La lune de miel entre Paris et Ouagadougou semble bel et bien avoir pris fin avec la chute de Blaise Compaoré fin 2014.
Les dirigeants actuels du Burkina Faso d’aujourd’hui n’oublient pas que la France a été la plus fidèle alliée de l’ancien chef d’Etat, allant jusqu’à l’exfiltrer, et attend des signes montrant qu’une page a été tournée.
Le 28 février dernier pourtant, Emmanuel Macron avait sorti le grand jeu en choisissant le Burkina Faso pour y prononcer son discours de politique africaine. Envolées lyriques, promesses de co-développement économique, débat sans filet avec des étudiants surchauffés, clins d’oeil appuyés et blagues douteuses à son hôte burkinabè, le président Roch Kaboré… Mais pour quel résultat au final ? Contrairement à l’époque de Blaise Compaoré, l’ancien dictateur du Burkina Faso balayé fin 2014 par une insurrection populaire et exfiltré par la DGSE vers la Côte d’Ivoire, la lune de miel françafricaine entre Paris et Ouagadougou semble révolue.
Il y a des signes qui ne mentent pas : les préparatifs de la visite d’Emmanuel Macron ont été tendus, contraignant les Français à faire profil bas. Si la symbolique du voyage était forte pour l’Elysée – le discours de politique africaine pour le quinquennat n’est pas anodin – il en va autrement de la portée réelle de ce voyage : deux jours sur place avec visite de l’université Ouaga I, visite d’une école primaire et inauguration d’une centrale solaire photovoltaïque…
Le vrai-faux bilan du double attentat de Ouagadougou
Dernière escarmouche en date : le bilan du double attentat du 2 mars dernier qui a ciblé l’état-major général des armées burkinabè et l’ambassade de France. Pendant que les autorités burkinabè, logiquement les mieux placées pour conclure à un bilan, faisaient état de huit morts, les médias français faisaient, eux, référence à des sources militaires françaises annonçant une trentaine de morts.
Il aura fallu que les autorités burkinabè se fâchent tout rouge et envoient en France le ministre de la Communication pour que le bilan réel de huit morts soit effectivement retenu. Un problème de communication certes mais qui a grandement agacé les Burkinabè qui y ont vu une ingérence française.
Les experts ès terrorisme qui se sont précipités sur les plateaux de télévision pour meubler les temps d’antennes pendant d’interminables directs, qualifiant le Burkina Faso de ventre mou du Sahel ou de maillon faible sécuritaire n’ont d’ailleurs pas contribué à apaiser les tensions.
Les séoudiens en embuscade
Autre dossier problématique : celui du G5 Sahel duquel le Burkina Faso fait partie avec le Niger, le Mali, la Mauritanie et le Tchad. Comme le Président du Niger qui s’en était ému publiquement en déclarant que « 480 millions d’euros sont nécessaires pour la première année, mais 75 millions d’euros devront ensuite être mobilisés chaque année, en sachant que nous ne savons pas combien de temps va durer ce combat », les autorités burkinabè s’inquiètent aussi du montant des financements extérieurs pour cette noble cause et surtout de leur pérennité.
Paris est à la manœuvre pour faire aboutir ce projet de G5 Sahel cher à Emmanuel Macron mais n’a hélas pas les moyens de ses ambitions. Au point que c’est l’Arabie Saoudite qui est appelée à la rescousse financière et promet un financement de 100 millions d’euros (contre 9 millions pour la France). Et qu’importe que ce royaume ait joué les pompiers pyromanes en déversant son idéologie wahhabite au Sahel pendant des années !
L’Emir du Qatar bienvenu
Si les pétrodollars sont évidemment les bienvenus au Burkina Faso, c’est toutefois l’Emir du Qatar (et non le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman) qui a été accueilli en grande pompe en décembre dernier à Ouagadougou.
Certes, n’ayant pas la mémoire courte, les Burkinabès ont pris soin de demander aux Qataris la liste des Ong et associations financés par des fonds qataris pour s’assurer qu’ils ne profitent pas à des groupes terroristes. Mais l’Emir s’est engagé à aider le Burkina Faso à lutter contre les trafiquants de drogues et les terroristes au Sahel ainsi qu’à assister les autorités burkinabè tant pour rapatrier leurs ressortissants égarés en Libye que pour les réinsérer une fois de retour au pays. Une jolie pierre jetée dans le jardin du G5 Sahel financé par les Saoudiens…
Le dossier le plus sensible entre les deux pays reste toutefois de loin celui de l’extradition de François Compaoré (64 ans), le frère de Blaise. Ciblé par un mandat d’arrêt international délivré par le Burkina Faso, il a été arrêté à sa grande surprise à l’aéroport Roissy Charles de Gaulle en provenance d’Abidjan le 29 octobre 2017.
