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La Chine ne remplacera pas la France au Niger

Il ne manquait plus que ÇA… « que le gouvernement chinois entende jouer au Niger un rôle de médiateur dans la crise politique » et, surtout, qu’il le dise haut et fort ! C’est pourtant ce que, après un entretien avec le premier ministre, Ali Mahaman Lamine Zeine, nommé par les militaires putschistes, l’ambassadeur de Chine à Niamey déclare à la Télévision nationale. Le diplomate a ajouté précautionneusement que « La Chine poursuit toujours un principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays » et encourage les pays africains « à régler leurs problèmes à l’africaine ». Ben voyons ! Voilà les putschistes pendus à Pékin comme Riyad et Téhéran.

Une chronique de Xavier Houzel

C’est la seconde fois dans l’Histoire encore récente qu’un représentant de l’Empire du Milieu s’aventure dans un tel exercice ; et cela mérite une explication de texte. L’expression de « crise politique », d’abord, est remarquable, c’est une première chinoiserie, délicate, pudique, charmante. Quant au rôle du monsieur bons offices, encore faudrait-il savoir entre qui et qui le « gouvernement chinois » – car il s’agit bien du gouvernement chinois – aurait à le remplir, sachant que ce label n’est pas une chinoiserie mais un élément de langage occidental parfaitement intelligible. À bon entendeur, ce message est politique. Que dire, enfin, de l’allusion faite « au respect total des pays régionaux » et de l’encouragement fait aux pays africains de « régler leurs problèmes à l’africaine », sinon qu’ils équivalent à une ferme mise garde au reste du monde (dont les Américains et les Russes) et qu’ils reviennent à dire aux pays voisins (dont le Nigeria) : c’est mon affaire dans le respect mutuel et réciproque des pays régionaux. En somme : circulez ! Curieusement, les représentants de la France sont impassibles ; on les prend pour des zombies, comme s’il leur appartenait de continuer à se taire et de laisser dire… à l’africaine.

Les pieds dans le plat

La Chine met les points sur les i, ce qui a le mérite de clarifier la situation. La France n’est pas visée ; contrairement aux apparences, elle est même « ménagée » : on n’y touchera pas ! Elle donne même l’impression de savoir ce qu’elle fait ; et l’on se demande pourquoi.

Si les Services de Renseignement français n’étaient pas une tombe, il n’y aurait plus d’ombre qui vive dans les palais d’Afrique. Comment faire croire que Paris puisse ignorer la date d’inauguration (en septembre 2023 !) d’un oléoduc de 2000 kms, construit par les Chinois pour contourner le Nigeria par le Bénin ? Tout le monde sait à Niamey, le président Bazoum en tête, qu’avant la fin de 2023, le Niger exportera 100.000 barils par jour du Pétrole découvert près d’Agadem (Sud-Est nigérien) par la China National Petroleum Corporation (CNPC). Alors, le Niger sera une « machine à sous » et ce sera, soit « Bazoum et l’état de Droit », soit « Issoufou et l’enrichissement illicite », mais pas les deux ensemble !

Le président Bazoum a tenté un coup d’état à l’intérieur de l’État

En avril 2021, au début du mandat présidentiel du président Mohamed Bazoum, Sani Issoufou Mahamadou, fils du précédent président, avait été nommé ministre du Pétrole, de l’Énergie et des Énergies renouvelables du Niger – promesse tenue du nouveau président de la République du Niger à son prédécesseur. À l’occasion d’un remaniement ministériel, le même Sani Issoufou est nommé Ministre du Pétrole, jusqu’au jour où le président de la République, Mohamed Bazoum, soudain lui demande des comptes, de même qu’au général Tiani, qui sera l’un des co-auteurs du coup d’État.

Le journal Le Monde, dans son édition du 24 août, a fait tomber, pour la première fois sans prendre de pincettes, le masque du général Abdourahamane Tiani. Fidèle entre les fidèles de l’ancien président Issoufou, ce dernier soutirait du président Bazoum des millions de Francs CFA en liquide qu’il gardait par devers lui jusqu’à ce que le chef de l’État lui demande plus de transparence et la tenue d’une comptabilité.

