Avec une quinzaine de casques bleus suspectés d’avoir contractés le virus Ebola placés en quarantaine, la mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) joue de malchance. Laissée en première ligne au nord Mali depuis la fin de l’opération Serval et la réduction des effectifs militaires français, les troupes onusiennes sont devenues la cible privilégiée des djihadistes
Trempé de sueur au volant de sa Renault Safrane bleue, Kassou peste contre les embouteillages qui encombrent le centre-ville de Bamako. D’un coup de volant, il tente de s’extirper de l’interminable procession et manque de heurter un 4×4 blanc estampillé « UN ». Irrité, il lance un regard noir au chauffeur du véhicule. « Mais qu’est-ce qu’ils font ici ceux-là ? Ils ne devraient pas être au Nord plutôt qu’à la capitale ? » « Pour faire la guerre ! ». « Oui ! » acquiesse un passager. « Enfin… Pour faire la paix quoi. »
« Le ver était dans le fruit »
Faire la guerre ou faire la paix, c’est bien là le casse-tête qui tiraille la « Minusma », la force de maintien de la paix de l’Onu, sur le terrain malien. Mise en place en avril 2013, pour remplacer les forces africaines de la « Misma », son mandat prévoyait surtout, « comme c’est l’usage dans ce genre de mission » dit une source onusienne, qu’elle appuie l’armée malienne et qu’elle protège les civils.
Mais ces derniers temps, la multiplication des attaques par les terroristes qui sévissent toujours au nord Mali ont eu raison des usages. « Il a bien fallu admettre que ses moyens et son mandat étaient mal adaptés la situation » confie un membre de la mission à Bamako. « Le ver était dans le fruit. C’était une erreur d’avoir considéré que le déploiement de la Minusma se faisait dans un contexte de maintien de la paix » explique pour sa part un diplomate occidental.
De fait, malgré la signature des accords de Ouagadougou entre groupes rebelles et autorités maliennes en juin 2013, « le conflit malien a toujours été plus qu’un affrontement entre deux parties » poursuit le diplomate. Liés aux puissants réseaux de narcotrafic qui opèrent dans le nord, les groupes djihadistes alimentés depuis le sud libyen ont fait leur nid sur le chaos généré par la guerre. L’opération Serval devait stopper leur progression vers le sud du Mali. Mais loin d’avoir été mis hors d’état de nuire, les terroristes profitent aujourd’hui du retrait des soldats français pour reprendre position. Avec la fin de Serval en juillet dernier et son remplacement par l’opération régionale antiterroriste Barkhane les effectifs militaires français dans le nord malien ont été considérablement réduits. Laissées seules en première ligne, les troupes de l’Onu sont alors devenues la cible privilégiée d’attaques à l’explosif. Bilan 33 morts, soit l’un des plus lourds de l’histoire des nations unies. Preuve, dit-on à l’hôtel de l’Amitié, quartier général de la Minusma à Bamako, que la mission n’a pas été conçue pour traquer les terroristes. « Nous avons reçu un mandat de maintien de la paix. Le volet antiterrorisme a été confié à titre primordial au Mali comme Etat souverain et à la force Serval mandatée spécifiquement pour coopérer avec l’Etat malien dans ce sens » explique Radhia Achouri, porte-parole la Minusma.
Mal armée tant sur le plan légal que matériel avec des casques bleus peu préparés aux attaques asymétriques, la mission a pourtant tenté d’insuffler une touche guerrière à son discours. De passage à Bamako le 7 octobre 2014, le patron des opérations de maintien de la paix, Hervé Ladsous, s’est lancé dans un subtil exercice de recadrage. « Ce n’est plus un contexte de maintien de la paix » a-t-il affirmé, avant d’annoncer le déploiement de davantage d’engins contre les mines et explosifs, de véhicules blindés supplémentaires et de drones de surveillance de longue portée pour prévenir les attaques terroristes.
Ajuster le mandat ?
