Le mystère plane sur la saisie record à Nouakchott de deux tonnes de cocaïne d’une valeur de 250 millions de dollars.
Une semaine après la saisie massive de cocaïne en Mauritanie, à laquelle le Figaro consacre un long papier, un épais mystère plane plus que jamais sur les véritables auteurs de ce trafic. D’après plusieurs médias basés à Dakar, ce sont les autorités sénégalaises qui auraient prévenu l’armée mauritanienne de l’arrivée imminente d’un avion chargé de cocaïne sur une base militaire désaffectée en plein désert.
Or la première dépêche, délivrée par les journalistes locaux de l’AFP, informés par les autorités locales, fait état d’un tout autre scénario. Plusieurs arrestations auraient eu lieu, apprend-on, dans un campement de pêcheurs à quelques dizaines de kilomètres de Nouakchott. D’avion, il n’est plus question, ni de la coopération réussie avec le Sénégal.
Deuxième surprise, la très officielle Agence mauritanienne d’information (AMI) parle d’une saisie de cannabis, contrairement à l’ensemble des médias locaux, de l’AFP et du Figaro pour qui il s’agit de cocaïne. Ces journalistes bien peu rigoureux illustrent leur propos par une photo…de sacs de poudre blanche qui ressemble plus à de la cocaïne qu’à du cannabis (voir l’illustration du …cannabis en poudre qui accompagne notre article et qui a été publiée par l’AMI)
Une certitude, les autorités mauritaniennes sont très perturbées par cette nouvelle affaire de drogue. En effet, il est de notoriété publique que les Etats subsahariens sont gangrénés par le « business » massif de la coke venue d’Amérique du Sud. La route de la drogue est en effet dans les mains des FARC, cette organisation violente colombienne, qui acheminent les stupéfiants en Europe via le Golfe de Guinée, puis les pays du Sahel, Niger, Mali et Mauritanie….
Ces trafics juteux en direction de l’Europe, mais aussi de l’Egypte, du Moyen-Orient et jusqu’en Asie, représentent le fléau le plus grave de la zone sahélienne. Les cartels de la drogue bénéficient d’immenses complicités au sein d’administrations délabrées. Jusqu’à l’entourage de certains chefs d’Etat de la région, que cet argent facile a définitivement éloigné des réalités vécues par leurs peuples.
Des signaux alarmants
De façon surprenante,, le président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, a annulé une visite en Égypte prévue de longue date pour gérer la crise. Pourquoi une telle attention à ce qui n’est officiellement qu’un trafic de cannabis, dont les auteurs auraient été arrêtés?
C’est que celui qui est présenté,, toujours de source officielle comme le chef des trafiquants, Sidi Mohamed Ould Haidalla, n’est pas le premier venu. C’est le fils du Colonel Mohamed Khouna Ould Haidalla qui a régné sur la Mauritanie dans les années 80 après un coup d’Etat fomenté avec l’aide des services algériens. Déjà mis en cause en 2007 dans la saisie de 630 kgs de cocaïne à l’aéroport de Nouadhibou, Haïdalia a passé sept ans en prison au Maroc puis en Mauritanie. Des sources bien informées à Nouakchott affirment qu’il serait le principal concurrent d’un autre trafiquant, membre celui-ci de la famille du Président Aziz.
Autre surprise, l’Agence Mauritanienne d’Information (AMI), toujours elle, annonce également la création par décret (voir le compte-rendu du Conseil des Ministres du 21 janvier 2016 d’un fonds « destiné à recueillir le produit de la vente des biens saisis dans le cadre des procédures pénales diligentés du chef d’infractions à la législation sur les stupéfiants ». Impressionnant ! On se demande bien à qui l’État mauritanien compte revendre la cocaïne qu’elle vient de saisir.
Est ce parcequ’en cette période de vaches maigres, où les richesses du pays comme le fer et l’or ont été si mal gérées, un pactole de 250 millions de dollars serait le bienvenu? Be serait ce que pour permettre de financer quelques aides pour une population qui s’enfonce dans la crise
Un historique chargé
Le pouvoir mauritanien est d’autant plus mal à l’aise que depuis l’arrivée au pouvoir du président Aziz en 2008, le régime a été soupçonné de flirter avec le narcotrafic. Les saisies de drogue en Mauritanie ont enregistré une forte baisse depuis 2008. Mais surtout le Général Aziz a été accusé de connivence avec le régime du narco-état de Guinée-Bissau après la libération contestée de plusieurs trafiquants internationaux en février 2011. Cette remise en liberté était intervenue à la suite d’une visite à Nouakchott d’Antonio Indjaï, le Chef d’Etat Major des Armées bissau-guinéen, inculpé en mars 2013 par le Procureur de Manhattan pour trafic d’armes et de drogue. Et cela en relation avec une entreprise terroriste, compte tenu des liens de ce leader africain avec les FARC colombiens.
Notons que le décret officialisant la libération de ces trafiquants n’avait pas été publié au Journal Officiel de la République Islamique de Mauritanie en français.
Premières alertes
Successivement ministre mauritanien des Affaires étrangères, ambassadeur de son pays aux Etats-Unis puis représentant de l’ONU en Afrique de l’Ouest en 2002 puis en Somalie en 2007, le Mauritanien Ahmedou Ould-Abdallah est catégorique :
« Les trafics de stupéfiants vont faire sauter le Sahel. Les rapports de l’ONU ont donné l’alerte dès le début des années 2000. Les Américains considéraient que les Européens Papa Hollande au Mali devaient agir. Mais ces derniers détournaient les yeux. »
Sollicité par les militaires français ou encore consulté par Elisabeth Guigou, présidente de la commission des Affaires étrangères, cet expert respecté avait été invité, à la fin du mois d’août 2012, à la traditionnelle Conférence des ambassadeurs qui réunit à Paris l’ensemble des représentants français à travers le monde.
Lors d’une discussion à bâtons rompus, quelques diplomates français l’interrogent sur les périls qui guettent l’Afrique.« La drogue, assène Ahmedou Ould Abdallah, est bel et bien le problème numéro 1 de la région. – Que voulez-vous dire ? Que faites-vous du problème terroriste au Sahel ? », s’étonne Jean-Félix Paganon, un vieux routier du Quai d’Orsay chargé du Sahel depuis le mois de juin 2012 jusqu’à sa mise à l’écart par Laurent Fabius qui le nomme ambassadeur au Sénégal.