Dans le collimateur de l’armée française, qui vient d’abattre au Mali quelques dizaines de combattants d’AQMI, se trouve le chef touareg Yiad Ag Ghali, au coeur désormais des nouvelles réalités politiques maliennes.
L’option purement militaire choisie par la France au Mali depuis 2013 devient totalement contre productive par rapport aux compromis politiques qui se négocient, ces dernières semaines, à Bamako. Les militaires en effet ont pris le pouvoir au Mali, ils ont négocié avec AQMI et ses alliés la libération de quelque 200 djihadistes (contre quatre otages, dont une française) et ils cherchent désormais la voie d’une réconciliation nationale.
Yiad Ag Ghali, le chef spirituel et symbolique du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM), l’organisation qui coiffe toutes les katibas du nord et du centre Mali, qui est en négociation permanente avec les nouvelles autorités maliennes, reste pourtant l’ennemi public numéro un pour l’armée française qui lui barrait déja la route de Bamako lors du début de son intervention en 2013 (1) . Dans cette logique strictement militaire, l’armée française vient de marquer un point. La semaine dernière, Ag Ghali a personnellement été touché par la perte d’un vieux frère de combat, Bah Ag Moussa, tué le 10 novembre par les tricolores.
Bah Ag Moussa, indépendamment de son influence armée dans le nord du Mali, aura été l’une des grandes figures historiques des rébellions des années 1990 et 2000.Sa vie et sa mort illustrent le processus historique qui transforma, en trente ans, de jeunes Touaregs indépendantistes formés à la guerre en Libye en bras armés du Djihad saharien. En 1996, Bah Ag Moussa fut intégré à l’armée malienne au titre des accords de paix, après six ans dans la rébellion. Il en fit défection quelques années plus tard, en 2006, et une deuxième fois en 2012, après avoir été réintégré à nouveau au rang de colonel. Ce parcours témoigne aussi des échecs répétés des processus de désarmement menés depuis plus de vingt ans au Mali.
A l’orée de l’invasion du septentrion malien par les combattants touaregs revenus de Libye et leurs concurrents djihadistes, Bah Ag Moussa n’hésite pas longtemps avant de rejoindre son vieux compagnon au sein de l’organisation Ansar El Dine, créée pour canaliser une partie des forces touaregs de Kidal dans le Djihad. Ag Moussa est l’un des chefs de guerre du groupe et participe à ce titre à plusieurs attaques meurtrières contre les forces armées maliennes à Menaka, Kidal, Aguelhoc et Tessalit.
Un processus historique a transformé, en trente ans, de jeunes Touaregs indépendantistes formés à la guerre en Libye en bras armés du Djihad saharien.
Depuis lors, il n’a pas cessé de s’activer, soit contre les forces armées engagées au Mali, soit contre les rivaux djihadistes d’AQMI dans les régions du nord et du centre, l’Etat islamique au Grand Sahara, devenant, selon Florence Parly, « l’un des principaux adjoints du chef du GNIM, Yiad Ag Ghali.» La ministre des Armées a déclaré qu’il était « considéré comme responsable de plusieurs attaques contre les forces maliennes et internationales et comme l’un des principaux chefs militaires djihadistes au Mali, notamment chargé de la formation des nouvelles recrues. »
Le 10 novembre au crépuscule, Bah Moussa circulait dans un pick-up avec quatre autres personnes, dont l’un de ses fils, à 140 km de Menaka, près de Tadamakat, lorsqu’il est tombé dans une embuscade de l’armée française, qui le traquait depuis longtemps. Quatre hélicoptères, un drone et une quinzaine de commandos ont eu raison de lui. Après des tirs de sommation, puis des tirs d’arrêt de la voiture, les occupants du pick up sont sortis, ont ouvert le feu et ont été aussitôt abattus.
Une vidéo filmée par téléphone a circulé dès le lendemain sur les réseaux sociaux montrant un pick up blanc noirci par la suie et des Maliens recueillant, précautionneusement, dans une couverture turquoise, plusieurs cadavres calcinés.
Dans la région de Mopti, une trentaine de combattants participant à un rassemblement suspect ont été neutralisés, a annoncé l’état-major de l’armée française.
Deux jours plus tard, Barkhane a frappé à l’est de la région de Mopti, près de Niaki, un groupe armé terroriste appartement au même GNIM lors d’une opération aérienne et héliportée. Quatre hélicoptères de combat Tigre et trois Caïmans de transport de troupes avec à leur bord des commandos de montagne ont participé à cette action, qui a permis de détruire une vingtaine de motos et de l’armement.
Dans le collimateur de l’armée française, présente au Mali depuis 1993 à la demande du pouvoir malien, se trouve le chef djihasiste, Yiad Ag Ghali, qui vient de négocier la libération de 200 de ses combattants avec la junte militaire au pouvoir à Bamako. Cherchez l’erreur !Au sein pourtant de l’armée française, l’heure n’est pas aux révisions déchirantes. Le colonel Frédéric Barbry, porte-parole de l’état-major, a expliqué à Mondafrique que Barkhane avait conservé sa liberté d’action en dehors de la zone des trois frontières, fixée comme prioritaire lors du sommet de Pau il y a presque un an, ce qui a d’ailleurs permis de frapper le chef d’AQMI Abdelmalek Droukdel près de la frontière algérienne en juin. « Cela a très bien fonctionné. Depuis le sommet (de Pau), on a perturbé les flux logistiques, dénié toute tentative de sanctuarisation dans la région des trois frontières, confisqué énormément de ressources et enregistré des succès tactiques patents. Et en termes de résultat, on constate qu’il n’y a pas eu d’attaque complexe depuis lors contre les forces partenaires ni contre Barkhane », a-t-i expliqué.
Vendredi 30 octobre, une soixantaine d’autres combattants, appartenant, cette fois, au groupe burkinabè Ansaroul Islam, lui aussi affilié au GSIM, avaient été tués par des hommes du Commandement des Opérations Spéciales appuyés par des Mirage 2000
Les éléments de langage de l’armée française, repris abondamment par la ministre Florence Parly, sont juste extravagants. Tout irait pour le mieux dans le meiller des mondes entre les troupes tricolores et les militaires maliens parvenus au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat dénoncé par la diplomatie française. Pour le colonel Barbry, la dernière opération « Bourrasque » a vu la mise en place de 1600 soldats français, 1100 Nigériens et 400 Maliens sur le terrain, « en véritable intégration dans une manœuvre commune. » Parallèlement, la France soutient et se félicite de la montée en puissance de la force européenne Takuba, soulignant le cercle vertueux qui consiste à renforcer la confiance d’unités maliennes pleinement opérationnelles tout en démontrant l’utilité tactique de Takuba aux yeux des Européens.
« Le cercle vertueux » qui serait celui de la présence française au Mali ressemble de plus en plus à un entêtement meurtrier pour les intérèts de la France dans cette partie de l’Afrique
(1) Les militaires français laissaient pourtant Ag Ghali prendre la fuite en raison d’une intervention discrète d’Alger qui a toujours ménagé le chef touareg