomatiques affirment que Mahamadou Issoufou serait envisagé comme futur envoyé spécial des Nations unies auprès des États de l’Alliance des États du Sahel (AES): Mali, Burkina Faso, Niger.
Une perspective qui indigne Ghaliou Alhassane : « Comment l’ONU peut-elle envisager de nommer un homme accusé par son propre peuple d’avoir trahi la démocratie ? L’AES, pour beaucoup de Sahéliens, n’est qu’un syndicat de putschistes autocratiques. Leur donner un parrain international est une erreur historique. ».
Ghaliou Alhassane conclut, presque solennel : « Dans l’obscurité du putsch, Bazoum est devenu lumière. Il a prouvé qu’il existe encore en Afrique des dirigeants qui peuvent perdre le pouvoir sans perdre leur honneur. Et c’est cela que l’histoire retiendra. »





























