Niger, l’extrême violence de l’attentat djihadiste du 21 mars

L’attaque terroriste dont 44 civils ont été victimes le 21 mars aurait pu être inscrite au rang des attaques terroristes plus ou moins courantes que les Etats de la zone sahélienne et du Bassin du Lac Tchad subissent depuis plus de deux décennies. Cette attaque récente se singularise par son extrême violence, son innommable barbarie et est d’autant plus incompréhensible que ses auteurs prétendent agir au nom de principes moraux et religieux auxquels leurs actes sont diamétralement opposés. 

Eric Topona Mocnga, journaliste à la Deutsche Welle.

Dans le cas spécifique du Niger, comme au Burkina Faso voisin ou encore au Mali, ce qui stupéfie et commence à constituer une réelle source d’inquiétudes pour les populations,voire les pays de la région, c’est la récurrence et les cibles de ces attaques qui sont systématiquement des populations désarmées ou les forces de défense et de sécurité.

C’est dans le sillage de ces attaques djihadistes que le régime militaire aux affaires au Niger a décidé de retirer ses troupes de la  force multinationale mixte (FMM), avec comme raison officielle alléguée la nécessité de les redéployer autour de la sécurisation de ses sites pétroliers qui sont, on en convient, d’une importance vitale pour le Niger.

La décision de se retirer de la FMM (créée en 1994 dans le but de lutter contre les groupes djihadistes de la région et composée du Niger, du Tchad, du Cameroun, du Nigeria Et du Bénin. Elle a été réactivée en 2015 et  comptait en 2002 environ 10.000 soldats issus des cinq pays de la région.), n’est pas sans évoquer la menace de retrait brandie par le président tchadien, Mahamat Idriss Itno, début novembre 2024 de retirer ses soldats de cette force dont le commandement se trouve à N’Djaména

En effet, dans un communiqué publié le 3 novembre 2024, la présidence tchadienne avait dénoncé une «absence de mutualisation des efforts» après l’attaque djihadiste qui a coûté la vie à une quarantaine de militaires le 27 octobre de la même année dans la région du lac (dans l’ouest du pays).

Persistance du péril djihadiste et des interrogations

Dans la décision du Tchad, les autorités de ce pays estimaient avoir payé plus que les autres armées de cette force conjointe, un très lourd tribut dans la réalisation de leurs objectifs sécuritaires communs.

Mais, la décision de retrait du Niger n’est pas sans poser quelques questions et susciter de légitimes préoccupations. 

En effet, il faut toujours se souvenir que c’est dans l’intérêt supérieur du peuple nigérien, notamment pour des impératifs de sécurité nationale et de protection de ses populations à ses frontières que les militaires au pouvoir ont renversé le 26 juillet 2023, le président élu, Mohamed Bazoum. Or, à ce jour, tous les indicateurs sont au rouge au sujet de cette préoccupation, et il n’est pas exagéré de relever pour s’en inquiéter qu’aucun indicateur ne laisse poindre le bout du tunnel. Pas dans un proche avenir en tout cas.

Le départ fin 2023 des forces militaires françaises du Niger a été motivé par les mêmes raisons, somme toute légitimes pour un État  souverain depuis plus de six décennies. Les manifestations de masse qui ont salué et appuyé cette décision de la junte militaire traduisent une volonté sincère de nombreux Nigériens de vivre enfin à l’abri de la peur. Mais les dividendes de la paix et de la sécurité pour tous se font toujours attendre. 

Plus grave et tout aussi inquiétant, la pieuvre du terrorisme djihadiste ne cesse de s’étendre au point où elle pourrait gravement compromettre l’embellie économique et sociale que pourrait tirer le Niger de la commercialisation de son pétrole.

Par ailleurs, le Niger, le Burkina Faso et le Mali ont annoncé en janvier 2025 la création d’une force commune de 5000 hommes pour mutualiser leurs moyens de défense et de sécurité en vue de la protection de leurs populations et de leurs intérêts stratégiques communs. Un bilan d’étape a-t-il été tiré depuis l’annonce officielle de cette force si celle-ci est à ce jour véritablement opérationnelle ?

Toutes ces questions sont sans réponse. 

Fuite en avant et effet d’annonce

Que l’annonce du retrait du Niger de la Force multinationale mixte intervient quelques jours seulement après le retrait des trois pays de l’AES de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) donne l’impression d’une fuite en avant qui relève moins d’une réflexion stratégique sur le moyen terme, voire le court terme, que d’un effet d’annonce face à une situation sécuritaire intérieure qui ne cesse de se dégrader. 

À bien y regarder, cette rupture avec la FMM pourrait être dangereusement désavantageuse au plan sécuritaire tant elle semble relever de la navigation à vue. En prenant ses distances avec cette force, le Niger se prive également de l’accès à des informations qui pourraient lui être précieuses en termes de renseignement prévisionnel comme l’affirme à juste titre Vincent Foucher, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en France et spécialiste du groupe djihadiste Boko Haram: «Avoir un Niger unpeu en retrait, avec une collaboration moins forte avec les pays voisins,signifie que les groupes djihadistes du lac Tchad vont être plus à l’aise pourorganiser les espèces de proto-États qu’ils gèrent dans la zone depuisplusieurs années». 

Il est notoirement connu que l’un des talons d’Achille des armées qui combattent les terroristes dans le Sahel et dans le Bassin du Lac Tchad, c’est la difficulté à avoir accès à un renseignement prévisionnel fiable. Ce d’autant plus que ces groupes font corps avec la population pour ne s’en désolidariser qu’au moment où ils commettent leurs crimes. 

C’est pourquoi, Remadji Hoinathy, chercheur principal ISS Africa pour l’Afrique centrale et le bassin du Tchad explique que « la réponse aux groupes jihadistes qui écument la région doit etre régionale pour etre efficace».

La menace terroriste en Afrique comme dans les Etats même les plus développés qui en sont les cibles est globale. Même les services de police et de renseignement les plus outillés ne parviennent pas à endiguer cette menace que par une coopération étroite. 

En choisissant de s’isoler davantage, le Niger et ses partenaires de l’Alliance des États du Sahel (AES) ne renforcent-ils pas plutôt et à leur corps défendant la nébuleuse terroriste qu’ils sont censés combattre ?