« Mieux vaut tard que jamais » ironise-t-on du côté des autorités maliennes qui ne manquent pas une occasion de brocarder la mission jugée pas assez proactive. Mettant à profit l’inflexion combattive du patron des opérations de maintien de la paix, le ministre des affaires étrangères malien Abdoulaye Diop a exigé plus. « Peut-être le Conseil devrait-il envisager la mise en place d’une force d’intervention rapide capable de lutter efficacement contre les éléments terroristes ? » s’est-il ouvertement interrogé au lendemain de la visite d’Hervé Ladsous. Muscler le mandat de la Minusma, serait-ce donc la solution miracle ?
L’idée ne date pas d’hier. « Depuis le début, les dirigeants maliens souhaitent que l’opération devienne une force inspirée de ce qui se passe en République Démocratique du Congo » explique Ibrahima Labass Keïta, rédacteur en chef du journal « Le Scorpion ». Dans ce pays, le Conseil de Sécurité a autorisé la mise en place d’une brigade d’environ un millier de casques bleus coalisés avec l’armée congolaise pour lutter contre les rebelles. Une mesure d’exception que l’Onu ne souhaite néanmoins surtout pas généraliser. Notamment pour préserver au maximum le principe de neutralité auquel l’organisation est tant attachée. Le réajustement du mandat et des capacités de la Minusma est par ailleurs difficile en cette période de vaches maigres pour des Etats sollicités sur de nombreux fronts en Afrique et au Moyen-Orient. L’Onu a déjà eu beaucoup de mal à réunir 9000 hommes en uniforme (soldats et policiers) sur les 12 000 espérés pour constituer la Minsuma qui souffre depuis sa création d’un manque majeur de moyens humains et militaires. Enfin, tirer la mission vers la lutte antiterroriste entrainerait à coup sûr la réticence des certains pays contributeurs de troupes soucieux avant tout d’assurer la sécurité de leurs hommes. Des voix ont déjà commencé à se faire entendre. Estimant que les casques bleus étaient de plus en plus en danger sur le front malien, les ministres des affaires étrangères des pays contributeurs de troupes réunis au Niger début novembre, ont exigé de l’Onu plus de moyens à leurs militaires pour lutter contre les jihadistes.
Diplomatie de couloirs
Outre les critiques contre son manque de réactivité, la Minusma est régulièrement accusée d’être un supplétif de l’armée française. « Au lieu d’appuyer l’armée malienne, on a eu l’impression depuis le début que la Minusma s’est mise au garde à vous devant Serval qui protégeait les rebelles du MNLA » pointe Ibrahima Labass Keïta. Faux, répond-on à l’hôtel de l’Amitié où l’on assure vouloir préserver l’équilibre entre les signataires des accords de Ouagadougou.
Il n’empêche, les relations tumultueuses entre le président IBK et l’ex chef de file de la Minusma, Bert Koenders, jusqu’à son départ mi-octobre ont jeté les soupçons sur la proximité entre Paris et la force onusienne. Investi mi-septembre 2013, Bert Koenders n’a obtenu sa première audition avec IBK que le 2 février 2014. « L’idée du dialogue inclusif défendue par Koenders qui implique de négocier à tout prix avec les rebelles n’a jamais été la tasse de thé d’IBK » explique un diplomate africain. Par ailleurs, selon « La lettre du continent », Bert Koenders s’est longtemps vu reprocher son « indécision et les faibles résultats obtenus dans la résolution de l’épineux « dossier Kidal », le fief des touaregs qui échappe à l’autorité de Bamako malgré la présence de casques bleus et de l’armée française. « L’inaction était telle que, vérité ou mensonge, les autorités maliennes ont alimenté la thèse selon laquelle la Minusma est sous influence française. Et donc par extension, complice du MNLA » explique Ibrahima Labass Keïta.
Les critiques dénonçant l’influence de la France sur la Minusma ont été alimentées de surcroît par le rôle important des militaires français dans le commandement de la mission. Par exemple, le chef d’Etat major de l’opération, Vianney Pillet, en charge d’assurer la coordination avec la force Serval s’est imposé comme le véritable patron des opérations militaires. Laissant essentiellement un rôle de représentation au commandant en chef de la Minusma, le rwandais Jean-Bosco Kazura. En tout, selon le ministère de la défense à Paris pas moins d’une quinzaine de militaires français seraient déployés dans l’état-major de la mission.
