Ce vendredi 4 décembre se déroule à Paris le « COP21 Oceans Day », organisé grâce aux efforts de la « Ocean and Climate Platform », un groupe issu de la société civile en grande partie constitué de scientifiques : mais il s’agit tout au plus d’un cache-misère tant le sujet brille par son absence des débats de la COP21.
L’Océan oublié
Malgré la prise de conscience de l’urgence de tous les sujets liés à l’environnement, au climat, à l’alimentation… la COP21 n’est pour l’instant rien de plus qu’une expression de bonnes intentions sans réelle traduction dans la pratique. Pour qu’il en soit autrement, il faudrait une volonté politique ferme, qui refuserait le compromis du plus petit dénominateur commun. Pour montrer comment tout progrès est la plupart du temps au mieux reporté sine die, au pire carrément occulté, il suffit d’analyser l’exemple des océans, et de la préservation de ses ressources et écosystèmes.
Le climat change : c’est naturel. Mais il change trop vite et aucun scientifique sérieux n’émet plus de doutes quant à l’effet de l’activité humaine sur l’accélération du réchauffement de la planète. Jusqu’à aujourd’hui, l’océan nous a protégés de nos propres excès, en plus de nous servir de poubelle géante. Si on parle aujourd’hui d’atténuation du mouvement et d’adaptation aux modifications inévitables de notre mode de vie, on oublie trop souvent, et notamment dans le cadre de la COP21, que c’est en mer, loin de nous, qu’une bonne partie de notre avenir se joue.
L’océan absorbe 90% de l’excès de chaleur et 25% du carbone que nous produisons : il est le cœur de la régulation climatique et produit 50% de notre oxygène (phytoplancton). Sans lui, on ne parlerait pas de limiter le réchauffement à 2 C°, mais à 10 C° ou plus. Or la capacité de l’océan (70% de la surface de la Terre, en grande partie une zone de non-droit) à continuer à assurer ce rôle modérateur est largement menacée ; car l’océan subit les conséquences de notre inconscience :
- D’abord il subit lui-même les conséquences du réchauffement : hausse du niveau des eaux, des températures, et acidification.
- Plus généralement il est victime de la surexploitation des ressources, qui met en péril tous les écosystèmes marins.
- Il est également touché par la pollution massive provenant de l’activité humaine terrestre.
- Et évidemment, on ne peut éviter la question de la destruction rapide des écosystèmes de type mangrove et coraux, ni celle des pollutions massives comme les marées noires.
Course aux ressources
Recherche scientifique et préservation des ressources n’ont pas toujours été de pair dans la civilisation occidentale. Mais la prise de conscience environnementaliste de la fin de XXème siècle a mené l’Union Européenne à travailler dans le bon sens en créant dès les années 2000 les Accords de Partenariats de Pêche destinés à pallier la fin du multilatéralisme (O.M.C.) via la mise en place d’un outil bilatéral supposé permettre à la fois de commercer avec les pays non membres et de faire progresser connaissance scientifique, gouvernance et développement durable.
La protection de la biodiversité marine est cruciale tant la disparition des espèces est rapide, notamment du fait de la surpêche. Ceci illustre l’urgence de la création d’Aires Marines Protégées (lire les neuf recommandations de la Plateforme Océan et Climat : http://www.ocean-climate.org/?p=3100) vraiment protégées, car dans les faits c’est le pillage de ressources en rapide raréfaction qui a lieu quotidiennement dans toutes les mers du globe, une course entre grandes puissances pour profiter des derniers poissons, des derniers poulpes… avant leur disparition complète.
