Libye : un chaos si bien organisé

 

« C’est trop tard ! » Naseredin Mehana, député de la Chambre des Représentant, le Parlement élu et reconnu par la communauté internationale, n’en revient toujours pas. Ils sont plusieurs élus venus de Tobrouk et de Tripoli en cette fin de novembre pour se réunir à Tunis et faire ce que finalement toute la communauté internationale attend d’eux : se mettre d’accord. Députés originaires de Cyrénaïques pour la plupart, mais membres des Parlements rivaux que tout semble opposer depuis un an, ils ont discuté, écrit et fait le tour des chancelleries occidentales, qui depuis la prise de Tripoli par la coalition armée de Fajr Libya (Aube de la Libye) voici plus d’un an, se sont réfugiés dans la capitale tunisienne. Espagne, France, Royaume Uni, Russie, États-Unis… « La plupart ont poliment écoutés et pris des notes, raconte le docteur Naseredin, cardiologue et parfaitement anglophone. Les américains nous ont clairement dit qu’on était en retard sur le calendrier de la communauté internationale et de la solution déjà trouvée sous l’égide de l’ONU. Le gouvernement d’union nationale doit être mis en place au plus tard à la mi-décembre. Point »

Des ambassadeurs qui ne comprennent rien à la Libye

Alors que l’urgence de la situation libyenne, désignée comme le « nouveau front » de l’État Islamique semble enfin rassembler les grandes puissances et les pays voisins au chevet du chaos libyen, la solution prônée et le Gouvernement d’Union Nationale formé à Skhirat au Maroc sous l’égide de l’ONU, fait aussi une sorte d’unanimité en Libye. « Personne n’en veut ! – affirme Musa Faraj membre influent du Congrès général national, le Parlement non reconnu basé dans l’ancienne capitale libyenne. Ni l’Ouest, ni l’Est, ni le Sud. Ni Tripoli, ni Tobrouk, ni Sebha ne sont d’accord avec ce gouvernement qu’on s’obstine à nous imposer. D’ailleurs la plupart des ambassadeurs qui ont suivi les négociations depuis un an ne connaissent et ne comprennent rien de la Libye. Ils ignorent tous ces détails subtils qui font notre pays et dont il faut tenir compte pour parvenir à un accord équilibré. » Pressenti par Tripoli pour être l’un des vices premier ministre d’un gouvernement d’accord national , Musa Faraj avoue avoir pour la première fois entendu parler de Fayez Sarraj quand celui-ci a été « désigné » comme le Premier ministre du Gouvernement d’Union nationale par Bernardino Léon, le représentant des Nations Unies pour la Libye qui menait depuis un an les négociations entre les parties rivales. Même constat amer du coté de Abubakr Buera, député de Benghazi et élu par le Parlement de Tobrouk pour le représenter dans les négociations. « Alors que j’étais sensé être l’un des candidats sérieux au poste de Premier ministre, Léon m’a cantonné dans un hôtel à 40 km de Skhirat et m’a tenu totalement isolé jusqu’à l’annonce de son gouvernement. Nous sommes tous tombés des nues. Les noms qui le composent n’avaient ni été proposés, ni discutés. Comment voulez vous que cette solution soit opérante ? »

Un gouvernement au goût prononcé de « déjà vu »

Présenté aux terme de longs et âpres pourparlers, le Gouvernement d’Union nationale est pourtant présenté comme La solution aux malheurs libyens. Martin Kobler, le nouveau représentant de l’ONU pour la Libye n’en a d’ailleurs pas fait mystère lors de sa prise de fonction récente le 17 novembre, en affirmant qu’il reprenait « à la lettre » l’Accord proposé par son prédécesseur, à commencer par le chef du gouvernement Fayez Sarraj, qu’il a très officiellement envoyé en mission dans les capitales voisines. Rabat, Tunis, Alger, le Caire, l’ont reçu comme le Premier ministre en exercice, faisant fi des atermoiements libyens.

Originaire de Tripoli, diplômé d’architecture et études managériales, Fayez Sarraj occupe quelques postes dans l’administration tripolitaine dans les années 2000 avant de rejoindre un cabinet privé de consultants. Après la chute du régime Kadhafi il est membre de l’Association du dialogue national, puis élu en 2014 à la Chambre des représentant, comme député de la circonscription de Al Andalous, l’un des quartier les plus cossus de la capitale. Président de la commission de l’aménagement urbain et membre de la commission à l’énergie, il est décrit par ses collègues parlementaire de Tobrouk comme « effacé », voire « totalement  absent » des débats et décisions. « C’est simple, affirme Naseredin Mehana, en un an il n’a pas pris une seule initiative. Il n’a pas l’étoffe d’un leader. » La renommée de Fayez Sarraj, vient surtout de sa famille et de son père Moustafa, membre éminent du parti Mutamar, dirigé par Beshir Sa’adawi, figure emblématique de l’indépendance libyenne avant son exil forcé à Beyrouth dans les années 50. Cette ascendance flatteuse suffira telle à asseoir l’autorité de Premier ministre « onusien » ? Pas si sûr.

Au-delà de sa personnalité c’est une série de noms de ce nouveau gouvernement qui semblent faire obstacle. A commencer par Abdulrahman Swehli, le seigneur de Misrata, un temps visé par des sanctions de L’ONU pour « obstructions aux négociations de réconciliation ». Dans ce nouveau cabinet, il est nommé Président du Conseil des ministres. Poste qu’il a d’ailleurs refusé. Fathi Bashaga, sensé coiffer le Comité de la Sécurité nationale, ancien membre du Conseil militaire de Misrata, ne remporte pas l’unanimité non plus. Parmi les vice-Premiers ministres, un autre misrati, Ahmed Miitig, attire l’attention des observateurs averti qui rappellent qu’il est non seulement le neveux de Abdulrahman Swehli, mais également le Premier ministre de la période trouble du début d’année 2014, quand son élection au poste de Premier ministre par le GNC dominé par les islamistes avait été invalidée.