Au palais de Koulouba où l’on peste contre les pressions exercées par la France et la communauté internationale pour forcer le Mali à négocier avec les rebelles, on s’est donc vite méfié de la Minusma. Tout comme Bert Koenders, l’ex numéro deux de la mission, Abdoulaye Bathily, ancien ministre sénégalais habitué des opérations de règlement des conflits en Afrique n’a pas reçu les faveurs du pouvoir malien. Leader historique de mai 68 dans son pays, Bathily a été accusé à plusieurs reprises par les autorités du pays de défendre la position de l’ancien président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, concernant Kidal. Au grand dam d’IBK, le chef d’Etat burkinabé nommé médiateur de la crise malienne en mars 2012 prêtait une oreille attentive aux membres de la rébellion touarègue accueillis sur son territoire.
Qu’à cela ne tienne, dans son carnet d’adresse onusien, le président malien a un allié sur lequel il sait pouvoir compter : Saïd Djinnit, un diplomate algérien, représentant spécial des nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et ami de longue date d’IBK. En affichant sa préférence pour le dialogue avec lui, le cher d’Etat malien tendait en même temps la main au pouvoir d’Alger. Ce dernier, qui a détrôné le Burkina dans le rôle de médiateur a l’avantage de rejeter, tout comme Bamako, la formation d’un pays indépendant à ses frontières. Bref, sur la scène onusienne, la diplomatie des Etats rejoue sa partition.
Jean-Yves Le Drian vs. Minusma
Au point d’en oublier parfois que l’Onu n’est justement pas un Etat. Sur le terrain, la Minusma n’a ni le pouvoir, ni la souplesse d’une armée. Dès l’amorce du retrait des troupes de Serval, la multiplication des attaques contre les forces internationales a d’ailleurs obligé Paris à annoncer un nouveau renforcement de son dispositif dans le nord malien fragilisé. Une manœuvre difficile à assumer devant l’opinion française quatre mois à peine après la fin de l’opération Serval et le lancement de Barkhane. Jean-Yves Le Drian a donc préféré s’en prendre aux troupes onusiennes lors d’un entretien sur les ondes de Rfi le 27 octobre. « La Minusma n’a pas été au rendez-vous au moment où il le fallait » a déclaré le ministre pointant la lenteur du déploiement des casques bleus au nord du pays.
Un coup de poignard dans le dos qui a déclenché une guerre des chiffres entre Paris et l’hôtel de l’Amitié. Au ministère de la défense, on prétend que seuls 22% des casques bleus sont déployés au nord de la boucle du Niger. Un chiffre démenti dans un communiqué de la Minusma qui indique que 80% de ses effectifs se trouvent au nord. Soit 6 600 soldats sur un total de 8 250. Cette différence abyssale s’explique par le fait que Paris se réfère, dans son calcul, à l’extrême nord du pays, particulièrement Kidal, Tessalit et Aguelhok où l’on dénombre environ 2000 casques bleus. Or, ces zones, se situent bien au-delà de la ville de Gao où les Nations Unies comptent bon nombre d’effectifs.
Au delà des querelles d’effectifs, la missive de Jean-Yves Le Drian fait grincer des dents « pour le principe ». « C’était assez maladroit sachant que Serval est loin d’avoir tenu toutes ses promesses et que les troupes de l’Onu en font aujourd’hui en grande partie les frais » explique, remonté, un diplomate occidental. Selon lui, la Minusma qui n’a pas été mandatée pour assumer des compétences antiterroristes a joué le rôle du « bouc émissaire facile ». D’autant que, ajoute-t-il, « les français ont fait de sa présence une caution internationale légitimant leurs activités militaires. Alors même que l’opération Serval était contestable sur le plan de la légalité internationale ».