Gabegie en Mauritanie
Prenons l’exemple de l’Afrique de l’Ouest, zone la plus poissonneuse du monde aujourd’hui, et concentrons-nous sur la Mauritanie : le 10 juillet 2015 (ratification le 16 novembre 2015), l’Union Européenne a finalement signé, après 5 « rounds » de négociations, un nouvel Accord de Partenariat dans le secteur de la Pêche (A.P.P) pour 4 ans avec la République Islamique de Mauritanie (R.I.M.), malgré un climat de défiance entretenu depuis 2010 suite entre autres à l’éviction progressive de la flotte européenne au profit de la société chinoise Polyhondone et à la disparition de 25 millions € d’aide européenne (dont 10 millions seulement ont été justifiés a posteriori): dans ce domaine, en Mauritanie comme ailleurs, tous les compromis sont en fait des compromissions, et imposent une RealPolitik à courte vue au prix de graves manquements à la nécessaire vigilance face aux nombreuses entorses aux principes de bonne gouvernance d’un secteur fortement pourvoyeur de devises et donc hautement stratégique aux yeux du régime au pouvoir à Nouakchott.
Les avancées de l’Union Européenne en termes de développement durable (préservation des ressources, protection de l’environnement et soutien à l’économie locale) qu’on croyait acquises sont mises à mal, et le système de corruption généralisé qui prévaut toujours en Afrique gagne un « deal » de plus –les dénégations des représentants diplomatiques des grandes capitales européennes qui prétendent certaines pratiques d’un autre âge remisées au placard pour de bon n’y changent rien. La Mauritanie est 124ème place au classement « Corruption Index » 2015 de Transparency international.
La Chine, premier pilleur
Toutes les mers du globe sont concernées par l’appétit du géant (pour ses besoins propres comme pour son développement commercial) qui négocie en position de force et pousse ses concurrents à faire machine arrière en termes de progrès réglementaires.
Nul n’est besoin de chercher très loin pour se rendre compte que la Chine a mis en place depuis les années 1990 un système de pillage généralisé des ressources halieutiques déjà en raréfaction dans la plupart des mers. Comme le montre l’article publié par la revue Nature suite à la parution d’une étude quantifiant le volume de pêches déclarées par les flottes chinoises entre 2000 et 2011 à 10% de la quantité réellement prélevée, le pays a profité de la fin du multilatéralisme et des pressions de l’opinion publique pour un développement « plus durable » pour prendre la place des autres et monnayer face à des états faibles en Amérique du Sud et en Afrique un accès privilégié aux ressources halieutiques mondiales bientôt épuisées.
Les accords d’établissement signés par la Chine et les États dotés d’importantes réserves halieutiques ne respectent pas les principes de la réglementation internationale en matière de développement durable, sans parler de l’inexistence des moyens de contrôle même lorsque des « règles » semblent devoir être observées par la flotte chinoise. Évidemment, la réglementation internationale prévoit déjà plusieurs recours pour contrer l’illégalité des accords entre états et sociétés de pêche (publiques ou non), aussi bien en matière de protection des espèces, que de pollution ou de soutien de l’économie en général. Mais leur compétence est toujours difficile à faire accepter par les parties, et c’est le plus souvent sur l’Etat « fournisseur » qu’il faudrait compter pour remettre en cause devant la justice les Conventions de pêche qu’il a lui-même négociées.
Le pire, c’est que ceci fonctionne, comme la plupart des sujets liés au développement ou à l’environnement, dans l’hypocrisie la plus totale qui assure que la prévision sur la disparition de quasiment 100% des espèces marines exploitées à horizon 2048 (datant de 2006) devra sans doute être avancée… Non seulement les bailleurs internationaux et l’Union Européenne ne dénoncent pas un rapport de force qui exacerbe les tensions partout dans le monde, mais le seul accord multilatéral sur le sujet trouvé avant le sommet de Paris est l’exigence d’une aide financière plus importante des pays riches vers les pays pauvres en matière d’environnement (climat, pollution, biodiversité…). Ce qui n’est qu’une nouvelle scène d’une pièce déjà jouée trop souvent sur la scène du théâtre politique mondial.