Plus encore que Blaise, François Compaoré est honni par la rue burkinabè qui l’affuble du sobriquet de « petit Président » et l’accuse d’avoir usé et abusé de sa position de frère présidentiel pour s’enrichir. La justice burkinabè le recherche, elle, pour son implication présumée dans l’assassinat du journaliste Norbert Zongo en 1998.
Journaliste d’investigation chevronné et directeur de l’hebdomadaire L’Indépendant, Norbert Zongo a été découvert carbonisé dans une voiture avec trois compagnons alors qu’il enquêtait sur le décès en détention du chauffeur personnel de François Compaoré après que ce dernier eut été accusé d’avoir volé l’épouse du « petit Président ». A l’époque, l’affaire fait tant de bruit que le régime de Blaise Compaoré est contraint d’autoriser une enquête indépendante qui abouti finalement à un non-lieu en 2006.
L’enquête sur Norbert Zongo relancée
Si les avocats de François Compaoré font mine d’ignorer que sous l’ancien dictateur la justice n’était guère indépendante et martèlent que le dossier est clos, l’enquête aurait été relancée après 2014 à la suite de l’apparition de nouveaux éléments. Toutefois, ces éléments ne sont pas encore connus avec précision si ce n’est qu’il s’agit entre autres des PV d’audition des principaux témoins dans cette affaire qui auraient été retrouvés chez François Compaoré. Pour les avocats de ce dernier, ces nouveaux éléments ne figurent pas au dossier d’extradition et même « n’existent pas ».
Attendu au tournant lors de sa visite à Ouagadougou en novembre 2017, Emmanuel Macron n’a pas hésité à déclarer,surprenant agréablement ses hôtes burkinabè, que l’interpellation de François Compaoré est « le résultat d’une coopération exemplaires entre nos deux justices qui sont toutes deux indépendantes. (…) Il a appartient à la justice française de prendre sa décision, je ferai tout pour faciliter celle-ci ». Mais aussi qu’il espérait que « la justice française rende une décision favorable ». La réponse de la justice française sera connue le 13 juin prochain.
Si l’Elysée semble afficher une neutralité bienveillante dans ce dossier, il n’en reste pas moins que des lobbies sous-terrains s’agitent en sens contraire à Paris. Rien d’étonnant : le régime de Blaise Compaoré a été au mieux avec la France pendant des décennies et y compte encore de nombreux obligés.
Officiellement, ce sont bien sûr les avocats de François Compaoré qui montent au créneau et rappellent que leur client risque le pire si la justice française décidait de l’extrader vers son pays natal. En effet, la peine de mort figure toujours au code pénal même si elle n’est plus appliquée et pourrait être abrogée.
Des campagnes de communication pro-Compaoré
Officieusement, au courant du second semestre 2017, des campagnes de communication orchestrées dans les médias français tentent de redorer le blason de l’ancien dictateur et de son clan. Tantôt en faisant miroiter un très hypothétique retour aux affaires de Blaise Compaoré, tantôt en tentant de réhabiliter son bilan, notamment sécuritaire, tantôt en prenant la défense de ses anciens collaborateurs emprisonnés suite à une tentative de coup d’Etat ratée en 2015.
Des questions se posent aussi concernant le rôle de ces éventuels réseaux de l’ombre quant à l’arrestation tardive de François Compaoré. En effet, le mandat d’arrêt international émis par le Burkina Faso le ciblant l’a été le 5 mai 2017 et le frère de Blaise Compaoré a été arrêté le 29 octobre 2017, soit près de six mois plus tard ! Un délai pour le moins inhabituel quelles que soient les raisons administratives ou diplomatiques que l’on puisse invoquer.
Plus étonnant, trois semaines avant son arrestation, c’est un François Compaoré très sûr de lui qui déclarait dans l’hebdomadaire Jeune Afrique : « Mes avocats ont investigué sur cette question [l’existence du mandat d’arrêt] auprès des autorités de France et de Côte d’Ivoire, deux pays dans lesquels je séjourne régulièrement. Ils n’ont trouvé aucune trace de ce mandat. Je suis donc serein et continue à vivre normalement. (…) Je voyage sans problème. Je suis la plupart du temps à Paris auprès de ma femme et de mes enfants, mais je rentre tous les deux mois à Abidjan. »
Face à une telle assurance et à un mode de vie en apparence inchangé alors que sa notice rouge d’Interpol, dont l’existence a fuité dans la presse en juillet 2017, est active, il est légitime de se demander au choix si de petites mains complices ne désactivaient pas ladite notice au gré des voyages de François Compaoré ou si la France avait choisi, dans un premier temps, de ne pas l’appliquer comme elle a le droit de le faire.
On notera aussi que la Côte d’Ivoire a, elle, carrément décidé d’ignorer le mandat d’arrêt burkinabè, ce qui n’a rien d’étonnant quand on sait que ce pays où est réfugié Blaise Compaoré a accordé la nationalité ivoirienne aux deux frères. Visiblement, cela n’a pas suffit pour protéger François.
Caroline Bright