Pour rappel, les responsables du Quai d’Orsay s’étaient effectivement lancés, fin 2013, dans un délicat exercice d’équilibriste destiné à coiffer l’opération Serval du sceau sacré des nations unies… Sans vraiment l’obtenir. La résolution 2085 portée par la France devant le conseil de sécurité et adoptée le 21 décembre 2013 ne prévoyait que le déploiement d’une force internationale africaine. Elle n’ouvrait en rien la voie à une action unilatérale de l’armée française, fût-ce en appui aux troupes maliennes. Pour justifier leur action, les petites mains du Quai d’Orsay ont par ailleurs invoqué à plusieurs reprises la « légitime défense » contenue dans l’article 51 de la Charte de l’Onu. Or, celle-ci n’est valable qu’en cas d' »agression armée » d’un Etat contre un autre ce qui n’a jamais été le cas au Mali. A défaut d’obtenir une base légale internationale pour son intervention, Paris est parvenu à légitimer son action en sollicitant des déclarations favorables du Conseil de sécurité. Rien qui cependant ne rende légale l’intervention sur le plan du droit international.
Objectif, discretion
Qu’à cela ne tienne, seuls et uniques décisionnaires, les Etats n’ont jamais hésité à faire porter le chapeau aux organisations internationales quand les choses se corsent. En pointant la lenteur du déploiement onusien dans le nord, les autorités maliennes et françaises alimentent ainsi cruellement la réputation d’immobilisme dont la mission a du mal à se défaire vis-à-vis de l’opinion. Confortablement installés sur les seize étages de « l’Amitié », un hôtel de luxe vendu par l’ancien président malien Alpha Oumar Konaré à feu Mouammar Kadhafi, les bureaux de la Minusma font l’objet de commentaires cinglants. « On dirait qu’ils font du tourisme » se désole Amadou réparateur de pneus à l’entrée du quartier du fleuve. « Un golf, une piscine géante, des terrains de sports… ils ont tout ça à l’Amitié. Franchement ça ne fait pas sérieux ! »
Réquisitionner les hôtels est pourtant une pratique courante lors des grands déploiements onusiens. « En Côte d’Ivoire, l’Onuci avait aussi été installée dans un grand hôtel » se souvient un membre du bureau de la coordination des affaires humanitaires à Bamako. « Quand on déploie en urgence des missions importantes avec beaucoup de staff et de véhicules, c’est malheureusement la solution la plus rapide. » La moins coûteuse ? « Certainement vu le resserement des budgets » commente un membre de la Minusma. Mais à l’Amitié, le montant du loyer est tenu dans le plus grand secret.
A l’intérieur de l’hôtel qui offre une vue imprenable sur Bamako, des pancartes plastifiées indiquant les horaires du room service rappellent le temps d’avant. Scotchées près des ascenseurs, des affiches proposent des cours de langue anglaise ou bambara pour le staff. Soirs et matins, des navettes acheminent des membres du personnel vers leurs logements. Véritable fourmilière, le microcosme onusien entraîne dans son sillage toute une économie. Logements, personnels de maison, gardiennage, chauffeurs, achats de véhicules, consommation journalière… La Minusma crée des emplois, génère des revenus à Bamako. Au quartier de l’Hippodrome, dans les bars branchés et restaurants de la rue Princesse où les « toubabs » (blancs) aiment sortir, on se frotte les mains. On adapte les menus et surtout les tarifs. Un développement qui n’est pourtant pas du goût de tout le monde. « La différence de pouvoir d’achat est parfois gênante » confie un Kassim Traoré, journaliste pour La Voix de l’Amérique. « Surtout, les prix de l’immobilier ont augmenté. L’argent dépensé revient souvent aux mêmes commerçants qui ne sont pas le plus dans le besoin. Mais le plus difficile pour les maliens au début, c’était de voir des étrangers en uniforme, armés, dans les rues, dans les boutiques. » Des remontrances en partie entendues par la Minusma qui, depuis plusieurs mois, a réduit patrouilles et déplacements en uniforme dans la capitale. « Ils se font plus discrets » admet Kassim Traoré. A l’hôtel de l’Amitié, même le décor exhorte maintenant à la pondération. Placardées sur les murs, des affiches appellent les conducteurs de véhicules onusiens à respecter les règles de conduite et à ne pas prendre le volant après avoir bu. Sur le terrain, la Minusma a gagné en popularité lors du déploiement du contingent chinois. « Ils sont arrivés avec beaucoup de personnel médical et ont mis en place un hôpital flambant neuf à Gao. Ça a séduit les maliens ! » affirme Ibrahima Labass Keïta.