« Tant la chose en preuves abonde » (Jean de La Fontaine). 

Couvert par le tohu-bohu du sommet africain de Moscou et le tapage du  sommet de Johannesburg, dans une mêlée ouverte où les occidentaux sont systématiquement mis sur la sellette, le clan Issoufou n’a pas d’autre issue que le putsch. L’un aura été plus rapide que l’autre. Aujourd’hui, le président Bazoum est l’œil dans la tombe. Le président Xi, qui n’a rien à voir avec Vladimir Vladimirovitch voudra que l’on ne touche pas à un seul de ses cheveux : il est le gage de toute transition encore possible, mais en faveur de QUI ?

La réalité veut que ce soit à Pékin de décider ; mais ni à la CEDEAO, ni à Victoria Nuland, ni aux Wagner ! En fait, c’est à Paris que son discours s’adresse ! Et à personne d’autre, question d’usage. En Chine, la politesse numéro 1 veut que l’on n’ouvre pas son cadeau en public et la politesse numéro 2 veut que l’on accompagne ses visiteurs jusqu’à la sortie.

C’est ainsi qu’il faut lire la déclaration de l’ambassadeur de Chine

Paris est également au fait de la construction d’un barrage sur le fleuve Niger par des entreprises chinoises (et pour plus d’un milliard d’Euros). Ce barrage doit garantir au Niger son entière autonomie en énergie hydraulique ; nul n’ignore que ce captage des eaux ne satisfait pas le Nigeria voisin.

La Chine règnera peut-être un jour en maître sur ses féaux du Niger mais on sait aussi qu’elle n’a pas l’intention de pacifier le Sahel – même quand ces messieurs les Russes auront abandonné le Mali et le Burkina Faso criblés de dettes et que ces deux pays seront à prendre des mains… de l’État Islamique. La Chine n’aime pas les terroristes de l’État Islamique. Elle a besoin que la France reste dans la région pour que ses soldats y fassent le « travail » ; au pire, ils se re-déploieront, sachant que l’on aura besoin d’eux en Irak et en Syrie beaucoup plus vite encore qu’on ne le voudrait.

Malheur à celui par qui les scandales arrivent (Jésus, Luc 17.1)

Voilà pour rassurer les lecteurs de Mondafrique sur le degré de perspicacité et de sagesse de la France : il eût été maladroit et injuste de sa part d’incriminer la Chine en quoi que ce soit, en insinuant, par exemple, qu’une relation pourrait exister entre la réalisation par la Chine de projets indéniablement bénéfiques pour le pays et …le putsch ! Il aurait été malhabile de sa part de divulguer les conditions dans lesquelles le gouvernement de l’ancien président Issoufou s’est engagé « en tout bien tout honneur » avec des entreprises chinoises… On aurait risqué le bain de sang et Paris aurait fait figure de « bavard » et mérité alors un mauvais sort.

Enfin, il n’était pas nécessaire de faire un dessin ni aux Nigérians ni aux « vieux singes » des autres pays régionaux, eux-mêmes parfaitement instruits de la situation. Il fallait que les choses se décantent, c’était une question de temps, de quelques semaines – et sans précipitation.

Les gentils membres de l’Union Européenne, obnubilés par l’Ukraine, ont le nez sur le guidon

Les chancelleries et les journalistes seraient mieux avisées de consulter l’état d’endettement de l’Afrique à l’égard de la Chine ; et de commencer par regarder sur la carte où se situent les bases navales et les projets d’implantations portuaire de l’armée populaire de libération chinoise. La première se trouve à Djibouti, autrefois « Territoire français des Afars et des Issas » et dernière possession française d’Afrique continentale (indépendante depuis 1977) – pour y abriter ses nouveaux porte-avions, porte-avions d’assaut ou autres grands navires de guerre amphibies Type-075 ; devant le Détroit de Bab al Mandeb, au point d’étranglement du trafic maritime vers le Canal de Suez ; cette base peut actuellement accueillir quatre sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire. Quant à la deuxième base navale, elle sera – en principe – construite au Gabon, jeune membre du Commonwealth, d’où elle pourra rayonner dans le richissime Golfe de Guinée. Elle n’y aura pas sa pareille !

