A l’approche des dernières présidentielles en 2016, le Front pour la restauration de l’unité et de la démocratie, seul mouvement armé du pays, appellait à l’alternance par les urnes ou par les armes. Aujourd’hui Mohamed Kadami, un des ses dirigeants réfugiés en France, est menacé d’extradition. Voici l’entretien que nous avions réalisé à l’époque.
Mondafrique. La situation politique semble bloquée à Djibouti après l’échec de la mise en œuvre de l’accord conclu entre le regroupement de l’opposition, Union pour le salut national (USN), et le pouvoir. Comment vous, FRUD, voyez-vous la sortie de crise ?
Mohamed Khadami. Le FRUD est certes un mouvement de lutte armée créé en 1991 dans le contexte de la double culture de Djibouti à la fois francophone et spécifique à la Corne de l’Afrique. Mais, nous avons toujours été disposés au dialogue politique. Nous avons d’ailleurs conclu deux accords avec le gouvernement en 1994 et en 200. Malheureusement, aucun de ces accords n’a été respecté par le pouvoir. S’agissant de nos rapports avec l’opposition non armée, je peux dire qu’ils sont très bons. Nous avons même indirectement participé à la création de l’USN dont nous avons salué la victoire aux législatives de 2013 tout en disant que l’alternance par les urnes est une option très délicate à Djibouti. Nous ne sommes donc pas surpris que le président Guelleh ait choisi de ne pas mettre en application le dernier accord conclu avec l’USN. Au lieu de cela, son choix a été d’embarquer le pays dans son projet de 4 ème mandat. Et dans cette configuration, notre conviction est qu’il y a une parfaite complémentarité entre la lutte politique et la lutte armée.
Mondafrique. Vous pensez donc qu’il faut reprendre la lutte armée ?
M.K. La lutte armée n’a jamais cessé en réalité. Depuis deux ans, le pouvoir a essayé par tous les moyens de se débarrasser du FRUD dans les montagnes de Goda. Pour sa dernière tentative, il a dépêché sur place près de 1500 soldats pour chasser le FRUD de ses bastions, une région montagneuse que je connais très bien. Le pouvoir a subi un sérieux revers qui l’a obligé à activer son plan consistant à s’en prendre aux familles des combattants du FRUD. Il a ainsi procédé à des arrestations massives des épouses, sœurs, cousins, oncles de nos éléments puis les a placés en détention à la tristement célèbre prison de Gabote. Ils sont poursuivis pour complicité avec l’insurrection armée. Je vous signale que plusieurs notables Afars dont Ado Mohamed, Badou Godar Badoul ont été arrêtés début octobre parce qu’ils n’ont pas adhéré au projet de 4 ème mandat. Après eux, le Vizir de Tadjourah Chehem Ahmed et deux jeunes ont été arrêtés et emprisonnés à Gabode. En réalité, le gouvernement djiboutien a inventé le délit de proximité familiale. Il s’agit d’opérations décidées dans le cadre de la recherche du 4 ème mandat. Et pour cela, il faut neutraliser dès maintenant les menaces potentielles. Le président Guelleh a compris qu’il y a actuellement de nombreuses personnes qui militent contre son projet de succéder à lui-même en avril 2016. Il est d’autant plus inquiet que les législatives de 2013 largement remportées par l’opposition lui ont fourni la preuve qu’il n’a pas de base sociale, même pas dans la région qu’il prétendait être son fief.
Mondafrique. Dans les conditions que vous décrivez, il y a donc peu de chances que le pouvoir accède à la revendication de l’opposition d’obtenir une présidentielle libre et transparente en 2016 ?
M.K. Le président Guelleh refuse obstinément la création d’une Commission électorale nationale indépendante (CENI). Or, l’existence de cette structure nous semble être un minimum pour arriver à un scrutin libre, transparent et démocratique. Dans tous les cas, nous devons trouver un moyen de mettre fin à ces 38 années de dictature. Sur ce point, les forces politiques djiboutiennes sont en parfait accord. Il nous faut, et le plus vite serait le mieux, tourner la page Guelleh. Cet homme n’est pas prêt à s’amender, car l’occasion lui a été donnée à plusieurs reprises. Mais, il ne l’a pas saisie. La vérité, le vrai problème de Djibouti, c’est Guelleh. Le FRUD entend se positionner comme solution alternative à ce régime.
Mondafrique. Comment comptez-vous créer la synergie avec l’USN pour imposer le principe d’une alternance à la tête de Djibouti ?
M.K : la conjoncture actuelle se prête entièrement à cette convergence. N’oublions pas que le pouvoir a refusé de mettre en œuvre l’accord qu’il a signé avec l’USN. Pour sa part, le FRUD poursuit sa contestation du pouvoir dans les montagnes. Nous avons donc tout intérêt à nous mettre ensemble pour empêcher le 4 ème mandat et imposer des élections libres, démocratiques et transparentes. Au-delà, nous devons obtenir que la crise qui a éclaté en 1991 soit réglée ; le mal est beaucoup plus profond qu’une simple crise post-électorale. Un pays ne passe pas de but en blanc d’une dictature de 38 années à la démocratie. Il va donc falloir créer un rapport de forces qui l’impose. Pour y arriver, notre démarche est complémentaire de celle de nos amis de l’USN. Même l’environnement sous-régional est aujourd’hui favorable à ce qu’il y ait un changement à Djibouti.
Mondafrique. Avez-vous le sentiment que la communauté internationale s’intéresse à la situation socio-politique dans votre pays.
M.K. Je pense que la balle est plutôt dans le camp de l’opposition djiboutienne. Il appartient à l’USN et au FRUD de créer le rapport de force indispensable au changement politique. Et à partir de là, la communauté internationale pourra agir, car elle a un rôle déterminant à jouer le processus politique. Ce sont les subsides qu’elle verse qui maintiennent le pays sous perfusion. On a désormais dépassé le chiffre de 100 millions d’euros pour la location des bases et je suis sûr que les pays concernés sont favorables à ce que Guelleh applique l’accord signé avec ses opposants. Tout le monde est témoin du délitement de l’Etat. Personnellement, je ne suis même pas sûr qu’il puisse terminer son mandat. Je doute qu’il en est la capacité.
Mondafrique. Vous voulez dire qu’il est malade…
M.K. Oui, c’est même un secret de Polichinelle. Les Djiboutiens le savent tout comme sa famille. Nous sommes arrivés à un point où il va falloir réfléchir à l’après Guelleh. C’est pour éviter toute surprise immédiate que nous proposons aux autres composantes de l’opposition de nous accorder sur une Charte consensuelle qui a déjà fait l’objet d’une rédaction et qui sera soumise à tout le monde. De toutes les façons, on ne peut faire autrement que de nous rassembler parce qu’en face c’est le mur.
Mondafrique. Avez-vous l’impression que la France se montre complaisante avec Guelleh ?
M.K. Je suis d’autant plus à l’aise pour vous répondre qu’en 1992, nous étions à la porte de Djibouti lorsque l’armée française s’est interposée pour empêcher le FRUD de prendre le pouvoir. Il est vrai qu’on n’est plus aujourd’hui dans cette configuration. En tout cas, c’est dans l’intérêt des partenaires de Djibouti qu’il y ait une ouverture politique dans le pays. Le problème principal de Guelleh, c’est qu’il est sous la pression constante de son clan familial. Ce sont ceux-là qui lui disent que s’il quitte le pouvoir, ils vont être massacrés. Nous sommes donc face à une sorte d’intégrisme clanique qui est pire que l’intégrisme religieux puisqu’il ne laisse aucune place au dialogue.