Les médias occidentaux parlent d’ « accords informels », de réduction des frictions entre les Etats Unis et l’Iran. Et le plus surprenant est que ces « accords informels » reçoivent un début d’exécution.
Avant de décrire les termes de cet accord « informel », effectuons un bref état des lieux. L’Iran est aujourd’hui un État du seuil nucléaire : il n’a pas encore la bombe, mais il a enrichi suffisamment d’uranium à des niveaux proches du degré militaire pour construire plusieurs bombes atomiques et être capable de les armer dans un délai probablement inférieur à un an.
Cette avancée a eu lieu pendant la présidence de Joe Biden. Quand le président Donald Trump, en 2018, retire les Etats Unis de l’accord nucléaire passé entre Barack Obama et l’Iran (accord dit JCPOA), l’enrichissement d’uranium de l’Iran était inférieur à 5%. Sous Donald Trump, les ayatollahs ont certes avancé vers la nucléarisation de leur arsenal mais avec précaution, car ils craignaient une action militaire des Etats Unis. L’assassinat ciblé du chef du Corps des gardiens de la révolution islamique Qassem Soleimani en 2020 les avait convaincus que Donald Trump pouvait ne pas plaisanter.
Elu à la Maison Blanche un an plus tard, Joe Biden n’a rien eu de plus pressé que de prendre ses distances avec l’Arabie Saoudite et Israel, alliés traditionnels de son pays, et de tenter d’inscrire à nouveau Téhéran dans le JCPOA. Il fallait défaire tout ce que Trump avait entrepris et restaurer l’héritage de Barack Obama.
Il a aussi assoupli les sanctions et a montré que la signature d’un accord était fondamentalement importante pour lui. L’Iran a alors accéléré l’enrichissement de son uranium de 5% à 60%, poussant avec certains matériaux jusqu’à 84%, selon les soupçons de l’AIEA – atteignant les niveaux militaires nécessaires pour une bombe.
Quel accord « informel » ?
Aujourd’hui, Biden serait sur le point de conclure un « mini-accord » ou un « non-accord », en vertu duquel l’Iran accepte de n’enrichir l’uranium qu’à 60%, de libérer quelques otages américains et de condescendre à cesser d’attaquer les entrepreneurs américains en Syrie et en Irak. Le JCPOA limitait l’enrichissement à 3,67%.
En échange de cette promesse verbale, les Etats Unis libèreraient 20 milliards de dollars d’actifs gelés avec peut-être des dizaines d’autres à suivre, ainsi que l’engagement américain de ne pas ajouter de nouvelles sanctions ou de poursuivre des résolutions contre l’Iran au Conseil de sécurité de l’ONU ou à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).
Parallèlement, les Etats Unis exercent une pression considérable sur Israël – menacé d’être rayé de la carte par les mollahs iraniens depuis l’arrivée de Khomeiny au pouvoir en 1979 – pour ne pas troubler la fête. L’administration américaine alterne le chaud et le froid : elle multiplie les attaques politiques contre la réforme du système judiciaire israélien entrepris par l’équipe Netanyahu, mais elle vient de donner son accord pour l’achat par Israël d’un escadre de F-35, destinée à remplacer cette partie de la flotte aérienne israélienne qui commence à vieillir ; la Maison Blanche boycotte Netanyahou, mais elle invite le président israélien Isaac Herzog pour la seconde fois ; les Etats Unis multiplient les manœuvres militaires avec Israel, mais simultanément, tardent à délivrer la commande d’avions ravitailleurs qui seraient nécessaires à une action militaire contre l’Iran. Cette semaine, les États-Unis ont envoyé leur propre avion de ravitaillement en carburant pour un exercice conjoint en Israël, permettant ainsi à l’armée de l’air d’acquérir une expérience préalable. Mais l’appareil devra être rendu.
L’administration Biden n’a aucune confiance en Netanyahu et ne souhaite surtout pas qu’une attaque israélienne sur des sites nucléaires iraniens vienne troubler la réélection de Joe Biden en 2024.
Aujourd’hui, le gouvernement israélien serait bien en peine de monter une attaque aérienne des sites nucléaires de l’Iran en raison de la menace des pilotes réservistes israéliens de démissionner si la réforme judiciaire est votée en Israel.
Lors de la manifestation des pilotes de l’armée de l’air en mars dernier, un pilote réserviste israélien a déclaré à Channel 12 : « Sans nous, Netanyahu n’a personne pour attaquer l’Iran. »
Qui peut empêcher un accord « informel » avec l’Iran ?
Malgré toutes les rumeurs et fuites sur l’existence d’un « deal » avec l’Iran – y compris les murmures publics d’assentiment du guide suprême iranien Ali Khamenei -, l’administration Biden clame haut et fort qu’aucun « accord » avec l’Iran n’est sur la table. Joe Biden est obligé de nier l’existence d’un accord car sinon, il serait obligé de le faire valider par le Congrès des Etats Unis. Avec un risque élevé d’échec.
Malheureusement pour l’administration Biden, la loi sur l’examen de l’accord nucléaire iranien (INARA) de 2015 a été promulguée par le Congrès, avec un fort soutien bipartite, précisément pour éviter ce tour de passe-passe qu’un accord soit conclu sans être jamais signé.
Le représentant américain Michael McCaul (Républicain-Texas), président du Comité des affaires étrangères de la Chambre, a écrit dans une lettre à Biden le 15 juin 2023 :
« L’INARA a été promulgué avec un fort soutien bipartite pour assurer la surveillance par le Congrès de la politique américaine concernant le programme nucléaire iranien. Cette définition indique clairement que tout arrangement ou entente avec l’Iran, même informel, doit être soumis au Congrès. J’exhorte l’administration à se rappeler que la loi américaine exige que tout accord, arrangement ou entente avec l’Iran soit soumis au Congrès conformément à l’INARA ».
Si Israel a les mains liées aujourd’hui tant au plan intérieur qu’extérieur, l’obstacle au deal ne peut venir que du législateur américain. Il faut observer ce qu’il va faire et s’il va le faire avant les élections présidentielles américaines de 2024.