Parmi les noms des 17 ministres proposés, on note également Moustafa Abushagur, vice-premier ministre de novembre 2011 à novembre 2012, avant de devenir Premier ministre éphémère, dont les cabinets présentés au vote du Parlement avaient été rejetés. A noter la présence également de Tarik Yousef al Magharief, fils de Mohamed Magharief, le dirigeant du mythique groupe d’opposition à Kadhafi , le Front national de salut de la Libye et Président du parlement issu des élections de 2012, avec le rang de Chef d’État, démissionnaire en mai 2013. Devenu membre du Conseil d’administration de la Banque centrale libyenne à la faveur du poste de son père, Tarik est également le PDG de Silatech, une association caritative pour la promotion des jeunes entrepreneurs du monde arabe, dont le Conseil d’administration est présidé par l’épouse de l’ex émir du Qatar, Khalifa ben Hamad al Thani. Une brochette qui laisse un goût prononcé de « déjà vu » et un équilibre des influences pour le moins contestable, définitivement plombé par la sortie piteuse de Bernardino Léon, soupçonné d’avoir accepté un poste rémunérateur aux Émirats, en contrepartie de faveurs accordée aux exigences de Tobrouk, selon les révélations du Guardian.

Partie de bras de fer

« Léon a commis une série d’erreurs, tempête Abubakr Buera. D’abord, il aurait dû laisser ces décisions aux Libyens, s’abstenir de nommer des leaders de milices et ne pas laisser faire les personnes les plus corrompues, sans compter que lui même n’a pas fait preuve d’indépendance si l’on en croit les fuites sur ses échanges d’e-mails avec des puissances étrangères. » Les noms ? Le député de Benghazi refuse de les citer. Trop compromettant par ces temps troubles de désigner les coupables. « Une chose est certaine, ils veulent faire de nous des marionnettes et ça, il n’en est pas question. » Une condamnation ferme qui rejoint celle de Musa Faraj, pourtant rangé du coté du GNC qui conteste la légitimité du Parlement de Tobrouk depuis plus un an. « Le rôle de l’ONU devrait consister à nous accompagner et non à décider à notre place. Et, puis l’affaire Léon, c’est un choc pour les Libyens. Le GNC a adressé une lettre à Ban Ki -moon demandant une enquête transparente sur ce cas. Nous n’avons toujours pas reçu de réponse. L’ONU et Mr Kobler auront fort à faire pour regagner notre confiance. » La partie de bras de fer qui semble se jouer n’augure rien de bon pour les nouveaux adeptes du dilogie libyo-libyen.

Demander la protection de Russes

Informés des échanges initiés à Tunis, les présidents des Parlements rivaux Aguila Saleh et Nuri Abusaihmen envisagent pour la première fois une rencontre bilatérale. Une initiative que semble ignorer la communauté internationale à commencer par le groupe des pays voisins de la Libye (Algérie, Égypte, Soudan, Niger, Tchad et Tunisie) qui tenait sa 7e rencontre régulière à Alger le 29 novembre. Pour parfaire le climat de dialogue de sourds, la veille, le Département d’État américain et le Quai d’Orsay publiaient un communiqué pour se féliciter d’une déclaration de soutien à un gouvernement d’union nationale. « Les gouvernements d’Algérie, de France, d’Allemagne, d’Italie, d’Espagne, de Tunisie, des Émirats arabes unis, du Royaume-Uni et des États-Unis saluent la signature de la déclaration de soutien à un gouvernement d’union nationale par la majorité de la chambre des représentants », notant que la majorité des membres du CGN « tiennent fermement à l’appui d’un gouvernement d’union nationale », peut-on lire dans le texte qui mentionne la signature de 92 élus de Tobrouk.

« Une tentative évidente de pression », commente incrédule Naseredin Mehana qui tient à souligner que l’un des participants des rencontres de Tunis, le député de Derna, Hamad Bandag, avait découvert que son nom figurait dans la liste des signataires alors qu’il se trouvait à Tunis et n’avait pas été informé qu’il faisait partie de cette « majorité ». « Tout ceci frise l’absurde. Je ne vois pas comment ce gouvernement rejeté de tous va prendre ses fonctions, s’installer à Tripoli, prendre le commandement des armées, faire cesser les hostilités entre groupes armés ou encore stopper l’expansion de Daesh. Il faut redescendre sur terre, ce n’est pas un film de science fiction. Il nous faut consolider un dialogue politique, intitier la réconciliation nationale et ensuite seulement former un cabinet. Nous ne voulons pas seulement d’un Gouvernement d’union, nous voulons un gouvernement qui fonctionne et qui puisse garantir la sécurité de tous ». En attendant, pour faire face à la montée de la menace de l’État islamique qui dépêche des centaines de combattants en Libye, les parlementaires de Tobrouk ont entrepris de se doter d’un protecteur. « Nous avons pris des contacts avec les Russes et leur avons demandé de prendre en charge notre sécurité, affirme Abubakr Buera. Le message est passé et ils examinent favorablement la demande. Nous pouvons même mettre à leur disposition une base militaire à Benghazi. Il est grand temps de mettre fin à ce chaos organisé. »

 

Roumiana Ougartchisnka