Jean-Claude Shanda Tonme, Camerounais, diplomate de carrière, Juriste-Consulte international et Directeur Exécutif du Centre Africain de Politique Internationale, dresse un bilan sévère de la politique africaine du président français.
Mondafrique. On vient de voir le Président français Emmanuel Macron s’activer sur la situation en Libye, notamment un certain forcing pour ramener la paix au plus vite, en mettant tout en œuvre pour réconcilier les frères ennemis, dans un pays qui a deux gouvernements. Que doit-on en déduire pour toute l’Afrique ?
Jean Claude Shanda Tonme: Sauf meilleur avis, vous n’êtes pas seul à vous poser cette question. Il y a effectivement lieu de s’interroger plus profondément sur la grande kermesse organisée récemment à Paris entre les frères ennemis Libyens.
En somme, il faut situer la démarche de Macron dans un contexte très limité d’une sous-région, ensuite il convient de cerner les motivations de base de façon précise. A ce propos, nous ne sommes pas en présence de quelque chose pensée pour toute l’Afrique ou exprimant un intérêt général pour le continent. La France a peur, et l’Europe toute entière a peur. Cette peur c’est celle qui découle de la menace de l’invasion par l’immigration sauvage. Or les côtes libyennes sont depuis l’assassinat du guide Kadhafi, le principal point de départ en méditerranée vers l’Europe.
Mais alors, pourquoi l’Italie et l’Espagne qui accueillent l’essentiel de ces migrations, ne s’activent pas comme la France ?
Ecoutez, vous avez bien suivi la trajectoire de ce malien qui a grimpé le mur d’un immeuble pour sauver un gamin. Il est passé par l’Italie, mais pour se retrouver en France comme point de destination. Ce sont les avatars de la colonisation française et il faut bien assumer. Il n’y a rien à faire contre cette réalité. C’est la France qui est venue chez nous et non l’inverse, et c’est vers la France que nous lorgnons d’abord, parce que quoi que l’on dise, il y a un certain nombre de paramètres qui constituent des acquis incontournables sur lesquels on capitalise tout de suite, par exemple la langue, la présence des souches identitaires d’accueils sur place.
Vous dites donc que le président français ne s’active pas en réalité pour le bien-être des libyens, mais plutôt pour la protection des français contre l’invasion des immigrés ?
C’est exact, et je vous invite à ne pas rêver. Il n’y a aucune volonté humaniste derrière la démarche, mais bien un savant calcul selon lequel, plus vite on rétabli l’ordre en Libye avec un régime fort, un gouvernement effectif, une armée qui contrôle le territoire, mieux on sera certain de freiner voire de limiter radicalement les flots des migrants qui empruntent des bateaux de fortune clandestins à partir des nombreux zones de la côte qui échappent à tout contrôle étatique. Sans Etat, point d’ordre et sans ordre, tout est permis, et l’Europe va payer à prix fort par des flots de misérables et de fuyards économiques.
A vous entendre, le problème est devenu une question importante pour la France?
Mais ce n’est qu’un début, parce qu’au regard de la désintégration lente mais certaine des Etats francophones condamnés par des régimes totalitaires et sans espoirs, nous allons assister à une accentuation des départs y compris à partir des ports qui ne sont plus seulement libyens. Dans ma propre famille, je ne compte plus le nombre de jeunes entre 20 et 35 ans qui sont partis, dont certains très récemment. Promenez-vous dans les quartiers des grandes villes et on vous montre des familles où des enfants sont partis récemment. La situation s’aggrave au lieu de s’arranger.
Pensez-vous donc que Macron devrait s’occuper de mettre de l’ordre partout ?
On ne lui demande pas de mettre de l’ordre, mais on ne lui demande pas de fermer les yeux non plus. Vous savez, la conduite des dirigeants français est directement responsable du renforcement des régimes de dictature, particulièrement en Afrique centrale. Or ces régimes en plombant la démocratie et en tuant l’espoir, poussent les jeunes, même les adultes à l’exil. Il ne se passe plus un seul jour sans que je reçoive quelqu’un qui me dit qu’il en a marre et qu’il ne songe plus qu’à quitter le pays, souvent même sans aucune destination dans la tête.