L’aide internationale détournée
Car le système FMI/Banque Mondiale, avec les autres bailleurs publics (AFD, BEI, BAD,BID…) ou privés est déjà supposé jouer ce rôle de soutien au développement durable et à l’instauration irréversible d’un état de droit : mais tout le monde sait aujourd’hui qu’il n’en est rien. Même dans les pays à fort potentiel de développement –riches en ressources naturelles par exemple-, les forts taux de croissance affichés depuis des dizaines d’années ne reflètent en rien le développement, car les fruits de la croissance sont confisqués par les « clans » au pouvoir, détournés, et donc ne sont pas utilisés pour créer un système permettant le développement d’une classe moyenne éduquée et soignée, sans même parler d’état de droit, étant donné que la justice est systématiquement instrumentalisée dans ces pays soumis à la dictature.
Rééchelonnements et remises à zéro des compteurs assurent aux bailleurs publics et privés qu’ils seront remboursés. Bref, l’accès aux services de base dans ces pays riches en ressources est aussi inégal qu’avant le début de leur « développement », et pour la pêche comme pour tous les autres sujets, c’est la loi du paradoxe de l’abondance qui règne –une notion déjà bien connue et relayée en France par des O.N.G., dont une, SHERPA, présidée par William Bourdon, a connu un début de succès avec l’affaire des Biens Mal Acquis.
On en est au point où les diplomates ou les universitaires les mieux informés sont convaincus que le seul moyen de provoquer une révolution de ce système vérolé de l’intérieur par « la grande corruption » est de fermer totalement le robinet de l’aide financière à destination des pays en voie de développement pour forcer les gouvernements de ces pays, à l’heure des « coups de balai », à se lancer réellement dans un développement « durable » -encore faudrait-il que les pays dits du Nord eux-mêmes se réforment en termes de gouvernance Nord-Sud…
Pour revenir aux ressources halieutiques, rien ne change malgré les alertes à répétition du monde scientifique. Pire encore que le flou artistique auquel nous avaient habitués les politiques sur le sujet, on montre qu’on a pris la mesure du problème en créant de nouveaux organes internationaux qui fonctionneront sans doute comme les précédents, servant de« pompe à fric » pour les clans au pouvoir dans les pays concernés –via quelques intermédiaires assurant le lien entre ces derniers et les « institutions » à venir, qu’elles concernent la transparence (gouvernance), la préservation des ressources et la pollution (environnement), ou les droits humains et sociaux (artisanat, économie locale…).
L’exploitation sans limite des ressources halieutiques dans un pays comme la Mauritanie a des conséquences dramatiques sur les populations : paupérisation, notamment des communautés littorales dont la pêche est le principal moyen de subsistance, spectre de la famine (d’après le PAM, sur 3,5 millions d’habitants 1 million -notamment parmi les enfants-sont menacés), chômage généralisé parmi les jeunes et risque de récupération par les djihadistes, et crise générale de l’économie d’un pays dévoré par la corruption et au bord de la banqueroute. L’Europe a-t-elle une responsabilité dans cet état de fait, ne serait-ce que « par omission » ?
La pêche en Mauritanie : quelques faits
- Le secteur halieutique est vital pour la Mauritanie. Il reste le plus grand pourvoyeur d’emplois (53 000), représente 12 % du PIB du pays et entre 40 % et 50 % des recettes d’exportations. Il forme avec les mines la plus grande source nationale de devises. Ce rôle de fer de lance de l’économie nationale, le secteur le doit à l’exploitation des ressources halieutiques de la zone économique exclusive réputée la plus poissonneuse au monde, au coeur de laquelle les 700 kilomètres de côtes mauritaniennes se trouvent.
- L’Europe était jusqu’en 2010 le partenaire privilégié de la Mauritanie dans le secteur de la pêche. Pourtant le 1erAPPsigné avec le pays (2008-2012), renouvelé pour deux ans en 2012, a pris fin en décembre 2014 et les deux parties ont eu le plus grand mal à s’entendre sur les termes d’un nouveau traité : il aura fallu plus de 6 mois d’âpres négociations pendant lesquelles la flotte européenne était exclue des mers mauritaniennes pour que finalement, au 5ème round d’interminables palabres, un nouvel A.P.P. de 4 ans soit signé. Les sujets de désaccord ne manquent pas et on ne peut qu’être surpris de la sècheresse du procès-verbal de signature du nouvel A.P.P., daté du 10 juillet 2015, qui se contente de citer les responsables des deux parties présents à la table des négociations sans aborder aucun des sujets pourtant importants négociés en vue d’aboutir à un nouveau « deal ». Au-delà des réels objets de débat – il est vrai nombreux concernant ce secteur-, les dissensions sont fortes et installées entre les deux partenaires historiques.