Il n’y a pas bien longtemps que monsieur XI Jinping, président de la République Populaire de Chine, a reçu à Pékin, avec tout le tact et les civilités d’usage, son homologue français, monsieur Emmanuel Macron ; ce qu’ils auront pu se dire alors devrait aider aujourd’hui leurs ambassadeurs à Niamey à trouver ensemble et sans délai une solution, sachant que, à bien y réfléchir, ce sont les entreprises chinoises qui sont les premières sanctionnés par la CEDEAO, jusqu’à être privées de courant électrique et de l’usage de leur oléoduc flambant neuf. Le problème est compliqué, mais pas insoluble.

La France n’est pas non plus sans quelque allié de poids

Les non-dits du sommet des BRICS occupent encore les esprits. À part les adhésions d’une poignée de candidats friqués et de quelques États faillis pour faire bon compte, il ne s’y est rien passé à l’exception de quelques mises au point ! L’avis de l’ancien ambassadeur d’Inde, Melkulangara K. Bhadrakumar, est que l’Inde ne souhaite pas que les BRICS démantèlent l’ordre mondial construit par l’Occident[i]. Au contraire.

« Ne vous y trompez pas », écrit-il, « toute l’expérience d’institutions fortes et de gouvernance mondiale se trouve être l’expérience de l’Occident sur la base de valeurs communes et d’intérêts partagés. Ironiquement, cela explique aussi leur « mentalité de bloc ». Les BRICS, au contraire, manquent d’une telle cohésion et de la capacité de définir l’agenda mondial, ce que le G7 fait depuis des décennies. C’est pourquoi un pays comme l’Inde attendra toujours des BRICS, en tant que communauté, qu’ils visent non pas à détruire l’ordre mondial existant, mais à l’améliorer… Le problème n’est pas l’issue du conflit ukrainien, que la Russie ne peut pas perdre, mais le fait que, même après une défaite catastrophique, il est très peu probable que ses adversaires changent leur vision du monde. »

L’attention de l’Inde se porte sur la Chine, où un ralentissement de la croissance économique marque inexorablement la fin d’une ère prospère après une expansion ininterrompue de quarante ans. L’Inde est une partenaire naturelle de l’Europe et une amie de la France. Sa « Mer de Chine » est « l’Océan Indien ». Le ministère indien de la Défense a confirmé l’achat de 26 avions de chasse Rafale et de trois sous-marins Scorpène, qui s’ajoutent aux 36 avions de chasse déjà livrés à elle par la France entre 2020 et 2022.

Oublions donc un instant les Russes et les Américains, nous sommes entrés dans une autre galaxie, encore inexplorée.

[i] https://www.newsclick.in/author/M.K.%20Bhadrakumar – Extrait d’article traduit pour le Saker francophone publié le 22 août 2023 : « La globalisation est moribonde et le système d’institutions internationales qui en constituait le fondement n’est plus. La relation entre  l’Inde et les États-Unis est peut-être à son point culminant de l’histoire – presque une quasi-alliance – et Washington la décrit comme le « partenariat déterminant » du siècle. On peut estimer que les sanctions américaines contre la Chine pourraient même présenter des avantages pour l’Inde. Les liens étroits qui unissent les deux pays et qui sont en préparation pour l’industrie des puces en sont un bon exemple. On peut même soutenir que la vie pourrait s’améliorer en Inde, et que l’élite du pays ne verrait aucune raison d’échanger ses modestes souhaits révisionnistes contre une restructuration des plus fondamentales de l’ordre international existant, sans parler de sa destruction. En fin de compte, l’Inde est satisfaite si l’influence des BRICS dans l’élaboration des principaux aspects de l’agenda mondial peut rendre le monde plus juste et plus stable. »

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