Comment l’ancien patron français des enquêtes judiciaires contre le terrorisme, Jean Louis Bruguière, peut-il participer du 25 au 27 septembre en Mauritanie à la police politique du régime du colonel Mohamed Ould Abdel Aziz?
Du lundi 25 septembre au mercredi 27 septembre dans la soirée, l’ancien juge anti-terroriste Jean Louis Bruguière s’offrait un discret et rapide voyage à Nouakchott. L’ex star du pôle anti-terroriste de Paris était accompagné par un avocat franco-mauritanien, Jemal M. Taleb, « l’ambassadeur » officieux à Paris du président Aziz dont il gère les basses besognes et les interventions discrètes auprès des parlementaires ou des journalistes français. Les liens sont étroits entre l’avocat et la Présidence mauritanienne, ponctués pourtant de brouilles passagères lorsque voici deux ans, la propre soeur de Jemal et fonctionnaire à Nouakchott était jetée en prison, accusée d’avoir touché deux millions de dollars. Sans doute payait-elle pour quelqu’un d’autre ou pour autre chose, pensent certains à Nouakchott. Depuis, le malentendu a été dissipé et la soeur de Jemal libérée.
D’après nos informations, Bruguière et Jemal qui se voient fréquemment à Paris auraient été accueillis à la Présidence de la République par Ahmed Ould Bah, dit Hmeyda, un très proche conseiller de Mohamed Ould Abdel Aziz.
Un cabinet noir
Normal, pouvait-on penser, que Jean Louis Brugière, expert incontestable en matière de terrorisme, réfléchisse avec un chef d’Etat d’Afrique de l’Ouest sur les meilleurs moyen de lutter contre les djihadistes. Après tout, les cinq pays du Sahel membres du G5 (dont la Mauritanie) mettent actuellement en place, dans des conditions difficiles, une force militaire commune. Le juge Brugière qui bénéficie d’un contrat d’un montant, d’après nos informations, de 100000 euros avec la Mauritanie, a un solide alibi pour se rendre à la Présidence.
Et il y a beaucoup à faire sur ce terrain: le Président Aziz, au mieux avec les Séoudiens, est engagé dans des liens troubles avec la mouvance salafiste qui envoie à Nouakchott ses Imams les plus rétrogrades. Sans parler des communiqués que publient les groupes djihadistes sur des sites internet contrôlés par le pouvoir.
Sauf que le juge Bruguière et l’avocat Jemal n’étaient pas à Nouakchott pour parler des menaces sécuritaires qui planent sur le régime mauritanien.
Une justice d’exception
Lundi à Nouakchott, le cabinet noir improvisé se serait penché sur les meilleurs moyens de pourchasser les opposants qui se dressent de plus en plus nombreux contre un régime mauritanien liberticide qui a lancé des mandants d’arrêts contre tout ce qui bouge: de nombreux sénateurs, des journalistes et des syndicalistes indépendants ainsi que des hommes d’affaires, qu’il s’agisse de l’ancien patron des patrons mauritanien et grand mécène, Mohamed Bouamatou, ou son directeur général, Mohamed Ould Debagh (représentant de l’opposition devant l’UE et la CDAO). Tous deux, réfugiés à l’étranger, sont devenus les ennemis publics numéro un du régime.
Face à une opposition résolue, le régime piétine toute séparation des pouvoirs. La Présidence prend l’initiative d’enquêter elle même sur les personnes inculpées par la justice. De l’inédit. Afin de facliter la tenue de la réunion de lundi, la Banque centrale mauritanienne (BCM) aurait été ainsi sommée de fournir des liasses bancaires sur l’ activité de certains clients des banques locales. Voici la BCM tombée bien bas et devenue un prolongement de la police politique du président Aziz. « Il s’agit pour le régime mauritanien, explique une source contactée à Nouakchott, de retrouver tous les flux financiers de l’homme d’affaires, connu pour ses activités de mécène, que ce soit vers des ONG, les médias indépendants, les politiques ou des militants humanitaires ». Interrogé par Mondafrique sur sa participation à cette offensive contre les opposants mauritaniens, Jean Louis Bruguière a répondu le 29 septembre, via son épouse, qu’il était « trop occupé » pour répondre à nos questions.
Il s’agit désormais pour le régime mauritanien de criminaliser toute dissidence. Discrédité auprès de ses voisins sénégalais et marocain, critiqué par les Etats-Unis depuis qu’il refoule, cet automne, les militants anti esclavagistes venus de Chicago et sans vrai relais dans l’entourage d’Emmanuel Macron, le président français, Mohamed Ould Andel Aziz repose sur sa seule garde prétorienne, le fameux BASEP, quelques centaines de mercenaires bien nourris et dévoués corps et âme. Jusqu’à quand?
ENCADRE. « Jemal m’a écouter »
L’auteur de ces lignes peut témoigner des méthodes de l’avocat et « ambassadeur » Jemal M. Taleb. Bien introduit à Paris au Parti Socialiste, au mieux avec l’ancien conseiller Afrique de Manuel Valls et fréquentant certaines loges maçonniques, cet ancien opposant au régime mauritanien est un habile communicant qui a vendu ses services à Aziz. Ses liens étaient étroits avec un des fils Aziz, qui était chargé des économies privées de son père et qui et décédé l’année dernière après un grave accident.
Maitre Jemal n’a jamais hésité à utiliser des méthodes déloyales. C’est ainsi qu’aux débuts du site Mondafrique en 2014, l’auteur de ces lignes devait rencontrer à Paris le patron d’un journal mauritanien. Lequel s’était fait accompagné de maitre Jamel qui ne dévoila pas, ce jour là, son identité. Histoire, semble-t-il, de mieux enregistrer notre conversation.
Ces écoutes, l’intéressé les a démenties lorsque nous l’interrogions l’année dernière, lors d’une participation commune à un colloque à Bruxelles. Mais il admettait qu’il avait bel et bien masqué son identité. N.B.