Pensez-vous qu’Emmanuel Macron a une vision pour l’Afrique ?
Je vois certains parler d’un jeune président qui sera un président de rupture avec les anciens de la Françafrique. Mais oh, tenez, souvenez-vous de Mitterrand, de Hollande, de Sarkozy. A chaque fois, on remet une couche, et à chaque fois, on entretient les mêmes combines, le même langage, les mêmes routes. Il n’existe aucune sortie possible du carcan colonial, ni aucune possibilité réelle de rupture du cordon esclavagiste, en dehors des révolutions, mais encore faut-il adopter la bonne démarche, choisir le bon moment, avoir de bons leaders nationalistes. Macron a mis sur pied un vrai-faux machin-truc appelé « Conseil présidentiel pour l’Afrique ». C’est pour tromper les naïfs et se donner des airs de seigneur sage qui écoute les conseils et les recommandations de ses savants triés sur le volet. Mais il n’y a qu’à fouiller dans le CV et le parcours des membres de cette piètre équipe de saltimbanques de cirques, pour comprendre qu’il ne s’agit que des résidus rajeunis et maladroitement maquillés de la France-Afrique.
Or il y a absolument besoin de constructions de rapports des forces nouveaux pour ébranler l’édifice granitique du couloir maudit franco-africain. Objectivement la France ne serait rien sans l’Afrique, mais l’Afrique serait une boule de cristal et un véritable paradis sans la France.
Quand vous parlez de construire, est-ce à dire qu’il faille développer des oppositions plus efficaces et plus combatives ?
Ce que je dis n’a rien à faire avec l’opposition politique, au contraire, il faut une opposition qui soit un retournement complet de la société, des mœurs politiques et une approche totalement inversée de la perception des rapports internationaux. Je crois que l’exemple du Rwanda à côté parle à suffire sur la démarche à entreprendre et le genre de dirigeant nécessaire pour réussir la mutation, la transformation et la révolution. Sans cela, sans ces atouts, nous aurons du mal à nous défaire de l’étau français
Ne glissez-vous pas ici sur le débat concernant la monnaie, principalement le destin du Francs Cfa que l’on ne cite plus ?
La problématique de faire ou de ne pas faire avec le Francs CFA est plus une partie du problème qui se pose que le cœur du problème, contrairement à ce que j’entends de certains analystes panafricanistes. Une fois que des mutations positives et progressistes seraient intervenues dans la société du fait de l’émergence d’un dirigeant effectivement patriote, et de forces sociales et intellectuelles éminemment conscientes et révolutionnaires, tous les autres attributs de la dignité et de la souveraineté se mettront en place. Cela va de soi.
En clair, Macron n’a pas de politique africaine ?
Mais pourquoi voulez-vous que ce jeune homme invente le soleil, qu’il réécrive l’histoire, qu’il invente de nouveaux paramètres de lecture et de travail géostratégiques et géopolitiques ? Est-ce sa faute si plus 80% des cadres au Cameroun, au Sénégal et en Côte d’Ivoire sont de culture francophone et ont été formés à la langue française ? Est-ce sa faute si tout ce beau monde, ne commence à découvrir l’étranger qu’en se rendant en France, souvent avec femmes et enfants ? Est-ce sa faute, s’ils s’accommodent des systèmes et régimes autocratiques et sont incapables de révoltes et de révolutions ? Macron est le président de la France et il s’assure que les intérêts de la France soient préservés, y compris en se taisant sur les malheurs des peuples ailleurs, les nôtres par exemple.
Je dois donc comprendre que même pour les élections qui s’annoncent au Cameroun, la France va se taire, regarder faire, sans émettre un jugement ?
