Le Premier ministre désigné du Liban, Nawaf Salam, se retrouve face à des défis colossaux dans la formation de son cabinet. Entre la pression des blocs parlementaires et les attentes populaires, peut-il imposer un gouvernement réformiste sans céder aux compromis d’antan ?
Nawaf Salam, récemment désigné Premier ministre du Liban, est confronté à l’une des étapes les plus ardues de sa carrière : constituer un gouvernement dans un système gangréné par le sectarisme et les arrangements politiques. Tandis que les Libanais espèrent un changement radical, Salam doit manœuvrer habilement pour éviter que son cabinet ne devienne une victime supplémentaire des pratiques politiciennes qui paralysent le pays depuis des décennies.
L’élection miraculeuse d’un président de la République, suivie presque immédiatement par la désignation de Nawaf Salam comme Premier ministre, a marqué un record inédit dans l’histoire politique du Liban. Ce double événement avait suscité une euphorie sans précédent chez les Libanais, donnant l’impression qu’un renouveau était enfin possible après des années d’impasse.
Cependant, cette euphorie s’est rapidement dissipée, laissant place à l’angoisse. Beaucoup redoutent de voir ressurgir les fantômes du passé récent, où les luttes partisanes et la corruption endémique ont plongé le pays dans une faillite totale, tant économique que morale et institutionnelle. La perspective que le Liban reste enlisé dans des pratiques de mal gouvernance, responsables de la crise actuelle, pèse lourdement sur les esprits.
Alors que le processus de formation du cabinet reste bloqué, un événement diplomatique majeur pourrait influencer les négociations. Jeudi, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Fayçal ben Farhane, est arrivé à l’aéroport international Rafic Hariri de Beyrouth. Cette visite, la première d’un haut responsable saoudien au Liban depuis environ quinze ans, intervient à un moment crucial. Fayçal ben Farhane a rencontré le nouveau président libanais, Joseph Aoun, dans ce qui est présenté comme une volonté d’ouvrir une nouvelle page dans les relations entre les deux pays.
Cette visite s’inscrit également dans un contexte régional tendu, avec la fin imminente de la trêve de 60 jours entre Israël et le Hezbollah. Ce dernier, fidèle à sa rhétorique, continue de mettre sur le compte de l’État libanais les violations du cessez-le-feu par Israël, chargeant ainsi l’armée libanaise de responsabilités qu’il exploite à sa convenance. Cette posture vise autant à affaiblir les institutions de l’État qu’à détourner l’attention de ses propres calculs stratégiques.
Les lignes rouges
Pour Salam, le temps est venu de poser des bases claires et intransigeantes. Une première étape serait de rejeter catégoriquement le concept du « tiers de blocage », qui a par le passé permis à des partis politiques de paralyser le gouvernement en imposant leur veto sur des décisions clés. Accepter cette condition reviendrait à priver le cabinet de son efficacité, empêchant toute tentative sérieuse de réformes.
Une autre ligne rouge concerne la traditionnelle formule « L’armée, le peuple, et la résistance », incluse dans les précédentes déclarations ministérielles pour légitimer l’arsenal indépendant du Hezbollah. Salam et le président Joseph Aoun doivent refuser cette mention, au nom de la souveraineté de l’État. Ce refus réaffirmerait la priorité de renforcer les institutions nationales, une promesse chère aux Libanais.
Enfin, Salam doit insister sur son droit, en tant que Premier ministre désigné, de nommer des ministres indépendants, quelle que soit leur confession. La constitution libanaise ne confère à aucun parti politique le droit exclusif de désigner des ministres au sein de leur communauté. Laisser ce privilège au Hezbollah et à Amal ne ferait que renforcer leur mainmise sur le système, perpétuant l’immobilisme actuel.
Malgré les obstacles, Salam dispose de solides arguments en sa faveur. Soutenu par le président Aoun, il bénéficie également du soutien tacite de la communauté internationale et de nombreux États arabes. Ces derniers ont clairement indiqué qu’un gouvernement véritablement réformiste pourrait relancer l’aide financière et économique indispensable à la reconstruction du pays.
Ironiquement, ce soutien international place le duo chiite dans une position délicate. Refuser de participer au gouvernement ou saboter sa formation pourrait se retourner contre eux. Un cabinet sans Hezbollah ni Amal pourrait réussir à obtenir des fonds pour des projets de reconstruction, y compris dans les zones à majorité chiite. Cela mettrait en lumière l’incapacité du Hezbollah à répondre aux besoins de sa base électorale, affaiblissant sa position.
De même, si Salam parvient à former un cabinet sans leur aval, il est probable qu’il recueille un vote de confiance au Parlement, surtout si son programme est perçu comme une alternative crédible à l’impasse actuelle. Dans ce contexte, la stratégie du duo chiite consistant à refuser leur soutien pourrait s’avérer contre-productive.
Une bataille risquée
Salam doit se préparer à une bataille politique féroce, mais il est crucial qu’il ne se laisse pas intimider. S’il cède aux exigences des partis traditionnels, il perdra non seulement sa crédibilité auprès des Libanais, mais également l’occasion historique de changer la trajectoire du pays.
Le Premier ministre désigné a également l’opportunité de rallier l’opinion publique derrière lui. En se présentant comme le défenseur des réformes et de la souveraineté nationale, il peut mobiliser un soutien populaire et international, tout en mettant en lumière les pratiques obstructives de ses opposants.
Cependant, il devra également préparer un plan en cas d’échec. Si le cabinet qu’il propose est rejeté par le Parlement, Salam devra expliquer clairement aux Libanais et à la communauté internationale les raisons de cet échec, tout en montrant que sa démarche était motivée par des objectifs réformistes. Cette transparence pourrait lui permettre de conserver une position forte et d’éviter de devenir un bouc émissaire.
Le défi auquel Salam est confronté est immense, mais les conditions actuelles jouent en sa faveur. Il dispose de la légitimité constitutionnelle, du soutien populaire et de l’appui international pour former un cabinet indépendant et réformiste.
Céder aux pressions des partis traditionnels reviendrait à perpétuer un système en faillite. Au contraire, en s’appuyant sur la dynamique actuelle, Salam peut poser les bases d’un véritable renouveau politique. Le Liban traverse une période critique, et son avenir dépendra largement de la capacité du Premier ministre désigné à résister aux pressions et à défendre une vision différente pour le pays.
Nawaf Salam parviendra-t-il à relever ce défi et à incarner le changement que les Libanais attendent ?