De l’accueil chaleureux en Russie pour le Premier ministre désigné Saad Hariri à la visite du sous-secrétaire d’Etat américain, David Hale, à Beyrouth, Moscou et Washington soutiennent la formation d’un nouveau gouvernement.
Michel TOUMA
C’est à l’unisson que l’Administration américaine et la Russie ont mis l’accent au cours des dernières quarante-huit heures sur l’importance primordiale de former sans délai un nouveau gouvernement au Liban afin de permettre au pays de s’engager, enfin, sur la voie des réformes structurelles et du redressement socio-économique. Le Liban est plongé en effet depuis l’été 2019 dans une grave crise économique, financière, sociale et politique sans précédent dans son histoire contemporaine – en plus des effets de la pandémie –, et depuis août dernier il est sans gouvernement.
Ce lourd dossier a été cette semaine au centre de deux séries de réunions cruciales: à Moscou, d’abord, à l’occasion de la visite du Premier ministre désigné Saad Hariri, et à Beyrouth, ensuite, où le sous-secrétaire d’Etat américain pour les affaires politiques, David Hale, s’est entretenu avec les hauts responsables officiels et les principaux leaders du pays.
Dans la capitale russe où il est arrivé dans la soirée de mercredi, 14 avril, M. Hariri a eu un long entretien de cinquante minutes par vidéoconférence – Coronavirus oblige – avec le président Vladimir Poutine (avec traduction immédiate automatique, pour éviter la perte de temps). Il s’est également entretenu avec son homologue russe Mikhaïl Michoustine et le chef de la diplomatie Sergueï Lavrov. Au centre de ces entretiens : la crise gouvernementale au Liban. Les milieux proches de M. Hariri relèvent que l’accueil particulièrement chaleureux réservé au Premier ministre désigné a clairement reflété le ferme soutien de Moscou à M. Hariri dans ses efforts visant à former le gouvernement et a placé le Liban sur la voie du redressement économique et politique.
Selon les sources proches de M. Hariri, les dirigeants russes se seraient engagés dans ce cadre à entreprendre des contacts avec « les pays concernés » afin de lever les obstacles à la formation du nouveau gouvernement qui se fait attendre depuis plus de huit mois. Cela implique implicitement que la Russie devra effectuer des démarches à ce propos auprès du régime iranien, la République islamique à Téhéran étant accusée d’entraver, via le Hezbollah libanais, la mise sur pied de la nouvelle équipe ministérielle dans le but de se doter d’une carte supplémentaire de pression dans le cadre de son bras de fer avec les Etats-Unis et l’Occident, en général.
Les sources de M. Hariri indiquent en outre que les entretiens à Moscou ont également porté sur les opportunités d’investissements russes au Liban, notamment au niveau de la reconstruction du port de Beyrouth – détruit dans la double explosion du 4 août dernier – et du développement des infrastructures de base dans le pays.
Il est vraisemblable par ailleurs (bien que cela n’ait pas été évoqué publiquement) que M. Hariri ait discuté avec ses interlocuteurs russes du problème de la délimitation des frontières maritimes entre le Liban et la Syrie après l’empiètement syrien sur la zone d’exclusion économique libanaise à la frontière entre les deux pays, au nord du Liban. La Russie est concernée par cet empiètement syrien dans la mesure où Damas a signé avec la société russe Capital Limited un accord en vue de la prospection gazière et pétrolière dans la région de la frontière maritime, ce qui risque de pomper vers la Syrie une partie des ressources gazières au large du Liban. L’empiètement syrien en question s’étend sur une superficie de non moins de 750 kilomètres carrés.
La position américaine
La crise ministérielle et la question de la délimitation des frontières maritimes du Liban (aussi bien avec Israël qu’avec la Syrie) ont été, d’autre part, au centre la mission de David Hale à Beyrouth au début de la semaine. Le sous-Secrétaire d’Etat américain s’est réuni avec les trois pôles du pouvoir, le président Michel Aoun, le chef du législatif Nabih Berry et le Premier ministre démissionnaire Hassan Diab, ainsi qu’avec M. Hariri (avant le départ de ce dernier pour Moscou), le patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, et avec les principaux leaders du pays, Samir Geagea, Walid Joumblatt, Sleiman Frangié et Samy Gemayel.
Le chef de la formation aouniste fondée par le président Aoun, le Courant patriotique libre (CPL), Gebrane Bassil, a été exclu du programme des entretiens de M. Hale du fait qu’il fait l’objet de sanctions américaines pour cause de corruption et en raison de son alliance avec le Hezbollah.
Au cours de ses réunions, le responsable US a plus d’une fois souligné la nécessité de former un nouveau gouvernement dans les plus brefs délais afin de sortir le pays de la crise dans laquelle il se débat depuis plus d’un an et demi. Au cours de son entretien avec le patriarche maronite, M. Hale a discuté avec le cardinal Raï du projet de neutralité du Liban prône par ce dernier. Le prélat maronite a remis au sous-secrétaire d’Etat un document exposant en détail sa vision de la neutralité du Liban
Enfin, M. Hale a rendu visite au Gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, qui l’a retenu à déjeuner à son domicile. Cet entretien revêt une importance particulière dans la mesure où il reflète un clair soutien de Washington à M. Salamé qui fait l’objet d’une campagne systématique menée contre lui depuis plusieurs mois par une certaine presse libanaise et étrangère gravitant dans une mouvance gauchisante et proche du Hezbollah.