Tiens, elle sera la première à reconnaître le résultat et à féliciter l’heureux vainqueur, toujours connu d’avance, même si le quai d’Orsay, comme toujours, émettra quelques regrets sur quelques dysfonctionnements sans gravité sur l’issue du scrutin. C’est un langage codé, planifié et rodé qui dans la pratique diplomatique, magnifie « la stabilité », le statut quo, et la poursuite du business des réseaux comme toujours, comme avant. Tant pis pour les parieurs en eaux troubles qui se lancent dans des compétitions sans règles transparentes, et avec la certitude de la défaite, si seulement on ne les arrête pas pour les fesser après.
En conclusion, il ne faut rien attendre de Macron ?
Absolument rien, rien et rien du tout. Nous allons avancer vers des crises plus profondes, plus dures et plus meurtrières en Afrique, particulièrement en Afrique centrale où il n’y a clairement aucune visibilité pour des transitions pacifiques. La France croisera les bras, et sauf pourrissement extrême aboutissant à des guerres civiles ou des menaces sûrs, directes et certaines de coups de force militaires, elle continuera à s’accommoder des régimes autocratiques et des dictatures.
Mais Prof Shanda Tonme, ne pensez-vous pas que la lutte contre le terrorisme justifie l’attitude de la France ?
Jamais, on ne saurait forcer une association entre les deux. Comment était donc cette attitude avant l’émergence des groupes terroristes ? Voulez-vous dire que la France se battait pour la démocratie en Afrique avant l’arrivée de Boko Haram, d’Al Qaeda et de l’Etat islamique ? Je ne pense pas. La lutte contre le terrorisme est devenue le prétexte de pérennisation des dictatures et d’orchestration de très graves violations des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Ce n’est pas une vue de l’esprit, c’est la réalité. Et puis, la France n’a aucunement intérêt à voir se créer des évolutions à hauts débits de démocratisation en Afrique, parce que du coup, c’est sa place, sa présence, son rôle et les termes de référence de l’ensemble de son influence sur la scène diplomatique planétaire qui seront remises en cause. Paris prêche en réalité une démocratie limitée, une forme de libéralisation tropicale qui maintienne sagement le cordon ombilical colonial. N’oubliez jamais qu’il y a toujours un fossé entre le candidat et le président élu qui entre en exercice et affronte la réalité quotidienne des rapports mondiaux.
Faut-il conclure à l’existence d’une vision typiquement macronienne de la diplomatie française ?
Que ce soit sur l’Europe ou sur la relation avec les Etats Unis, il n’apporte vraiment rien de nouveau. Sarkozy s’était montré encore plus excité, plus atlantiste et plus européen que lui durant la première année de son mandat. La rupture avec Sarkozy se situe dans l’élégance, la finesse et un certain soin dans le genre intellectualiste et moderniste, en même temps qu’il met en exergue l’ensemble de son équipe avec une autorité rangée et assumée. Quant à la rupture avec Hollande, c’est la résolution, la détermination et l’assurance, toute chose qui a grandement fait défaut à son prédécesseur immédiat d’ailleurs considéré comme un président par accident, un parvenu en dépit d’une relative expérience dans le champ politique et partisan.
Quelle chance de réussite réservez-vous à Macron ?
Je ne peux m’exprimer que pour le domaine qui est le mien, en somme la diplomatie. A ce propos, il faut déjà admirer ce que les Français ont fait en se donnant un Chef d’Etat jeune, dynamique, brillant et très volontaire. C’est une leçon retentissante de démocratie et de maturité pour un peuple. C’est aussi une leçon pour l’Afrique, sans aucun doute un message cinglant à la vieille, très vieille et croulante génération de prédateurs qui a pris le continent en otage dans quelques pays.
Cet entretien a été réalisé par les Scoops d’Afrique
Quelques livres de M. Jean-Claude Shanda Tonme :
Réformer la gouvernance mondiale
La malédiction de l’Afrique noire
Les chemins de l’immigration
Le rêve américain d’un enfant d’Afrique
Les tribulations d’un enfant africain à Paris etc.