L’investiture de Joe Biden, mercredi 20 janvier, ne laisse pas indifférents une grande partie du Liban qui s’inquiètent les possibles changements à Washington, notamment face à l’Iran et à ses alliés libanais du Hezbollah.
Une chronique de Michel TOUMA
Les Libanais ne sont pas directement concernés par l’investiture de Joe Biden à la Maison Blanche, mais ils en appréhendent d’emblée les conséquences à moyen et long termes. Ce n’est certes pas la personnalité du nouveau président démocrate ou son positionnement sur la scène intérieure qui inquiète outre mesure les Libanais, mais plutôt les perspectives d’une probable relance du dialogue irano-américian et ses répercussions sur le Moyen-Orient, et plus particulièrement sur le Liban.
Si les habitants du pays du Cèdre perçoivent ainsi avec circonspection, teintée d’un soupçon d’anxiété, cette passation de pouvoir aux Etats-Unis c’est parce qu’ils continuent de faire les frais, jusqu’à aujourd’hui, des grands choix effectués en 2015 par le précédent mandat démocrate (2012 -2016) de Barak Obama. A l’époque, celui-ci n’avait qu’un seul objectif pour le Moyen-Orient : conclure, enfin, l’accord sur le nucléaire iranien négocié depuis de longues années entre Téhéran, d’une part, et le monde occidental (Etats-Unis, France, Grande Bretagne, Allemagne) et la Russie, d’autre part.
Le Liban oublié
Pour « arracher » cet accord avant la fin de son mandat, Barak Obama avait cédé en 2015 face aux exigences iraniennes : ne pas inclure dans les négociations, et reléguer donc aux oubliettes, deux dossiers fondamentaux soulevés par certains pays occidentaux, à savoir l’arsenal iranien de missiles balistiques et la politique expansionniste pratiquée par les Gardiens de la Révolution iranienne (les « Pasdarans ») dans plusieurs pays de la région.
En acceptant de ne pas aborder ce second dossier dans les tractations avec les négociateurs iraniens, Barak Obama avait pratiquement accordé carte blanche aux « Pasdarans » pour qu’ils poursuivent sans retenue leur stratégie belliqueuse au Moyen Orient, plus précisément au Liban, en Syrie, en Irak, au Yémen et à Gaza, sans compter les pays du Golfe, ce qui a eu pour conséquence de créer dans l’ensemble de la région une situation guerrière entretenue par le régime iranien.
Joe Biden, héritier d’Obama?
La grande question au stade actuel – et c’est là que se situe la source d’inquiétude des Libanais – est de savoir si l’administration Biden acceptera de replacer les Etats-Unis sur la même voie qui avait été tracée par Barak Obama en occultant la stratégie régionale agressive de l’Iran ou, au contraire, posera-t-elle sur la table des négociations le dossier des missiles balistiques et la situation dans la région.
L’enjeu pour le Liban est de taille : si Joe Biden suit les mêmes traces que Barak Obama, cela signifie que le Hezbollah pourra consolider, voire accroître, sa prédominance sur l’échiquier libanais et continuer à prendre tout le pays en otage pour soutenir la stratégie régionale des Pasdarans.
C’est à ce niveau que s’expliquent les appréhensions des Libanais car la doctrine politique du Hezbollah stipule que ce parti s’en remet de façon inconditionnelle au Guide suprême de la République islamique pour toutes les décisions politiques et militaires revêtant un caractère stratégique, ce qui a pour conséquence de lier tout déblocage politique au Liban au bon vouloir du pouvoir iranien.
Des cartes rebattues
L’administration Biden cèdera-t-elle donc aux pressions de Téhéran sur ce plan ? Les semaines et les mois à venir devraient annoncer la couleur à ce propos. Dans l’attente que se profile à l’horizon la nouvelle politique US au Moyen Orient, force est de relever que la donne géopolitique régionale n’est plus ce qu’elle était à l’époque du mandat Obama. Un nouveau rapport de forces est en effet apparu qui est loin d’être en faveur de Téhéran. La normalisation entre Israël et certains pays du Golfe (notamment les Emirats et Bahrein) implique, entre autres, que d’une façon ou d’une autre l’Etat hébreu est désormais présent ouvertement et sans contraintes notables aux frontières maritimes de l’Iran. De surcroit, la récente réconciliation entre l’Arabie saoudite et le Qatar contribue largement à affaiblir davantage la position iranienne.
Dans le même temps, la République islamique n’est plus seule maître du jeu en Irak du fait de la politique souverainiste suivie par le gouvernement Kazemi. Et parallèlement, les positions militaires iraniennes et celles des milices inféodées à Téhéran sont régulièrement la cible de raids aériens israéliens en Syrie, sans compter que c’est la Russie, et non plus l’Iran, qui est le véritable maître de la situation en Syrie.
A l’ombre d’un tel rapport de forces qui a nettement évolué sous le mandat Trump en défaveur de l’Iran, le pouvoir des mollahs iraniens parviendra-t-il à imposer ses propres règles de jeu au Moyen Orient, comme ce fut le cas avec Barak Obama ? Et réussira-t-il à remettre en question la nouvelle donne géopolitique née de la normalisation entre Israël et les pays du Golfe ? Tout dépendra de la clairvoyance, de la détermination et de la fermeté de Joe Biden. Rien d’étonnant de ce fait que les Libanais suivent avec circonspection le changement d’administration à Washington.