Pourtant, les critiques contre la mission restent monnaie courante à Bamako. Savamment distillées par la presse contrôlée par les autorités maliennes, elles parviennent difficilement à faire oublier l’épopée catastrophique du premier ministre Moussa Mara à Kidal. Suite à sa visite mouvementée dans le fief touareg du nord le 16 mai, l’armée malienne a mené une offensive violemment écrasée par les groupes rebelles cinq jours plus tard. Décimés, les militaires maliens ne s’aventurent guère plus au delà d’Al-Mustarat à une journée de route de Kidal, laissant casques bleus et soldats français sur le front.
« Ce n’est pourtant pas faute d’avoir prévenu » siffle un membre de la Minusma devant le kiosque à journaux de l’immense hall de l’hôtel de l’Amitié où l’épisode fait encore grincer des dents. Avant le déplacement du premier ministre, la direction de la Minusma et le ministère de la défense malien avaient exprimé leur désaccord face à cette visite jugée précipitée. Peine perdue, c’est, ironie du sort, à bord d’un hélicoptère onusien qu’il s’est rendu à Kidal avant d’atterrir dans le propre camp de la Minusma. Pourquoi avoir accepté d’assurer le transport ? « L’Etat malien est souverain. Imaginez la crise qu’un refus aurait provoqué ! » se défend-on à l’hôtel de l’Amitié. Sur place, un autre dilemme a surgit. Fallait-il tirer ? Et si oui sur qui ? Après tout, les rebelles ne sont-ils pas signataires des accords de Ouagadougou ? « La Minusma n’est pas une force d’interposition » explique la porte-parole Radhia Achouri.
Colère tchadienne
Pris en tenaille entre les groupes rebelles et le pouvoir malien, la Minusma doit par ailleurs affronter la colère de ses propres troupes de plus en plus exposées aux attaques terroristes. Les militaires tchadiens dont le contingent est le plus important au Mali avec de nombreux effectifs au nord (300 hommes à Kidal et 500 de plus dans la zone d’Aguelhoc-Tessalit) ont fait l’objet du plus grand nombre d’agressions depuis le début de la mission. Non sans attiser chez les autorités tchadiennes le sentiment désagréable d’être laissées pour compte. « Nos soldats servent de boucliers humains. Nous sommes les dindons de la farce » s’est offusqué Abdelnasser Garboa, journaliste et président du Comité de soutien aux Forces armées tchadiennes au Mali (Fatim).
Dans un communiqué, le gouvernement tchadien a exprimé son mécontentement face au traitement de ses troupes jugé inadmissible. « Le gouvernement constate avec regret que son contingent continue à garder ses positions au Nord-Mali et ne bénéficie d’aucune relève. Pire, affirme-t-il, notre contingent éprouve des difficultés énormes pour assurer sa logistique, sa mobilité et son alimentation ». Et d’inviter les responsables de la Minusma à opérer « un traitement juste et équitable de tous les contingents mobilisés dans cette opération ».
Un ras-le-bol qui dont les racines profondes remontent aux débuts de l’opération Serval à laquelle les troupes tchadiennes ont déjà payé un lourd tribut. Leur appui fut en effet crucial lors des combats menés dans l’Adrar des Ifoghas qui ont fait une quarantaine de morts dans les rangs tchadiens. Vu de N’Djamena ces sacrifices importants n’ont jamais fait l’objet d’une reconnaissance suffisante. Lors d’une visite au Tchad début 2014, la présidente de la commission de la Défense à l’Assemblée nationale, Patricia Adam, et le député Christophe Guilloteau avaient déjà pu constater « l’amertume » de l’armée. Le compte rendu de leurs entretiens avec des officiers tchadiens est criant de vérité.