- La Mauritanie a ouvert ses portes à un nouvel ami, la Chine, dans des conditions financièrement « différentes » et beaucoup plus favorables, et sans contrainte fiscale, environnementale ou sociale d’aucune sorte. Le volet « contrepartie financière à l’accès aux eaux mauritaniennes » parle de lui-même : l’U.E. s’acquitte de 59 millions € par an sur 4 ans jusqu’à 2019 (en baisse par rapport à l’accord précédent, mais la partie due par les acteurs privés du secteur est calculée différemment), alors que la Chine a payé en 2010 100 millions (USD) pour 25 ans.
- Par ailleurs, les 59 millions du nouvel APP comprennent un peu plus de 4 millions € par an au titre de l’appui sectoriel, le poste même qui a vu 25 millions € d’aide de l’U.E. disparaître au cours de la période couverte par le précédent accord. L’UE avait insisté pour obtenir des explications quant à l’emploi de cette enveloppe avant de tourner la page des 15 millions d’euros non justifiés.
NB : ces 25 millions € étaient destinés à dépolluer le fréon des bateaux-épaves laissés à l’abandon en plein chenal d’accès au port de Nouadhibou et se sont tout bonnement évaporés (une affaire qui dure depuis 2006 et la première enveloppe de 9 millions € allouée à la partie mauritanienne pour régler le problème).
- Comment une telle dilapidation de l’argent public européen est-elle possible ? Il faut se rendre compte à quel point la Mauritanie, un grand territoire de moins de 4 millions d’habitants à la limite du Maghreb et de l’Afrique Occidentale, en plein cœur de la zone d’influence française, est un angle mort vu de Paris ; et ce aussi bien en ce qui concerne les médias que les politiques qui soutiennent pourtant un pouvoir issu d’un putsch pour le moins condamnable : le régime est le fait d’un «mutin» qui a déposé en 2008 –après seulement un an d’une nouvelle ère qui pour la première fois voyait un civil présider aux destinées du pays- le Président élu en 2007. Depuis cette date les élections sont repoussées et/ou transformées en mascarades pourtant reconnues par nos gouvernements successifs, car le Président Ould Abdel Aziz serait un grand allié de notre pays dans la lutte contre le terrorisme. Il nous sera permis de douter même de cet argument tant le Président Aziz a donné de gages aux Wahhabites saoudiens depuis son accession au pouvoir, alors que malgré les annonces françaises il n’a jamais envoyé le moindre soldat mauritanien soutenir nos opérations dans la région (Serval puis Barkhane), allant même jusqu’à donner des gages aux imams les plus radicaux du pays en déclarant que la République Islamique de Mauritanie n’iraient jamais combattre au Mali. Etant donné la force de frappe de l’armée mauritanienne lorsqu’il s’agit d’autre chose que d’intimider les ennemis du clan au pouvoir, cela ne change pas la donne dans la région, mais permet de mieux mesurer le jeu de dupes accepté par les Occidentaux et au premier chef la France.
- La société publique chinoise PolyHondone, dans des conditions opaques a depuis 2010 progressivement remplacé la flotte européenne, tout en n’hésitant pas à « racler les fonds » en quête des espèces en voie de raréfaction avancée comme le poulpe… Sans compter les « accidents » comme la prise puis la congélation-revente au large du banc d’Arguin en Mauritanie d’une quantité industrielle d’oiseaux protégés, les Fous de Bassan. En Mauritanie, la Chine opère sans contrainte aucune depuis 2010.