« Nos entretiens nous ont permis de déceler chez les responsables politiques et militaires une certaine amertume : ils estiment que la France ne leur a pas apporté de marques de reconnaissance à la hauteur de leur engagement (…) et de leurs sacrifices financiers comme humains », a ainsi affirmé Patricia Adam, le 22 janvier dernier, lors d’une séance de la commission de la Défense.
La nomination d’un rwandais, le général Jean-Bosco Kazura au commandement de la Minusma fut pour le Tchad la déconvenue de trop. Pressenti pour prendre la tête de la mission, Oumar Bikimo, un haut gradé tchadien qui a étroitement collaboré avec les troupes françaises dans le nord au plus fort de l’opération Serval se contente finalement du poste de commandant en chef adjoint des forces de Nations Unies pour la stabilisation de Mali. « Une sorte de lot de consolation censé faire passer la pilule » grince Abdelnasser Garboa. Selon un proche du dossier, la mésentente entre le Tchad et la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) dont le pays ne fait pas partie, aurait finalement joué en faveur du rwandais perçu comme une solution de juste milieu. Et tant pis si le Rwanda n’a envoyé aucun contingent au Mali… « Le problème des tchadiens c’est qu’ils n’ont pas d’expérience du système des nations unies. C’est leur première grande participation à une mission de la paix », explique une source onusienne. « Or, pour ce poste hautement politique, il faut des personnes rodées à l’exercice. La diplomatie rwandaise connaît les nations unies par cœur et le Rwanda est membre non permanent du conseil de sécurité. C’est un avantage. » Nommer un tchadien risquait par ailleurs de donner une coloration trop française à la Minusma, le régime d’Idriss Déby étant un grand allié de Paris au Sahel.
L’Onu, « pas pour faire la guerre »
Reste que le bilan meurtrier continue de s’alourdir, alimentant accès de colère et menaces de retrait. Forcé de calmer les esprits, Hervé Ladsous a promis de fournir aux soldats tchadiens « les assurances qu’ils souhaitaient, notamment sur les rotations des troupes ». Les renforts matériels promis devraient, espère-t-on, redonner confiance à des troupes sonnées. « J’en ai assez d’aller à des funérailles tous les quatre matins » avoue l’un de ses membres civils qui se confie. Après quinze ans de carrière internationale et plusieurs missions de maintien de la paix, l’homme assure qu’il s’agit de l’une des missions les plus difficiles de sa vie. « On se bat contre un ennemi invisible. Les djihadistes se fondent dans la population où ils ont des complicités. Il est difficile de différencier les rebelles des terroristes. En plus, la situation malienne est très particulière : on a affaire à des groupes qui s’affrontent pour garder la mainmise sur des trafics. Ce n’est pas comme dans d’autres pays où il y a des situations de génocides ou des violences dirigées contre une ethnie ou un groupe religieux. Les groupes rebelles se battent entre eux ! Et derrière, des Etats comme l’Algérie cherchent à tirer leur épingle du jeu. La configuration est trop complexe pour une force multilatérale. D’autant que les Etats serrent de plus en plus les budgets. Seules des puissances unilatérales comme l’armée française ou l’armée malienne peuvent être efficaces. On est censés soutenir l’armée malienne mais elle est bien trop faible ! Imaginez, pour l’instant ils ne sortent plus des camps pour patrouiller ! En même temps qui les blâmerait ? Ils n’ont rien. La seule chose que nous pouvons faire c’est tenter de former l’armée malienne pour qu’elle agisse sur le terrain. »
Une opinion que partage l’ancien ministre de la défense Soumeylou Boubèye Maïga. Véritable masthodonte de la politque malienne, ce fin stratège qui fut pendant sept ans à la tête des services de renseignement maliens s’était lui aussi opposé à la visite précipitée de Moussa Mara à Kidal. « Les opérations de l’Onu n’ont jamais été conçues pour faire la guerre. Jamais. L’armée fait la guerre. »